Assez ! Agacé, Rodolphus se dégage et congédie l'infirmière d'un geste virulent. Le sang bouillant, il passe ses doigts sur son arcade sourcilière encore douloureuse. Il tapote du bout des doigts la zone boursouflée, résultante cuisante de l'attaque proférée par l'Ordre sur le manoir. Son manoir. L'affront ne resterait pas impuni. Ça, Rodolphus se l'est juré. À ruminer sur son lit d'hôpital une bonne partie de la nuit, séparé de Bellatrix, il a tourné dans tous les sens ses désirs de vengeance. Cependant, l'heure n'est pas encore à rendre coup pour coup à ses ennemis. Les siens ont besoin de se remettre. Bellatrix a besoin de se remettre. Rodolphus ne l'a pas vue depuis des heures. Son absence le ronge, participe à sa sombre humeur. On ne lui a pas laissé le choix à leur arrivée. À lui. Sa colère noire a d'ailleurs fracassé quelques vitraux de l'imposant hall. Rien n'y avait fait, et Rodolphus s'était retrouvé seul. Seul comme jamais.

Il exige d'être conduit auprès de son épouse. Personne n'ose cette fois le contredire ou s'opposer à lui. Vaguement, un médecin cherche à l'aborder. Monsieur Lestrange, vous devez savoir que... Rodolphus lui jette un regard noir, l'autre se tait. On le conduit prestement à la chambre de Bellatrix. Rodolphus la découvre assoupie, le teint blafard. Les yeux cerclés de noir. Faible. Cette vision le perd un instant. Inconsciemment, il referme la porte derrière lui. Personne ne doit la voir ainsi. Ne doit les voir ainsi. Bousculés, meurtris, comme rarement ils l'ont été dans leur vie de sang et de chaos. Ils sont vivants, et Rodolphus s'accroche à ça. L'heure de régler leurs comptes viendra bien assez tôt. Bella est vivante, elle porte leur enfant à venir. Son héritier. Son fils. Cette lueur apaise l'obscurité qui ronge son esprit tourmenté. Rodolphus s'assoit sur le bord du lit, sa main se pose sur le ventre de Bellatrix. Une sensation étrange le secoue. Quelque chose qui n'est pas comme auparavant. Quelque chose de différent. Quelque chose... d'absent. Rodolphus se lève d'un bond, comme effrayé. Non. murmure-t-il. Impossible.

Mais le ventre rebondi de Bellatrix a disparu. Rodolphus écarte le drap d'un blanc immaculé pour essayer de rompre le mauvais sort, mais doit se rendre à l'évidence. Un tourbillon de colère et de tristesse, de haine et d'affliction s'empare de lui. Il ne peut y croire. Pas ça. Pas maintenant. Ses yeux s'écarquillent, ses lèvres à moitié entrouvertes par le coup reçu en plein cœur. C'est à peine s'il sent les doigts faibles et apeurés qui s'emparent des siens. À peine s'il entend la supplique de Bellatrix. "Rodolphus ?" Sa voix lui paraît lointaine. Si lointaine. Elle s'accroche à lui, comme on s'accroche à un espoir. Le sien s'est envolé. Disparu. Détruit. Rodolphus ne la regarde même pas, reste là, droit et impassible à côté du lit malgré la tourmente d'émotions qui le submerge. Il regarde devant lui, le vide, perdu et infini. Quand enfin il daigne accorder un peu d'attention à Bella, ses yeux se veulent fuyants. Sa voix, abrupte et froide. Pas cette fois, Bella.

Les questions fusent, comme autant de moments de panique. Bellatrix n'a conscience de rien. Rodolphus, lui, n'a que trop conscience du moment. Tous deux sont perdus dans le brouillard, dans cette obscurité si familière. Mais, cette fois, ils n'y sont pas ensemble. Et ça lui déchire le cœur et les entrailles. Cette fois encore, la colère a dépassé l'amour. Parlerait-il de haine ? Possible. Rodolphus ne sait plus. C'est pourquoi il esquive les interrogations, les regards, les gestes de Bellatrix. Sans en avoir véritablement conscience. Pourtant, il la rejette. Comme jamais auparavant. Tais-toi. souffle-t-il, les yeux rivés vers le lointain au travers de la fenêtre de la chambre.

Elle ne l'entend pas. Ou ne veut pas l'entendre. D'autres interrogations viennent, comme autant de couteaux qu'on remue dans une plaie. L'attaque, imprévue. Rodolphus s'en mord encore les lèvres. Il a failli. Il blâme Bellatrix pour ne pas se blâmer lui-même. Se remémorer la fuite de certains partisans attise sa colère. Se revoir à terre, incapable de porter secours à Bellatrix, blessée, ne fait qu'alimenter le feu qui brûle en lui et le consume peu à peu. Il aurait pu. Il aurait dû. Les protéger. La protéger. Échec cuisant. À sa demande, Rodolphus finit par plonger son regard dans le sien. Bellatrix. Bella... Tais-toi. Mais elle est déjà ailleurs. Comme s'ils ne pouvaient se rejoindre.

