Les mois qui passent, tout qui se ressemble, tout qui s'effondre alors que les corps s'accumulent, alors que la fatigue se fait ressentir, la fin est proche, tu le sais, tu le sens, et le bien ne triomphera pas, pas maintenant qu'il n'est plus là, que sa chaleur n'emplit plus la pièce, que la vie n'est plus aussi brillante qu'autrefois, les lanternes volent dans le ciel en sa mémoire, et toi Hecate, tu pleures en silence ce professeur qui t'a toujours fait confiance, qui était un des seuls à savoir qui tu étais réellement, à savoir ta véritable inclination pour le bien, savoir tout ce que tu fais. la morosité qui ne se voit qu'à peine, alors que tu continues de tenir ton rôle, prônant la marque, ne montrant jamais à quel point la défaite de l'ordre t'atteint, à quel point tu aimerais gonfler les rangs, rejoindre Lily et Constance, rejoindre ceux que tu considères réellement comme ta famille mais tu continues à penser, que c'est en travaillant seule dans ton coin que tu arrives à faire les plus belles choses.
Tout qui s'arrête quand tu vois ses cheveux blonds, à lui, que tu reconnais directement, même après des mois, ayant revu son visage lors de tes songes, souriant doucement, inconsciemment en repensant à sa voix, à cette confrontation dans son bureau, heureuse un instant de voir qu'il ne lui est rien arrivé, n'osant pas l'approcher, pas tout de suite, trop de risque, redevenant une adolescente, juste un instant, une seconde ou ton coeur s'affole, encore et encore lorsqu'il s'approche du bar, ne te regardant qu'à peine, sans te reconnaitre, sans vraiment te voir. "Bonjour monsieur." Ton sourire qui s'emplit malgré toi, malgré cet anneau qui ne fait que se resserrer. "Je suis contente de vous revoir." Tu te reprends, tu ne peux pas, tu n'en as pas le droit, pas lui, pas quelqu'un comme lui, tu es fiancée Hecate, tu ne peux pas. "Enfin je suis contente de voir que vous allez bien." Les joues qui deviennent chaudes alors que tu regardes à nouveau tes verres, alors que tu essaies d'être froide, encore derrière ton masque de porcelaine. "Que puis-je vous servir ?" Tu redeviens la serveuse, simplement la serveuse, plus cette femme qui, il y a quelques mois lui a sauvé la vie, plus cette femme qui a pensé à lui inconsciemment, trop souvent.

les doux interdits qui viennent te titiller le coeur, le serpent vile qui vient te mettre devant le corps l'avide tentation de sa peau, de son odeur qui enivre, alors que tu aimerais simplement te laisser aller, être une femme envoutée par un homme, ne plus être cette prisonnière enchainée à une vie morose, liée à un homme qui t'indiffère. L'anneau brulant qui ne cesse de te rappeler que tu ne pourras pas avoir ce que tu désires, que tu ne pourras jamais écouter ce myocarde qui bat un peu plus fort quand il est prêt de toi. Ton sourire, ton regard qui ne peut que te trahir, toi, la fille qui se veut froide, qui se veut image de cette famille qui n'est la tienne que par coup du sort, toi, née dans la famille avide de sang, toi et la liberté qui ne sera jamais acquise, toi et cette vie que tu aimerais tant avoir, et qui te file entre les doigts. "Vous faites preuve d'imprudence en venant ici vous le savez n'est-ce pas ?" Une imprudence qui te convient, parce que tu aurais fait pareil Hecate si le courage ne te manquait pas, combien de fois n'es-tu pas passée devant le ministère en espérant le croiser, trouvant une excuse pour une simple entrevue, même une minute, même une seconde, pour ressentir à nouveau la chaleur de sa main sur la tienne, pour sentir de nouveau son souffle court sur ton visage, accro, accrochée à lui, déjà, comme la foudre qui s'est abattue sur ton corps de marbre, charnelle Hecate qui ne peut s'empêcher de penser à ce qui pourrait être, si, si il était de sang-pur, si il était un peu plus comme toi. Tu sers son café, alors que tu n'arrives pas à empêcher ce sourire de naitre en toi, la luminosité qui inonde la pièce, oubliant que ta liberté te sera enlevée dans quelques jours, que tu ne pourras plus jamais le voir, que tu seras à jamais enfermée dans un monde de noirceur.

