Emportée par un train qui n'a pas encore de terminus, Mayra se laisse guider vers l'inconnu. Parfois avec délice, le plus souvent avec crainte. Angoisse lancinante du déraillement. Fin de course. Le paysage défile sous ses yeux arrondis. Des arbres en flammes aux immeubles réduits en un tas de débris. Poussière qui vous empoisonne les poumons. Elle se tient au milieu d'un champ de bataille qu'elle n'a pas vraiment choisi. Tiraillée entre deux mondes. Ecartelée. Le cœur brisé par toute cette souffrance. Incapable d'y mettre fin. Elle ne peut que lever le poing, crier à en perdre la voix, s'en brûler les poumons. Exister pour les disparus. Créer quelque chose de meilleur pour ceux à venir. Elle y croit encore Mayra. Des idéaux plein la tête. L'envie de changer le monde, bouleverser les esprits. Engagée dans toutes les luttes. Le danger qui rôde à chaque coin de rue. Et elle qui continue d'avancer. Elle qui se lève encore chaque matin pour rejoindre son lieu de travail. Et tant pis si on la reconnaît.

Le Between Worlds est pratiquement plein côté moldu. Les sorciers sont plus discrets, éparpillés. Les nouvelles sont rares. Tout comme les visages familiers. Elle slalonne habilement entre les tables Mayra, serveuse préférée qui a ses tables. Les habitués qui viennent échanger quelques banalités avec elle. Son sourire qui réchauffe, son regard brillant. Et puis il y a ceux qui ne veulent pas d'elle. Ceux qu'elle évite. Les préjugés ont la vie dure même de ce côté de l'Atlantique. Elle ravale sa fierté. Tout pour ne pas faire d'esclandre. Ce travail elle en a trop besoin. « Une minute, j'arrive ! » C'est à peine si elle a mémorisé le visage qui vient d'entrer. Le temps elle le prendra après Mayra. Dans une minute. Juste après avoir débarrassé cette table de trois un peu pressée par le temps. « Voilà. Bienvenue au Between Worlds, que puis-je pour vous ? » Elle le prend enfin ce temps pour observer le visage qui ne lui dit rien. Un sourire chaleureux toujours accroché aux lèvres.

Son monde bouge à une vitesse folle, presque incontrôlable. Et Mayra tente de garder la tête hors de l'eau. Elle se noie volontiers dans le travail. Tout pour ne pas penser à cette vie qui l'attends dehors. A ce vide qui grandi au fond de son cœur, lui bouffe l'âme. Toujours volontaire pour toujours plus d'heures. Comme si la solitude l'effrayait, elle qui n'a jamais eu besoin de personne pour exister. Elle qui aime se retrancher dans sa solitude, au fond de son lit avec un livre. Voilà que le silence l'angoisse. Parce qu'avec lui vient les questions. Et toutes ses pensées qui restent en suspens. Des et si qui résonnent trop fort. Le choix elle ne l'a pas vraiment. Elle ne se l'offre pas. Elle avance Mayra. Avec cette volonté qui lui est propre, cette force qu'elle puise au fond d'elle. Le regard qui se tourne vers ce passé brumeux pour apercevoir le visage de ses ancêtres. Tous ceux qui lui ont tout donné pour qu'elle soit ici, en vie. Déchirée entre deux mondes.

Elle ouvre son petit carnet, sourire aux lèvres et prend note. « Un lemon, ça marche. » Client inhabituel dont le visage ne lui dit rien. Un inconnu de plus. Rien qu'un passage. Le carnet à nouveau rangé dans son tablier, elle débarrasse rapidement la table, y passe un coup de chiffon. « Oui oui, la cuisine est encore ouverte. » Elle s'empare d'un menu abandonné sur une table voisine. « Prenez votre temps. Si vous n'êtes pas familier avec la cuisine française je peux peut-être vous faire une recommandation ? » Elle-même avait dû trouver ses marques dans ce nouvel univers. Elle était finalement devenue douée Mayra, appréciant les bons mets proposés. Audacieuse, toujours avide de découvertes. « Mon nom est Mayra. Si vous avez besoin de quoique ce soit n'hésitez pas à m'appeler. » Son sourire qui ne la quitte pas. Chaleureuse avec tous les clients. Même les pires. Même ceux qui refuse qu'elle les sert. Elle transpire la bonne humeur Mayra.