Constellations de verres brisés sur le sol tâché de cendres et de sang, les éclats cristallins comme autant de débris de son âme déchirée, éclatée par l’atroce nouvelle. Le chagrin comme un animal enragé qui s’acharne en dedans, ravage, détruit, tout ce qu’il reste de son humanité de ses griffes et de ses crocs, jusqu’à ce qu’il ne reste rien, rien que le néant et la peine, et un rire qui se meurt au-delà des couloirs noyés de ténèbres. Poitrine ouverte, déchirée, Theseus s’effondre à genoux, submergé par toutes ces émotions dont il se croyait dépourvu. Il accuse le violent revers de la réalité, les mains couvertes de cristal et de carmin, ombre de lui-même parmi les portraits désertés de ses ancêtres, lacérés par sa souffrance, par la magie chargée de douleur qui court sous sa carne tremblante, à vif, destructrice.

Son fils. Enlevé, comme ça, pour rien, quelque caprice du destin, un accident, une chute et une seconde se transforme en éternité, le visage de l’enfant qui se fige dans la mémoire. Nicholas, prisonnier à jamais de ses douze ans, condamné à ne devenir qu’un souvenir. Nicholas qui avait l’avenir devant lui, héritier d’une lignée sacrée, fierté de son père, Nicholas solaire, contraire des horreurs de la guerre, Nicholas destiné à tellement plus grand, tellement plus beau, prince couronné d’un monde construit par les sacrifices des siens. Le fils devient fantôme, vision diaphane de ce que le temps laisse derrière lui, écho misérable de toutes les promesses et les espérances, toute cette vie qui ne sera jamais vécue. Theseus meurt aussi, embourbé dans sa fureur, submergé par les monstres qui veillaient silencieux au creux de son être.

Il se relève péniblement, le poids des désolations lourd sur ses épaules courbées, l’océan de ses yeux déchaînés, obscurcit par l’orage, les prunelles teintées de nuit se posent un instant sur le squelette évanescent du messager. Il s’en détourne, dénué de regrets, et  trouve parmi les fragments un verre survivant qu’il tâche de ses doigts ensanglantés, dans lequel il verse l’oubli, l’ambre qu’il voudrait salvatrice, qu’importe la saveur tant qu’elle l'anesthésie, qu’elle étouffe la peine, ce cri, ce pleur, qui s'amplifie dans l’fond d'son coeur.

77 the white lady street, manoir malfoy.

La nouvelle lui avait étreint le myocarde. Sensation étrange dont elle ne s'était pas encore débarrassée. Comme un écho de la peine que le père devait ressentir. Ami trop précieux pour l'abandonner à son sort. Même si elle ne comprends pas cette douleur. Prête à l'infliger elle-même. L'outrage déjà accompli. Besogne consumée. C'est la femme et la mère qui avait envoyé le hibou. Consciente de n'être rien. Le duo extra conjugal plus fort que ne le serait jamais leur mariage. Elle ne pouvait l'atteindre. Bellatrix, elle, détenait ce pouvoir. Son esprit déjà loin, elle ne réfléchit pas en emportant son long manteau. A peine quelques mots, explication succincte pour justifier son départ précipité. Elle n'a que son nom à la bouche, Theseus aux bord des lèvres. He needs me. Pensée obsédante. Prête à tout pour lui. Folie à deux. Elle s'évapore dans un craquement simplement pour mieux réapparaître quelques demeures plus loin. Là, dans cette rue au calme apparent, se joue le drame de toute une vie. Un œil sur le manoir suffit. Les jets de lumière se succèdent accompagnés de fracas. Les murs tremblent. Rien qui n'impressionne Bellatrix Lestrange. Les coups sont frappés. Les destins scellés. « Oh maîtresse Lestrange. » L'elfe mal à l'aise saute d'un pied sur l'autre, obligé de dégager le passage, retenant un couinement quand la sorcière le pousse sans ménagement. « Maître Malfoy n'est pas disposé... » Un regard étincelant de menaces silencieuses et la créature s'écrase. Elle connaît le chemin par cœur. Manoir qui aurait pu être le sien. Une autre vie.

Le bois des vieux escaliers craquent sous son pas léger mais à l'étage il n'y a personne pour y prêter la moindre attention. La porte s'ouvre lentement, poussée timidement par des doigts filiformes. Spectacle désolant. L'horreur qui se mêle au désarroi. Les tableaux éventrés, les cristaux éclatés, le miroirs devenus poussière. Des fragments de lui-même. « Oh Theseus. » soupir las, tristesse dans le fond de la gorge. Elle reste figée Bellatrix. Mesure du vide impossible à prendre. Détresse qui la dépasse complètement. Le cœur brisé de le voir comme ça. Quelques secondes pour inspirer profondément et plonger dans le chaos. Elle avance à pas de velours, sa baguette dépassant à peine de sa main. Juste assez pour lancer le sortilège silencieux, se frayer un chemin parmi les débris. Pas un pour la toucher, s'enfoncer dans ses talons aiguilles. Le regard voilé, elle s'agenouille devant le roi brisé. Tout à coup désemparée, à court de mots. Le souffle court, le cœur qui bat à peine de le savoir en détresse. Et la gorge sèche, les cordes vocales rétractées par cette douleur qui n'en fini plus. Sa main libre qui rejoins la sienne. Le sang qui se mêle et les débris de cristal qui se partagent les chairs désormais liées. What is yours is mine. Les âmes jumelles. « Tu n'a qu'un mot à dire et je déchaînerais les enfers. » Pour toi. Pour Nicholas.