La noirceur qui fait place quand il fait lui aussi remarque de ce détail qui te détruit, de ce compte à rebours qui te glace. Les yeux se baissent, et tout ne devient que silence alors que le sourire fait place aux lippes serrées, alors que la tristesse, les nuages cachent le soleil qui ne faisait que briller. "Je me marie dans une semaine." La claque, alors que tout n'est qu'impossible, alors que tu rêves éveillée à un songe qui n'arrivera jamais, alors que cette parenthèse chaleureuse, alors que sa présence là, devant toi, ne menera qu'à une impasse. "C'est un mariage arrangé avec le fils Avery, je n'ai pas eu le choix." Tu essaies de te justifier, honteuse de n'avoir pas réussi à te battre, à partir. "J'aurai aimé que tout se passe autrement, que je puisse ..." apprendre à le connaitre, apprendre à sourire, apprendre à aimer, rien qui ne sort, les regrets qui se pèsent déjà, alors que ta main aimerait prendre la sienne, alors que tu n'y arrives pas, lâche qui accepte la facilité, reniant le possible autre chemin, abandonnant tout rêve d'une vie normale, ou les choix ne seraient que tiens, ou tu ne serais plus un pantin de bois.

La symphonie amère des regrets qui commence déjà à retentir, alors que tout te pèse, alors que tu ne sais pas faire de choix, alors que la peur te ronge, alors que tout pourrait être si simple si tu osais t'enfuir, partir, ne pas te retourner, aller dans un autre pays, voir enfin tout ces paysages qui t'obsèdent tant, détruire les barreaux de cette cage dorée qui t'empoisonne, l'emmener lui, avec toi, découvrir cette France dont tu n'as eu que des bribes d'histoire, pouvoir danser sur les dalles humides illuminées par un carroussel qui ne s'arrête jamais, main dans la main avec lui, tournant jusqu'à en avoir mal de tête, vivant simplement, vivre, belle aventure dont tu as été privée jusqu'à présent, avançant vers le gibet, prête à te balancer autour de la corde de la privation, avançant sur un chemin tout tracé, qui ne sera fait que d'obligations, de perversions, jamais d'amour. "Alors disons que je suis bien contente que vous soyez venu dans cette taverne pour simplement boire un café." Le hasard qui fait bien les choses, alors que tu aimerais tout lui dire, lui dire de rester, de te donner de la force, la force de tout recommencer, de voler dans les cimes des arbres, de te dire que tout ne serait que facilité, que tu serais idiote de ne pas essayer, même si ça ne sera pas facile, de tout reprendre de zéro, mais qu'il sera là avec toi, pour lancer les dés du nouveau jeu, de ce que vous allez entreprendre ensemble, quelques mots, juste ça pour t'aider, pour te redonner ces ailes brulées depuis si longtemps.

Les ailes brulées depuis que tu as appris que ton coeur était sellé, à jamais promis à un homme que tu exècres, à jamais destinée à ne pas être regardée comme une amante, mais simplement comme un objet d'une valeur estimable, jamais comme une aimée, simplement comme une possession de plus dans l'orfèvrerie du manoir Avery. "Je perdrai tout ce que j'aime, cet emploi, cette liberté, cet espoir d'un jour avoir droit au véritable amour." Tes yeux qui ne savent mentir, qui ne savent cacher ce que tu ressens, ce désespoir qui se lit dans les larmes jamais versées, ces rêves qui ne se réaliseront jamais, cette histoire qui ne commencera jamais, et qui pourtant aurait pu être la plus belle. "C'est mon devoir, les sang-pur aussi ont des malheurs dont ils ne peuvent se débarrasser, ma soumission, c'est le poids à payer pour le rang que j'ai, dont je me passerais volontiers si on m'en donnait l'occasion." Tu ne dis plus rien, Hecate, les mots qui ne sortent pas, alors que le coeur se fait gros, alors que la gorge se noue, l'espoir qui nait que trop tard, alors que tu n'as plus l'occasion de trouver un autre moyen, tes parents observant chacun de tes gestes, sachant à quel point le feu follet de ton âme peut jaillir à tout moment. Tu mets le deuxième café devant lui, alors que tu repenses à cette explosion, dont tu as eu vent, le coeur battant, espérant secrètement que tout n'aura pas été vain. "J'ai entendu parler de ça, je suis vraiment heureuse de voir que ça n'a fait que des dégats matériels, je ne vous cache pas que j'ai eu de nombreuses craintes qu'il vous soit arrivé malheur." Les sentiments qui ne peuvent se cacher alors que tout jaillit de ton myocarde ne battant déjà que pour lui, lui qui a su réveiller la fille pleine d'espoir qui sommeillait depuis trop longtemps.

