I hope we never meet again. Il n’entend que ça, que cet écho incessant, infatigable, qui cogne et qui grince et qui fait perler des regrets au bord des opales où se reflète la ligne de l’horizon. L’infini, le voyage, au-delà du lac, l’aventure, la lisière du monde qui le nargue, la liberté qu’il n’a jamais su, qu’il n’a jamais pu, savourer. Les pognes dans les poches, il traîne des pieds sur les galets tâchés de souvenirs, de marques laissées là bien des années plus tôt par deux adolescents rêveurs. Il ne sait pas bien ce qu’il fait là Astor, tous ses secrets sur l’épaule, toutes ces choses qu’il pourrait dire et partager pour monnayer un brin de rédemption, pour changer cet éclat dans ses yeux quand il le regarde. Peut-être qu’il veut juste une chance de lui dire au revoir, de se séparer sur d’autres mots, sur d’autres maux. Ils ne peuvent plus changer, ils ne peuvent plus prétendre, ils n’ont plus le luxe de détourner le regard ni de faire semblant. Et pourtant il est là, sur le bord de l’eau où sont nés leurs premiers baisers, où ils se sont jurés le monde et l’amour, à croire que rien ne sera jamais capable de casser ce genre de lien, qui court sous la carne et dans les veines, qui roule jusque dans chaque recoin, jusqu’au fond du coeur, où rien n’a de sens que sa main dans la sienne, ses doigts dans ses cheveux, sa joie qui flirte avec son sourire et sa chaleur, ce soleil qui lui gonfle ce myocarde soudain trop grand pour ses os, gavé d’impossible et d’amour, de cet amour qui l’étouffe encore, qui fait autant de mal qu’il fait du bien, qui le retient, Astor, au niveau du sol, au niveau des vivants, pour combien de temps…

L’endroit était un havre de paix, une enclave à eux, avant, maintenant la rive n’a que le goût amer des regrets et de tous ces instants vécus il y a trop longtemps, auxquels il a du mal à se raccrocher malgré la familiarité des lieux, les mêmes odeurs, la même fraîcheur émanant de l’onde brumeuse et de la sylve défendue auprès de laquelle il s’égare, marche lente et commémoratrice pour accompagner l’attente, l’inévitable. Il n’y croit pas. Il ne viendra pas. Il n’est plus le garçon qui trouvait refuge dans ces bois, entre les racines où ils se cachaient pour ne pas se faire prendre, où ils restaient sans bouger bien après que le murmure de leurs camarades soit passé, juste pour rester l’un contre l’autre. Lente procession entre les feuillus, adieu taciturne à l’enfant qu’il n’est plus, qu’il a trahi autant qu’il a trahi Ruben, ce gosse qui se disait qu’il avait une chance, une chance d’être heureux, une chance qui devrait être donnée à tout le monde, gamin qui n’avait rien d’un meurtrier, qui n’était pas sali de ténèbres. Comme il serait déçu de le voir, comme ça lui ferait mal de croiser le jugement de l’adolescent qu’il était, ce spectre qui n’est plus tout à fait lui, qu’il ne s’accorde plus qu’aux battements qui ne persévérent que pour lui. - I can’t believe it. Souffle-t-il en se détachant des ombres de la forêt interdite, n’osant pas s’approcher plus près, de peur de se brûler, de le faire fuir, de le perdre, complètement, irréversiblement. - You came. Et il y a un espoir fou qui s’attache au soulagement et à la tristesse.