Quelque chose s'est brisé, Rodolphus ne le ressent que trop bien. Et ça l'effraie. Pourtant, rien n'est plus terrifiant que le cri poussé par Bellatrix. Rire inhumain qui lui fait ressentir ce que seuls leurs ennemis éprouvaient jusqu'à ce jour. La folie et la félicité, ensemble, à leur paroxysme. Bellatrix n'est plus Bellatrix. Quelque chose s'est brisé. Et Rodolphus ne tient plus. Il dégage sa main d'un coup sec, recule, repoussé par cette tempête de sentiments contradictoires. Il ne tient plus. Et hurle. La ferme !

Bellatrix ne comprend pas. Elle ne le comprend pas. Peut-être autant que lui ne parvient pas à saisir ce qu'elle ressent. Là se trouve la problème, la clé de l'abîme qui semble les séparer alors. Bellatrix ne sait pas l'importance que revêtait cet enfant à naître. L'héritier. Son héritier. Non, elle ne le sait pas. Elle ne l'a jamais su. Rodolphus s'est toujours senti seul dans sa quête, malgré tout. Leur puissance valait par ce savant mélange de haine et d'amour, de frustration et de délectation. Par une union qu'ils ont su tous deux apprivoiser. Cette puissance vient de voler en éclats, ici, dans cette misérable chambre d'hôpital. Et plus que l'acte, ce sont les mots qui fendent un peu plus l'âme d'un Rodolphus meurtri. Cette fois...

Cette fois... Refrain qui tourne et retourne en boucle dans les méandres de son esprit tourmenté, mutilé. Il reste sourd aux suppliques et aux attaques, toutes ces vaines tentatives de Bellatrix pour tirer de lui ne serait-ce qu'une réaction. Un signe. D'amour, de haine. Un simple signe qui montrerait qu'il est présent. Mais Rodolphus reste là, stoïque. Léthargique. Cette fois... Il la voit se lever, quitter la chaleur des draps pour se jeter au cœur de la glace qui l'entoure. Essai désespéré de le rejoindre. Rodolphus a un mouvement de recul. Réflexe involontaire, qui pèse plus que des mots. C'est une statue de marbre que Bellatrix enserre, être dénué de sentiments. Cette fois...

Combien ? Imperturbable, rigide, Rodolphus sent sa gorge se serrer alors que la question passe ses lèvres. De tristesse, de colère. Chaos turbulent de sentiments qui se fondent en un amas instable et dangereux. Rodolphus est une bombe à retardement. Combien de fois, Bella ? Son épouse toujours blottie contre sa poitrine, son regard s'enfuit au loin, rivés dans le vide auquel il s'abandonne. Plus rien n'a d'importance, la trahison est trop grande, la blessure trop profonde. Mais, finalement, la réponse lui importe peu. Il est trop tard.

Ses yeux dans les siens, le regard brillant de larmes et de cruauté, les mots de Bellatrix le frappent, le heurtent. Le blessent. Plus affûtés que des lames, plus froids que la plus glaciale des nuits. Bellatrix les dit à dessein. Ce n'est plus un jeu, leur jeu. Fait d'amour et de haine, de tendresse et de violence. Ce n'est plus eux. C'est elle. C'est lui. Rodolphus ne la reconnaît plus au fond de ses prunelles grises. Elle est comme une étrangère, une force maléfique qui l'effraie. Folie incontrôlable. Bellatrix lui échappe, chose qu'il n'aurait jamais crue possible. Rodolphus se brise, la gorge enserrée par des émotions contradictoires. Il la saisit par les épaules, l'éloigne de lui. Corps étranger qu'il ne veut plus toucher.

Tu es folle. Rodolphus le savait déjà, au fond. Un peu. Des caprices qu'il parvenait jusqu'à lors à tempérer, qui avaient fait autant l'amour que l'aversion qu'il vouait à son épouse. Comme il regrette ce temps à présent. Tu es folle, Bellatrix. murmure-t-il à nouveau. Comme s'il fallait le répéter pour accepter l'horrible réalité. Il recule d'un pas, observe celle qui se tient face à lui. Qui parle, bouge, ressemble à Bellatrix mais qui, pourtant, est si loin de la femme qu'il connaît. Je... Non. Rien. Rodolphus se détourne, s'en va, s'arrête à pas de la porte, pas certain de ce qu'il doit faire. Il ne regarde pas en arrière, n'en a tout simplement pas la force. Puis il part, disparaît dans les entrailles de Sainte Mangouste. La mort dans l'âme.