Tu aimerais pouvoir partir, pouvoir simplement être une femme, qui rencontre un homme, avide de ses caresses, avide de ses sourires, simplement pouvoir partir, choisir la facilité du coeur, pouvoir briser les chaines qui te brulent, pouvoir choisir ton chemin, pouvoir dire non mais tout n'est que peur, mais la famille se resserre, mais la famille te manipule, parce que tu ne pourrais pas tout laisser, parce que tu as Sapho, parce que tu as Anar, parce que tu ne peux pas tout quitter comme ça, parce que tu n'as pas le courage de tout recommencer, d'avancer dans un monde inconnu, tâtonnant dans le noir. Tu aimerais simplement pouvoir faire tomber les masques, qu'il te voit, telle que tu es, une femme qui a besoin qu'un homme l'aime, qui a besoin que lui t'aime. Tu aimerais pouvoir l'emporter avec toi dans le tourbillon de couleurs, mais tu n'es qu'un boulet, une bombe prête à exploser, et tu ne veux pas le blesser, lui qui doit se faire oublier, lui qui ne doit pas se mettre en lumière à cause de toi, toi qui avancera seule, pour lui, lui qui finira par t'oublier, qui trouvera une autre fille, une fille qui n'aura pas la difficulté de ton rang. Ta main qui prend la sienne, alors que tout s'écroule, alors que rien n'a jamais été aussi simple que d'avancer ta paume, pour t'emparer de son coeur. "Nous ne devrions pas faire ça, vous le savez aussi bien que moi, ce ne serait que se faire du mal." Tu soupires à peine. "Vous vous mettez en danger en venant près de moi, je suis observée constamment, mes parents craignent que je prenne la fuite avant le mariage." Tu souris, peinée de la suite des évenements. "J'ai toujours été d'un naturel rebelle, les mariages arrangés ça n'a jamais été ma vision de l'amour." Une vision que tu as essayé de chasser au mieux quand tu as su ton destin funeste, ne t'attendant pas à ce que ça te tombe dessus, dans un bureau du ministère. "Je suis heureuse d'avoir pu vous voir une dernière fois, j'aurai aimé que ça ne soit pas la dernière." Oiseau en cage, ne chantant plus, malheureux à en mourir, pensant à son inséparable qu'il ne verra plus jamais, mourant d'amour. "Vous voyez monsieur, même nous les sang-pur nous avons nos fardeaux à porter, j'espère que j'aurai la force de subir le mien." Ta main qui ne cesse pourtant de tenir la sienne, alors que tout pourrait faire croire à un couple, alors que le déchirement ne se joue qu'à deux, les regrets d'un avenir qui aurait pu être. "J'aurais aimé vous rencontrer plus tôt, qu'on ait l'occasion de se connaitre un peu mieux." Les mains qui tremblent, alors que les secondes sont délectables, alors que tu aurais aimé que son visage soit celui que tu vois lorsque tu marcheras vers l'autel.

Un renouveau, recommencer sous les lanternes lumineuses, pouvoir danser sous les étoiles, rire, vivre, surtout vivre, enfin, pouvoir arracher ces chaines qui mordent tes poignets, pouvoir enfin retirer ce masque de porcelaine brulant, couper les fils d'or se nichant dans tes omoplates, devenir une femme, plus une marionnette dans les mains expertes de ces parents que tu détestes. Tu aimerais pouvoir tout jeter, tout braquer, tout gagner avec lui, reprendre à zéro, rigoler de tout ça un jour, de cette mésaventure et te regarder dans un miroir, le sourire grandissant parce que tu as réussi à t'en sortir, parce que tu as pu prendre en main le bonheur qui te tendait les bras. Tu restes là, devant la facilité de sa chaleur, restant finalement dans ton monde glacial, loin, si loin de lui, qui s'éloigne déjà, les sanglots qui bloquent ta gorge, qui brise ton coeur. "J'aurai aimé que l'on se rencontre plus tôt, qu'on puisse prendre le temps." Tu ne le regardes qu'à peine, pour ne pas montrer les déchirements qui se font dans ton coeur, pour ne pas montrer que tu ferais tout, si seulement il te donnait la main, si il prononçait les mots qui te fasse pousser des ailes.

Tout qui s'effondre quand ses mains se détachent, quand la brume mouillée t'embrume, que tu ne le vois plus derrière le mur des larmes non versées, tu ne le reverras plus, plus jamais, plus jamais en étant simplement Hecate, tu seras toujours que madame Avery, les jours qui s'annoncent en compte à rebours, alors que tes mains tremblent, alors que tu perds le seul souffle d'espoir qui te restait avant de sombrer dans les abysses. "Je ne vous oublierai pas Alphonsus, j'espère qu'un jour, le monde aura changé et que j'aurai l'occasion de revoir votre sourire.", les mots qui sortent comme un souffle, une promesse d'un jour nouveau, bientôt, tu l'espères, sentant que ton coeur part, claquant la porte quand il sort, quand tout te semble affreusement vide après son départ.