Par la large fenêtre de la chambre conjugale, Rodolphus observe l'extérieur. La cour, le parc du manoir et, plus, la rue qui y mène. Tout lui semble désespérément creux. Vide de tout sens. La pièce, le manoir tout entier, tout résonne de l'absence de Bellatrix. De son rire, de ses colères. Rodolphus ne l'a pas revue depuis Sainte Mangouste, terriblement affecté. La perte de leur enfant à venir hante ses jours et ses nuits. La faiblesse qu'avait alors affiché Bellatrix aussi. Elle n'est pas ainsi faite, lui non plus. Le choc n'en avait été que plus violent. Et elle lui manque, mais sa rancune est plus tenace encore. Ou peut-être est-ce son orgueil. Qu'importe. Rodolphus se perd dans sa contemplation du néant, et rumine ses noires pensées.

Bellatrix chez Narcissa. Il n'imagine pas pire situation. Lucius absent, les deux femmes se retrouvent seules. Bellatrix à déverser son fiel à Narcissa, Narcissa à l'approuver pour calmer son aînée. Qui sait ce qu'elles peuvent bien se raconter au cœur des murs du manoir Malfoy. Les poings de Rodolphus se serrent de colère, ses jointures blanchissent. Il avait espéré que Bellatrix le rejoindrait, lui. Et peu lui importe son humeur exécrable, confortée et accrue depuis trois semaines maintenant. Trois longues semaines, une éternité. Et aucun signe d'un éventuel retour de son épouse. Et Rabastan qui s'accorde des allées et venues chez les Malfoy. Son propre sang. Rodolphus ne tient plus. Son poing fracasse la vitre, qui explose sous la violence du coup.

Un craquement retentit derrière lui, il n'y prête pas attention. Maître ? s'enquit l'elfe de maison, bien moins inquiet pour son maître que pour sa propre sécurité. Rodolphus ne répond pas, ne lui adresse même pas un regard. Il pose sa main ensanglantée sur le rebord de la fenêtre, fulmine silencieusement. L'elfe s'approche, le contourne. D'un claquement de doigts, il répare la vitre brisée. Rodolphus le chasse d'un geste lorsqu'il tente d'examiner la main blessée. L'elfe ne demande pas son reste et disparaît aussitôt... pour revenir une poignée de secondes plus tard. Quoi encore, Gurki ? Les doigts de Rodolphus se serrent autour de sa baguette. C'est maître Rabastan, maître. Il... il vous attend dans le hall.

Rabastan... marmonne Rodolphus. Cette journée pourrait-elle être pire ? Il congédie de nouveau l'elfe, lequel s'empresse de repartir d'où il est venu. D'un coup de baguette, Rodolphus fait disparaître les traces de sang sur sa main endolorie puis se détourne de la fenêtre. Il tombe nez à nez avec son reflet dans le miroir de la suite conjugale, ne se reconnaît pas. Touché dans sa fierté, Rodolphus se redresse, réajuste sa tenue impeccable et son col. Présentable, il sort de la chambre et descend le grand escalier qui le mène au rez-de-chaussée. Droit et fier, calme et impassible. Puissant. Rabastan. le salue-t-il alors qu'il le domine encore de quelques marches. Mon cher frère. Que me vaut ce plaisir ? Hypocrisie qui lui permet de dissimuler son courroux.

Évidemment. siffle-t-il, acerbe. Rodolphus ne cache pas son dédain, ça lui importe peu. Ça ne lui importe plus. Plus maintenant. Il descend encore quelques marches, lentement, tourne sur le palier intermédiaire pour enfin parcourir la dernière volée de marches qui le sépare de son frère. Son cadet ne paraît pas particulièrement à l'aise, et Rodolphus ne fait rien qui pourrait apaiser ce malaise. S'il ne s'agissait pas de son sang, le maître des lieux l'aurait tout simplement renvoyé dans la tourmente du monde. Mais puisque c'est Rabastan, Rodolphus ne se montre pas aussi impérieux. Ou presque. Qu'est-ce qui t'amène ? coupe-t-il d'un ton sec. Son regard fuit, agacé. Il reste de marbre, les poings serrés sans s'en rendre compte. Désir d'en finir au plus vite.

Les mots de Rabastan glissent sur lui, entrent par une oreille, sortent aussitôt par l'autre. Une vague histoire de broche, d'argent et d'émeraude. Babiole futile. Pourtant, c'est cette breloque qu'a demandé Bellatrix à Rabastan. Lui ramener ça, plutôt que lui. Que peut-elle bien faire d'une parure, aussi exquise soit-elle ? Là, l'imagination de Rodolphus se met en marche. Et il préfère chasser au loin cette peur abjecte. Bellatrix ne se détachera pas de lui. Elle ne se débarrassera pas de lui comme de... Pensées en suspens. Rodolphus a un frisson de dégoût. Et une évidence. Ses iris bleus viennent se planter dans les yeux de son frère. Tu savais. Accusation tordue, insensée. Mais pourquoi en douter ? Alors qu'il est si grisant d'avoir un être à blâmer pour ça. Tu savais n'est-ce pas ?

