Parchemins éparpillés. Pages de journaux au sol. Un bocal brisé ici. Une plante mal en point là. Des fuites? Un visiteur volant non désiré? Rien de tout ça. Les journaux parlent de l'attaque sur le manoir Lestrange, de l'affaire contre Phinéas. De la mort de Wayne Avery par sa main. Les parchemins sont des lettres abandonnées, des brouillons foirés par nervosité ou manque de sommeil. Certaines pour le ministère, d'autres pour les enquêteurs, d'autres encore pour l'administration pénitentiaire afin d'obtenir un quelconque droit de visite, si quelque chose du genre existe pour un prison telle qu'Azkaban. D'autres encore sont pour Ravenna, probablement celles dont l'encre est le plus gorgée d'inquiétude. Au moins, je sais où est Phin. Et le reste? Mon esprit est ailleurs, trop préoccupé pour s'embarrasser d'arroser une plante ou nettoyer un bête accident.

Cheveux hirsutes, sales, teintés d'or, je suis trop seul pour m'embarrasser de garder la tare sous contrôle. Je n'ai pas quitté le loft depuis déjà trois jours. Soixante douze heures, peut-être. Une pancarte "Closed" orne la porte rouge de l'atelier.
J'ai mangé pour ne pas m'évanouir. Bu pour ne pas mourir. Je me suis rafraichis faute de réellement me laver, et je n'ai dormis que ce que mon cerveau trop actif m'a permis de sombrer. Si je parvenais à fermer les yeux, ce n'était que pour quelques minutes, le temps que les cauchemars et la hantise ne vienne me réveiller. Alors je retournais au travail, les yeux plongés dans les bouquins. L'attention flottante. Les neurones aussi vifs que le poisson arc-en-ciel tournant perpétuellement dans son bocal.

Oui, je l'ai ramené chez moi. J'ai parfois l'impression qu'il me juge lorsque je l'abandonne à l'atelier.

Mes pieds nues ignorent le papier au sol, la plante couverte de résidu d'encre. Mes mains tiennent un épais volume. Au mur, une grande carte de la région s'anime de points lumineux et autres signets mouvants.
On toque. Un sursaut d'urgence m'éveille et je laisse tomber le livre par terre. Un claquement doigts suivis d'un geste de la main et la carte s'estompe, rendant au mur son apparence habituelle. - Who is it? - Dis-je un peu fort depuis la bibliothèque. Pas de réponse. Soucieux, j'attrape ma baguette et rejoins le corridor d'entrée, et la porte. Mon cœur se calme, ma respiration s'éteint. D'un œil bref, j'observe par le judas la silhouette aux cheveux blancs. Il me faut un instant pour réaliser qui elle est, et avant même d'avoir eu le temps de reprendre mon souffle, j'ouvre la porte à la volée. - Tu ne pouvais pas répondre à au moins une de mes lettres?! - Lâché-je un peu fort, bien ignorant des quelconques voisins qui pourraient entendre. Peu importe. La colère laisse place au soulagement aussitôt que je la piège dans mes bras et tant pis si elle me frappe ou me repousse, ou si ses pieds quittent le sol un instant. Ou si je pue comme un gobelin.

Tu sens mauvais. - Elle n'a pas tort, et quoi que je ne réagis pas le moins du monde à ses mains qui me repoussent, ses paroles suivantes me tirent un rictus. - Je n’avais pas envie de répondre. Il n’y’avait rien à dire, quoiqu’il en soit. - I beg to defer. - Dis-je, le soulagement laissant place à une certaine confusion. L'intervention passe de toute façon inaperçu. - J’étais avec père, il n’y’a pas de quoi s’affoler de la sorte. - Si encore j'avais été au courant. - Lâché-je plus sèchement. - Evite d’être expansif comme cela, c’est une faiblesse. - Quelques secondes seulement. Une minute peut-être. D'un profond soulagement, mon visage exprime désormais une indignation rarement ressentie.

Son étude de mon état physique me passe bien au-dessus. Je l'entends à peine, à vrai dire. Je l'observe arranger sa robe comme si mes gestes l'avaient dérangée. Comme un obsessionnel réaligne quelques stylos sur un bureau. Froideur. Distance. Arrogance. Comme si je n'étais plus assez bien pour elle. Edward? En d'autres temps j'aurais été outré par le choix de retourner vers lui, mais quelque chose de plus pressant se tient devant moi et je me demande à quel point le géniteur en est responsable. - Tu devrais appeler une amie, pour t’apaiser. - Le plus étrange? Lorsque le jaune disparait, aucun rouge ne vient le remplacer. Mes cheveux se hérissent mais demeurent profondément noirs. - Don't you DARE walk off on me like that!

La voix claque, vent cinglant résonnant dans l'immeuble comme l'écho d'une masse contre la roche. - J'apprends par le journal que mon frère est à Azkaban. Qu'il a tué son père. Tout ça après que tu sois partie pour essayer de l'aider. Impossible de te trouver, ni au Ministère, ni ailleurs. Aucunes nouvelles. Et tu penses sérieusement que je vais tolérer ton attitude glaciale?! - Mon poing s'écrasent contre le mur à côté de moi. - La dernière fois que j'ai été sans nouvelles comme ça, tu as atterri ici à l'article de la mort! - Voix forte, grave. Je lève rarement la voix et même moi suis surpris d'à quel point elle porte. - Tu n'as aucun droit de venir ici me dire qu'il n'y avait rien à dire alors que je viens de passer deux mois à me demander si tu étais réellement vivante!

