La mascarade n’avait que trop duré, il était temps d’y mettre fin. C’était dans cette optique que Mara s’était rendue une nouvelle fois à Ste Mangouste, bien décidée à ne pas repartir bredouille. Elle avait tenté la manière douce, elle avait tenté la manipulation, mais cette fois ce serait la manière Lestrange. Elle en avait soupé des manières obséquieuses de ces larbins autrefois à ses pieds, qui avaient retourné leur veste si facilement et qui pourtant continuaient de lui passer de la pommade dans le dos. Elle ne voulait plus de leurs sourires mielleux qui ne dissimulaient que trop mal leur hypocrisie. Elle les avait toujours mal supportés, mais s’y était faite au fil des années, préférant les ignorer plutôt que trop les côtoyer. Elle tirait une grande satisfaction du contrat qu’elle avait alors avec Ste Mangouste, un contrat gagné de haute lutte pour obtenir l’exclusivité sur certaines potions bien spécifiques, et ce contrat valait bien qu’elle subisse quelques contrariétés avec le personnel administratif de l’hôpital. Mais il n’y avait plus de contrat. Envolée, l’exclusivité. Et perdues toutes les possibilités de faire jouer ses exigences dès que ça lui chantait, pour le seul plaisir de mettre la pression sur de minables sorciers pas capables de remuer un chaudron correctement. Quelqu’un était passé devant elle et lui avait volé le marché. Quelqu’un dont on avait tu l’identité, sous couvert de la confidentialité et d’une saine et loyale concurrence. Mara se fichait bien de la loyauté et des règles de la concurrence. Elle voulait récupérer son contrat et personne ne l’en empêcherait.

Le rempart de la bureaucratie se dressa une nouvelle fois sur son chemin sous la forme d’un homme à la stature moyenne, dont les genoux tremblaient avant même qu’elle ne commence à parler. Sa pitoyable petite résistance aurait pu amuser Mara si son humeur n’avait pas été si exécrable. Elle ne montra aucune pitié pour cet homme qui n’était pour rien dans cette situation, et lui mit la pression jusqu’à ce qu’il craque. Mais il fallut bien qu’elle reconnaisse à cet homme un peu de courage, car même alors qu’il se répandait en excuses pour la perte de ce contrat, alors même qu’il tentait de justifier ce qui s’était passé d’une voix trop haut perchée, lui expliquant laborieusement que l’hôpital avait préféré embaucher une personne à temps plein plutôt que garder un fournisseur extérieur, pas un seul moment il ne lâcha le nom. Mais Mara avait eu suffisamment d’informations, et elle abandonna sa proie sans un regard en arrière, le laissant se remettre de ses émotions comme il l’entendait. Mais au lieu de quitter l’hôpital, elle s’enfonça dans les couloirs et les escaliers, se dirigeant à grandes enjambées furieuses vers le fief du nouveau potionniste. Ils étaient peu nombreux à pouvoir préparer les potions dont elle avait eu la charge jusque là, et elle ne voyait pas qui avait assez de talent pour l’avoir supplantée au point d’être embauché ici de façon permanente. Qui que ce soit, elle allait le renvoyer d’où il venait et retrouver sa place privilégiée.

Elle poussa la dernière porte qui la séparait de son rival et pénétra dans la pièce du potionniste. Elle n’avait jamais voulu travailler ici, préférant de loin son propre atelier, pourtant le lieu ne manquait pas d’attrait. Mais elle jeta à peine un regard aux chaudrons et aux étagères, cette fois. Elle se dirigea droit vers la silhouette au fond de la pièce, prête à déployer le grand jeu. L’homme se retourna, dévoila son visage, et elle s’arrêta net, coupée dans son élan par des traits familiers ressurgis du passé. « Mara ? Ça fait un bail, qu’est-ce que tu fais ici ? » Elle l’avait reconnu aussi bien que lui-même l’avait fait, malgré les années qui étaient passées depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Harlan Bell. « Je suis venue récupérer ce qui m’appartiens. » Lâcha-t-elle avec une moue méprisante. Elle s’approcha de lui, un rictus naissant sur ses lèvres. « Ca va être moins difficile que prévu, je m’attendais à ce qu’ils aient embauché un vrai potionniste, pas un amateur. »