77 the white lady street, manoir malfoy.

C'est comme si le monde s'effaçait. Devenu en une fraction de seconde un enfer. L'inimaginable qui prend vie. L'impensable qui vient se briser sur leurs coeurs. Et qui prend ce qu'il leur reste d'humanité. Il est jeté à terre le grand Malfoy. Par un simple coup du destin. Un accident. Un tragique accident. Et tout son monde s'écroule. Elle ne peut qu'être témoin Bellatrix. Pas vraiment capable de comprendre. L'humanité déjà effacé. Elle a mal pour cet autre qui fait parti d'elle depuis si longtemps. Le désespoir dans la voix qui lui brise le cœur. La résignation qui la frappe. Coup de poing du sort. Mauvaise blague. Elle espère encore qu'un autre prenne sa place. Ce gamin là ne méritait pas ça. Son Theseus ne mérite pas ca.

Elle serre aussi fort qu'elle le peut. Comme pour le rattraper. Etre certaine qu'il ne s'échappe pas lui aussi. Leurs mains liées dans une danse macabre. Elle en ressent les moindres sursaut, les tressaillements qui le trahissent. Ces petits rien qui font de lui un homme. Rien qu'un homme. Plus un père. A peine l'ombre d'un mari. Il y a ce regard vide qui lui coupe le souffle. Ces deux grands yeux à la recherche de réponses. Le sel qui menace de rompre. Et elle qui pourrait se laisser emporter. Elle prête au grand saut. Pour lui.

"Que s'est il passé ?" qu'elle parvient à articuler du bout des lèvres. A peine un murmure. Quelques mots qui dérangent, viennent troubler le silence. L'atmosphère lourde de l'absence du gamin. Douleur amère qui pique. Elle ne peut qu'imaginer Bellatrix et se dire qu'on ne se relève pas d'une telle épreuve. En comparaison, perdre une sœur n'est rien.

Elle qui le retient, l'empêche d'approcher les ténèbres. A bout de souffle, le corps secoué par la nouvelle. Sa main comme seul secours. Elle le retient du bout des doigts Bellatrix. Ce grand qui s'écroule. Ce Dieu qui n'a jamais perdu et qui se retrouve à genoux. Pour un rien. Un vulgaire accident. Le cœur qui ne battait que pour lui, ce gamin au destin prometteur. Brutalement arraché. Rendu à la terre. Sans que personne n'y puisse rien. Les dés jetés et truqués avant qu'ils ne retombent sur le sol froid. Destin cruel que le leur. Celui qui l'a fait aimer à s'en brûler les ailes. Ce destin qui l'abandonne. Le couteau s'enfonce loin dans les chairs, laisse sa marque. Elle est incapable de comprendre Bellatrix. Elle qui s'est fait bras armée de la Mort. Elle qui n'éprouve aucun remords. Dénuée de tout amour maternel. Pourtant témoin des joies apportées par Nicholas. Ces sourires qui finiront par s'évanouir dans sa mémoire. Son rire innocent. L'injustice qui fait son chemin dans ses veines. Elle aspire les sentiments qui anime Theseus. Comme une sangsue. Espérant contre tout espoir le soulager un peu. Partager son fardeau. Rien de ce qu'elle dira ou fera ne changera rien. Le monde est déjà plus gris. Un peu plus morne. Les minutes s'allongent à l'infini. Comme une mauvaise blague. Un jeu malsain. La Mort aux commandes. Faucheuse impitoyable. « Il n'a pas souffert. » Maigre consolation. Les mots s'étranglent dans sa gorge, les yeux mouillés par l'émotion qui transpire entre eux. L'impression implacable d'être inutile, futile.

Il s'accroche à elle autant qu'elle à lui. Deux âmes perdues dans l'immensité d'un monde devenu hostile. Lui déchiré. Elle abasourdie. L'incompréhension dans le blanc des yeux. Le besoin de faire quelque chose, de lui donner plus. Tout lui donner. Lui rendre l'impossible. Repartir. Revenir en arrière. Tout changer. Lui faire oublier cette tragédie. Prétendre que ça n'est jamais arrivé. Lui rendre son bonheur. Le voir à nouveau sourire. Quelque chose se brise au fond d'elle. Écho douloureux fait à ce frère. L'âme jumelle qu'elle suivrait jusque dans les enfers. « Je suis là. Je ne vais nulle part. » Jamais. Ils n'arriveront pas à nous séparer. Leurs pâles tentatives jamais assez puissantes pour les éloigner. Tous les mariages n'y feront rien. Ces unions sacrées et consacrées. Pour le meilleur et pour le pire. La promesse silencieuse de deux gamins.