Quelle importance ? - Quelle imp... Mon cerveau s'éteint un instant, comme cour circuité. Je n'ai pas le temps de retrouver ma contenance  qu'une nouvelle salve de non sens file. - Azkaban sera une dernière demeure très convenable. - Le sang bout. - Il est des détraqueurs insoupçonnés parmi nous. - L'espace d'un instant, l'envie de lui rétorquer que l'un d'eux se tient face à moi me prend, et puis elle passe. Ravenna n'a jamais été la plus expressive des femmes, tenues par le rang et l'habitude, mais c'est différent. Froid, limite cruel. Elle n'a jamais été cruelle. - La violence n’est pas digne de toi. - Et l'indifférence, de toi. - Dis-je simplement, besoin de placer ne serait-ce que quelques mots. - Je n’avais effectivement pas le droit de venir te déranger. Attends-tu des excuses ?

Le ton a beau être neutre, je ne peux ignorer l'impression d'insolence. - Des excuses ne valent rien sans les actions qui les accompagnent. - Commenté-je en secouant la tête. - Ce que j'attend, ce sont des explications. Qu'on me dise enfin ce qui s'est passé, autrement que par des détails vagues extirpés entre deux rapports, ou des articles de journaux aux opinions biaisés par l'ignorance. - Je tourne la tête vers le loft. - Tu veux faire quelque chose? Entre. Racontes-moi. Je vais faire un peu de thé. - Mes épaules s'affaissent un peu. - J'ai besoin de savoir. - Une longue seconde passe, une éternité à mon regard, avant qu'elle n'accepte. Je fais alors un pas de côté et ferme la porte lorsqu'elle est à l'intérieur.

L'état du loft est discutable. L'espace boulot a disparu sous les parchemins. Seule une chaise s'en détache, celle que j'occupe quand je ne suis pas debout à faire les cents pas. Le côté salon est relativement intact, si on ignore la couverture en tas sur le canapé, les tasses et verres sur la table basse; et le gros pot de plante à Pipaillon, posé sur le fauteuil, dont les fleurs s'agitent inlassablement. Quelques assiettes jonchent l'évier mais la théière a l'air propre. La laissant s'installer à la table, miraculeusement épargnée, je m'en vais mettre de l'eau à chauffer et quelques doses de thé dans la théière, d'une boite attrapé sur l'une des étagères. Le "Earl Grey" est un peu râpé. J'ai tendance à garder les boites, celle-ci est probablement l'une des plus vieilles.

Baguette déposée sur le plan de travail, je reviens avec deux tasses et un petit pot de sucre. Dans mon dos, l'eau commencent déjà à frétiller. - Ce ne sera pas long. - Dis-je en déposant mon petit chargement. - Est-ce que tu étais là lorsque c'est arrivé? - Demandé-je alors sans détour. - Quand il l'a tué?

Je n’ai pas d’explication à fournir, Tobias. - Je trouve ça difficile à croire. Qu'elle, en ayant été sur place, n'en sache pas au moins à peine plus que moi, qui n'était pas là. Et loin de l'être. Le son de l'eau bouillonnante attire mon attention et je fais demi-tour. Agile malgré la fatigue, je verse l'eau fumante dans la théière, attend quelques secondes, et verse la courte infusion dans les tasses. - Je n’étais pas là. C’était terminé entre nous, c’est tout. - Je me fige, le thé continuant de couler jusqu'à déborder. De quoi me faire réagir. Je n'étais pas au courant. - J’ai été idiote de penser qu’il pourrait vouloir d’un avenir. Je suis partie, je l’ai abandonné, fin de l’histoire.

Je ne savais rien de tout ça. Elle ne répondait à aucune de mes lettres. Il ne peut pas en faire plus depuis Azkaban. Pensif, je reviens vers elle avec les tasses et dépose une devant elle, celle qui n'a pas débordée. - Je n'en savais rien. - Dis-je à la fois confus et accusateur. Si elle m'avait répondu, je serais certainement moins dans le noir. M'installant face à elle, j'essuie mes doigts humides sur mon pantalon. - Père doit s’inquiéter. - He'll live. - Dis-je d'un air détaché, bien peu intéressé par le bien être de cet enfoiré. Depuis quand s'inquiète-t-il pour sa fille? A-t-il peur qu'elle se blesse avant qu'il ne le fasse lui-même? Je saisis la tasse et hume les parfums qui s'en échappent, mais est interrompu avant de la porter à mes lèvres. - Tu devrais demander à madame Avery. Elle n’est pas si glaciale.

Un sourcil arqué, j'expulse un rire jaune. - Elle ne m'aime pas plus que toi. J'étais une influence extérieure pour son fils qui était déjà bien trop loin d'eux. Je suis sûr qu'elle me blâme pour ça, en tout cas partiellement. Elle ne savait pas que l'on correspondait durant notre adolescence, mais lorsqu'il est revenu à Londres, on ne s'est pas vraiment caché. - Mais à ce moment-là, Phineas avait déjà un pied dehors et les jambes autour d'un balais. Il était déjà partis, et comme on se l'était déjà dit, l'opinion de ses parents importait peu. Qu'est-ce qui a changé entre temps? Comment les choses ont-elles pu aller si mal? - Comme quoi, il y a des choses à dire. Je ne savais pas comment les choses ont tourné entre vous. Il ne m'a rien dit et après Wayne, il ne pouvait plus rien dire du tout. - Un frisson court dans mon dos à l'idée qu'un Détraqueur me hante jour et nuit. - Ce n'est pas pour rien que je te demande. Après tout, tu es première concernée dans cette histoire. - Mon regard dérive un instant avant de revenir à elle. - Tu dis qu'il ne voulait pas d'un avenir. Que s'est-il passé? Je sais qu'il a toujours fait un blocage sur l'engagement, mais il avait l'air de dépasser ça avec toi.