Poudlard, la belle époque. C’était alors le temps de l’innocence relative, où Mara s’échappait des contraintes de sa famille et de son sang pour faire ses propres choix et suivre sa propre voie. Elle s’était émancipée dans le vieux château écossais, malgré la tempête qui faisait rage à l’extérieur, malgré la trahison d’Arsen et la pression qui n’en était devenue que plus forte sur les épaules de la jeune fille qu’elle était alors. Elle avait choisi les potions pour elle-même, ça avait été une de ses premières décisions conscientes et délibérées. Une vraie libération, de trouver ce qui la distinguait, ce qu’elle aimait. Et la compétition avec Harlan Bell avait rendu la discipline plus intéressante encore. Se battre constamment avec lui, alors qu’il avait plusieurs classes d’avance sur elle, avait été un de ses plus grands plaisirs d’école. Quelle satisfaction que de le surpasser sur certaines potions, malgré son âge et son expérience ! Et quelle satisfaction de recevoir en retour une hargne aussi furieuse que la sienne, pour que la barre se place toujours un peu plus haut … Il avait été un compétiteur convenable, et son départ de l’école avait profondément déçu Mara, qui n’avait plus retrouvé cette excitation avec aucun de ses camarades après lui.

Mais les choses avaient changé. Elle n’était plus une enfant. La compétition pour le plaisir de la compétition ne l’intéressait plus. Elle voulait gagner, écraser ses adversaires, et régner. Sans partage. Les potions étaient la dernière chose qui n’appartenait qu’à elle, son dernier refuge face à l’adversité. Point de Rosier ou de Lestrange ici, point de sang, pur ou non. Juste son art, ses décisions, ses réussites. Elle ne pouvait pas lâcher quoi que ce soit, céder la moindre parcelle de ce terrain durement acquis. La présence d’Harlan dans cette pièce où elle n’avait jamais eu besoin de mettre les pieds était une humiliation, et elle ne doutait pas qu’il l’ait détrônée en toute connaissance de cause. Mais il ne savait pas à qui il avait affaire.

La surprise d’Harlan fut de courte durée. « Lestrange, c’est toi alors ? Pas vraiment surprenant que tu aies épousé un type comme ça. » L’insulte la heurta, et son visage se figea en une expression plus dure. Malgré tous les désagréments amenés par son mariage avec un type comme ça, malgré la misère quotidienne que cela représentait, elle portait toujours ce nom avec fierté. « Critiquer mon mariage, comme c’est pitoyable. Est-ce que je te demande à quelle sang-de-bourbe tu t’es marié, toi ? » Répliqua-t-elle avec une moue méprisante. Nul doute qu’il se soit acoquiné avec la fange de la société sorcière, c’était bien son genre. « Mais je me fiche bien de ta vie privée. » Ajouta-t-elle avec un geste vague de la main. « Je suis ici pour le contrat que tu m’as pris. »  Elle venait le récupérer. Elle était la meilleure potionniste de Londres, bien meilleure qu’Harlan ne le serait jamais. Elle ne voulait pas savoir ce qu’il avait fait jusque là, qui il avait servi, pour qui il avait travaillé. Qu’il retourne de là où il venait avant de regretter d’avoir pris sa place à Ste Mangouste, c’était tout ce qu’elle demandait. « En tous cas, ils ont résilié ton contrat après avoir constaté que mes potions étaient d’une meilleure qualité que les tiennes. Qui est l’amateur, hein ? » Harlan était détendu, son ton suggérait une camaraderie qui n’existait plus entre eux et que Mara ne reconnaissait certainement pas. Elle secoua la tête, comme si son sous-entendu ne la touchait pas. « Mes potions sont excellentes. Je ne sais pas comment tu as fait pour les convaincre qu’ils avaient besoin de t’embaucher, mais ils se rendront vite compte de leur erreur. » Elle s’en assurerait, par tous les moyens possibles. « Et ils reviendront vers moi en pleurnichant pour sauver leurs patients. »