Rabastan n'essaie même pas de nier, sauver ce qui aurait pu l'être. Mais quoi ? Avant même de connaître l'horrible, l'insupportable vérité, Rodolphus avait décidé de le blâmer pour les fautes, les sacrilèges de Bellatrix. Rabastan aurait pu ramper devant lui, implorer son pardon, rien n'aurait apaisé la colère de Rodolphus. Mais Rabastan est un Lestrange, droit et fier. Direct. Ainsi que l'est son aîné. Les deux frères se ressemblent autant qu'ils s'opposent. Ce qui a fait leur force, qui fait à présent leur faiblesse. Et qui creuse un abîme toujours plus profond entre eux.

Quelle importance ? Il ne comprend pas. Évidemment. Comment le pourrait-il ? Rabastan n'est pas le premier-né, cette tâche ne lui incombe pas. Et il a déjà un fils. La jalousie enserre le cœur de Rodolphus. La fureur, tapie, ferme son poing. De l'autre, il attrape Rabastan par le col, s'approche jusqu'à sentir son souffle. Ses yeux de glace plongent dans ceux de son frère. Vitale, sombre crétin, pour qui est capable de voir plus loin que le bout de son nez. siffle-t-il, ses traits déformés par la rage. De longues secondes s'écoulent, Rodolphus finit par desserrer sa prise, se détourne. Prends ce que tu es venu chercher, et pars.

À la simple mention de Bellatrix, sans même que son nom ne soit prononcé, le cœur et le poing de Rodolphus se serrent. Énième bravade de son cadet, un affront que Rodolphus n'aurait pas relevé en temps normal. Mais il ne vit pas de temps normaux depuis cette fameuse nuit. Il est devenu irritable, irascible, loin du calme et de la tempérance qu'on lui connaît d'ordinaire. Rodolphus arrête son mouvement, la mâchoire serrée. Il pousse un soupir, presque un ricanement, lève les yeux au plafond. Puis se retourne avec vivacité, si bien qu'il ne laisse pas le temps à Rabastan d'esquiver. Et son poing finit par cogner le visage du frère. Le sang gicle, laisse une traînée sur le sol de marbre impeccable et sur la main de Rodolphus.

Il se retourne, s'éloigne. Secoue la main endolorie par le choc, se retient de jurer à pleins poumons à travers le manoir entier. Prends... ce que tu es venu chercher... et pars. articule-t-il le souffle court, partagé entre la rage et le chagrin. Rodolphus ne se reconnaît plus. Lui et Rabastan n'ont jamais été les plus proches, les plus intimes, mais il existait un équilibre, une entente, exigés par leur sang. Que Rodolphus vient de  briser, de répandre sur le sol du manoir familial. Il regarde sa main : frères de sang. Il s'en veut, regrette, mais la fierté et l'orgueil l'empêchent de tendre la main à son frère en repentance. Colère lancinante qui le broie de l'intérieur.

Les paroles de Rabastan alimentent sa colère, son envie de lui faire mal. Pourtant, Rodolphus parvient cette fois à se maîtriser. Derrière le fiel, il sait que son frère ne dit rien d'autre que la simple et cruelle réalité. Passer ses nerfs sur lui ne changera rien. Et les conséquences pourraient s'avérer irréversibles. Les traits tirés par la colère, Rodolphus retrouve peu à peu ses esprits. Mais reste dos tourné à son cadet. Un léger sifflement monte à son oreille. Nul besoin de demander, il sait que Rabastan fait simplement ce qu'il lui a ordonné de faire. Et bientôt, l'objet de sa venue passe près de Rodolphus. Une broche. Rodolphus lâche un éclat de rire nerveux.

Il se tourne finalement, revêtant de nouveau son attitude froide et impassible. Si Rodolphus se perd, hors de question de sombrer pour de bon. Le regard toujours chargé d'aigreur, il regarde Rabastan attraper la broche et partir sans rien dire. Comment pourrait-il en être autrement ? La fissure entre eux s'est brutalement élargie. Rodolphus ouvre la bouche, hésite, prêt à retenir son frère. Pour dire quoi ? S'excuser ? Demander des nouvelles de Bellatrix ? Rodolphus clôt ses lèvres, aucun mot ne les passera. Orgueil mal placé. Occasion manquée. Il se détourne, se remet aussitôt à ruminer ses noires pensées dans le silence du vaste et vide manoir.