« Pas marié du tout, comme ça, ça règle la question. » A cette information, Mara eut une moue dédaigneuse, automatisme inculqué par une éducation prônant le mariage comme sacro-sainte règle de vie. Pourtant si elle avait voulu être honnête, elle aurait reconnu que le mariage n’était pas toujours la solution, et que savoir Harlan encore libre de tout engagement n’était ni une honte, ni un désagrément. Mais l’honnêteté n’était pas la force première de Mara, surtout pas envers elle-même, et encore moins devant un rival de la trempe d’Harlan. Et à cet instant, elle se contrefichait bien de savoir ce qu’était devenue la vie de son ancien camarade d’école, reniant volontairement les sentiments diffus qu’elle avait pu avoir pour lui du temps de son adolescence, des sentiments depuis longtemps oubliés. La seule chose qui importait était ce poste qu’il avait raflé et qui la pénalisait, elle.

« Ton contrat est terminé. » Il n’avait pas besoin de le lui rappeler, elle en était parfaitement consciente. Il jubilait visiblement d’avoir pris sa place ainsi, mais il n’en profiterait pas éternellement. Mara avait le bras long, et les récents mouvements politiques jouaient en sa faveur à elle, pas en celle d’un sorcier moyen comme Harlan. Peut-être que ses potions étaient bonnes, elle n’en doutait pas réellement de toute façon. Il était doué, c’était ce qu’elle aimait en lui à l’époque de Poudlard, il était un véritable compétiteur et elle s’était améliorée grâce à lui, en se comparant toujours à ce qu’il faisait, en se poussant pour l’égaler et le surpasser. Mais elle l’avait surpassé, elle en était tout à fait certaine. Elle n’aurait aucun mal à l’éjecter de cet endroit, et ce serait elle qui jubilerait, ravie de l’écraser à nouveau, comme lors de leur scolarité. « Je suis potionniste en chef maintenant et j’ai l’intention de faire en sorte qu’aucun contrat ne soit signé avec qui que ce soit d’affilié de près ou de loin aux mangemorts. » Une expression de surprise soigneusement composée s’afficha sur les traits de Mara. « Soyons honnêtes cinq minutes, les patients sont plus en sécurité comme ça. » Elle avait beau jouer le rôle de la potionniste diffamée, les mots d’Harlan la touchaient bien plus profondément qu’elle ne le laissait voir. Son travail avait bien plus d’importance qu’une quelconque allégeance, et elle tenait à être toujours irréprochable, à fournir le meilleur pour être reconnue comme telle. « Tu insinues que je suis un Mangemort ? » Elle secoua doucement la tête. « C’est une grave accusation, Harlan, j’espère que tu en es bien conscient. Et une insulte, par-dessus le marché. » Ajouta-t-elle avec une petite grimace outrée. Elle ne portait pas la Marque, et ne le ferait jamais. Certes, son camp était celui des Mangemorts, et elle les fournissait tout autant qu’elle avait fourni l’hôpital, mais ce n’était pas à Harlan d’en juger. « Renseigne-toi un peu mieux avant de proférer tes odieuses calomnies, je n’ai jamais nui à aucun patient en neuf ans de contrat avec Sainte Mangouste. Ils n’ont jamais eu à se plaindre de mes services. » Elle planta ses yeux dans ceux d’Harlan. « Seras-tu capable de faire aussi bien ? Les accidents sont si vite arrivés … » Fit-elle avec un air parfaitement navré.

Mara n’avait jamais douté de ses capacités à créer des potions. S’il y avait bien un domaine où elle se savait être excellente, c’était celui-ci, et personne ne pourrait le lui enlever. Pas même Harlan Bell, avec ses sourires en coin et son arrogance. De ce côté-là il n’avait absolument pas changé depuis Poudlard, bien que les années aient passé et qu’ils aient chacun vécu leur vie de leur côté. Il n’était plus un ado, mais il était tout aussi agaçant qu’il avait pu l’être à l’époque. A cet instant, furieuse qu’il ait pris son poste et qu’il s’en vante devant elle, elle oubliait totalement qu’à un moment ils avaient été plus proches que ça, qu’elle avait ressenti pour lui autre chose que de l’agacement. Ce moment avait été fugace, facilement recouvert par tout le reste. Après tout, ils étaient rivaux à présents, comme ils l’avaient été plus jeunes. Et à nouveau Mara se sentait prête à se battre avec tout ce qu’elle avait pour lui enlever son sourire des lèvres, pour le rabaisser plus bas que terre. Et surtout, pour récupérer son poste. Elle n’était pas juste la femme de, elle n’était pas juste une marque – inexistante – sur son bras, elle était une personne à part entière qui tenait à être reconnue pour ses talents.

« Une insulte, vraiment ? Je pensais que les mangemorts étaient plutôt fiers de ce qu’ils étaient. » Elle retroussa les lèvres en une grimace éloquente. « Peut-être que tu en es pas une, mais tu as épousé l’un d’entre eux, alors je suppose que ça devrait pas être si insultant que ça. » Cette fois l’agacement fut réel et elle ne feignit rien du tout. Certes, l’appartenance de Rabastan aux Mangemorts était plus ou moins de notoriété publique, mais ils s’en défendaient malgré tout. Il avait une image publique parfaitement nette … Du moins, il l’avait eue, avant. Depuis il avait passé deux ans en prison et cette image s’était passablement ternie, causant à Mara une colère amère. Leur famille avait beaucoup pâti de cette période sombre, et Harlan venait remuer le couteau dans la plaie. « Alors c’est ça, pour toi je ne suis que la femme d’un Lestrange, et rien d’autre ? » Lança-t-elle avec colère. Elle n’allait pas défendre Rabastan, ça ne servait à rien, mais elle allait se défendre elle. « Je ne suis pas Mangemort, je suis la meilleure potionniste que cet endroit ait vu jusqu’à aujourd’hui. » Ca au moins, elle en était certaine. Et même si Harlan pouvait encore voir des doutes – insupportables – sur son intégrité professionnelle, elle-même ne doutait pas. « Je fais déjà mieux que toi Mara. » Elle grinça des dents, mais elle commençait à comprendre. Ce n’était pas un hasard s’il était là et qu’elle avait été évincée. Il ne cessait de ramener son nom de famille et les Mangemorts sur la table, ce n’était pas non plus un hasard. Quelqu’un l’avait virée parce qu’elle était une Lestrange. Le poids de son mariage se fit une nouvelle fois sentir, mais elle refusa de se laisser abattre par cette réalisation. Elle était une Lestrange, elle avait accepté ce fait il y a bien longtemps et elle avait appris à faire avec. Elle allait continuer ainsi, et leur prouver à tous qu’ils se trompaient sur son compte, malgré la réputation de son mari et de son beau-frère. « Ca n’a jamais été le cas, ça ne l’est toujours pas aujourd’hui. Ton accession à ce poste n’est que politique, et pas du tout liée à tes capacités. » Elle s’était faite narquoise, à présent. Elle s’approcha de lui et planta son index sur sa poitrine, arrogante et à nouveau sûre d’elle. « J’ai toujours été meilleure que toi … Et si le seul problème ici est mon nom de famille, ne t’inquiète pas, je saurais très vite en faire mon avantage. » Elle haussa les épaules. « Après tout, j’ai déjà fait amplement mes preuves et je n’ai jamais fait la moindre erreur. Tandis que toi … Un seul faux pas, et tu seras dehors. » Lui souffla-t-elle au visage, un sourire innocent sur les lèvres.