D’eux, il ne reste rien. Rien que des souvenirs. Des formes pâles, de furtifs échos. Combien d’horreurs encore pour les effacer totalement, combien de mensonges et de non-dits pour que même ce refuge n’est plus que le goût du vide, du brouillard et du sable mouillé, pour qu’il ne signifie plus rien. Il respire mal, le contrebandier, les poumons dans un étau cruel qui se resserre à chaque regard ombrageux de son soleil. Il voudrait faire un pas, un autre, jusqu’à le toucher, l'enlacer, croire l’espace d’un instant que rien n’a changé, qu’ils s’aiment encore comme ils s’aimaient alors, se consoler contre sa chaleur, se dire que tout n’est qu’un songe abominable et qu’il va se réveiller dans ses bras, un matin d’été dans les draps froissés du Chaudron Baveur, où il a dix-huit ans et la chance enfin de changer les choses, de ne rien briser, entre eux et en dedans, de se donner une vie qui vaut la peine d’être vécue, même si elle est trop courte, au moins il n’a jamais à endurer ces yeux là. Ces yeux qui lui arrachent son souffle, lui tordent les entrailles, monstre exposé dans le reflet de ses océans, qui n’a plus le droit aux secondes chances, qui a trop de sang dans la bouche et sur les mains, coupable, fielleux, mangemort. Une main passe sur son visage pour cesser sa contemplation, l’autre fouille dans sa poche pour en dénicher un bout d’papier. Il l’observe le temps d’un battement. L’marchand de secrets n’a plus rien à perdre, alors, le parchemin maladroitement plié entre son index et son majeur, il tend les chimères à l’amant que le destin a voulu transformer en ennemi. - It’s not much, they don’t tell me much (‘til things actually have to get done), but it might help. Sa main tremble un peu, à peine, imperceptibles mouvements sous le vent venu de l’étendue noirâtre à leur côté. - Call it a.. far too late shot at some kind of redemption. Le manteau de la honte pèse lourd sur ses épaules mais il se force à rester droit, miettes d’une fierté mal placée qui n’abandonne pas le disciple de Salazar. Il a fait ce qu’il était venu faire mais ses pieds restent résolument plantés dans la poussière de verre. Sa stature et sa démarche ne trahissent pas les tourments, comédien forgé par près d’une décennie de mensonges, de vérités tues. C’est ce qui traine dans l’fond de sa gorge qui révèle le mal être, alors qu’il n’avait pas prévu d’avouer ces maux-là. - I never wanted you to look at me the way you do now. Il inspire difficilement. I thought coming here would help but, turns out even memories eventually die out. Il lui semble que l’air a déserté le monde autour de lui, et y a quelque chose qui se casse dans sa voix quand il admet ce qui fait trop mal. - And maybe some things aren’t worth saving but I think that, at least, it may be time for some truths. If nothing else is to remain between us. Alors peut-être que tu pourras me pardonner, le pardonner, lui, le gosse d’y a dix ans, qui ne savait pas bien ce qu’il faisait, qu’était juste mort de trouille, je n’ai plus d’espoir pour moi, pour ce que je suis devenu, mais j’me dis que les fantômes de notre adolescence méritent une autre fin, même s'il est trop tard pour toi et moi.

Le fantôme du crépuscule adolescent. Il mérite que tu lui pardonnes. Il mérite de s’imaginer une autre vie, une autre chance, où il a eu le courage d’être l’homme que tu méritais. Il mérite de se dire que cette dernière décennie aurait pu être différente, s’il n’avait pas fait les mêmes erreurs que moi. S’il avait eu du cran, s’il n’avait pas accordé tant de foi au destin. Si seulement il avait su que l’amour vaut plus que la mort et qu’une âme sœur n’est donnée qu’une fois, à ceux que la fortune a béni. Le voyageur est chamboulé, son cœur usé, torturé jusqu’à la trame, épuisé, bat presque à contre-courant sous les océans de l’ancien amant. Il n’est plus tout à fait lui-même dans l’antre de leur jeunesse infectée par la guerre, où même les derniers souffles de leur innocence se sont annihilés. Il avait espéré, en revenant sur le bord de cette eau porteuse de leurs promesses et de leurs songes, qu’un soupir, même rien qu’une brise, retrouverait le chemin de leurs carcasses violentées par des années d’affrontements, de chagrin et de furie, chacun bouffé par des idéaux contraires. Il avait espéré, comme beaucoup trop souvent depuis leurs retrouvailles, que d’un rien renaisse les beautés d’une autre époque. Il avait refusé de regarder la vérité dans l’fond des yeux, il avait détourné le regard, tous les jours il avait évité de croiser ses obsidiennes dans le miroir, parce qu’il savait qu’il y verrait des vérités qu’il ne voulait pas s’admettre. Le gamin des routes avait tenté d’oublier que rien n’échappe aux fils solidement tissés par Clotho, comme s’il pouvait être l’exception à la terrible règle du fatum, lui le diseur d’aventures, oracle et disciple des soeurs impartiales, à la fois élu et damné.

Le sable à ses pieds est une réminiscence du temps qui leur a filé entre les doigts, erg minuscule qui détaille les années passées l’un sans l’autre, à tenter de se construire sur les vestiges d’une histoire ratée. Tout autour d’eux n’est plus que ruines et actes manqués. S’être retrouvés un temps pour mieux se séparer, parce qu’il est devenu tout ce que Ruben s’est juré de détester, parce qu’il est de ceux supposés abhorrer tout ce que le lycanthrope représente. L’émotion serre sa gorge et l’aveu est douloureux, chaque mot comme un tesson de verre contre les fragiles parois de sa jugulaire. - I lied. Quelques secondes d’un lourd silence, il laisse la révélation envahir la bulle qui les enveloppe. That day at the Leaky Cauldron. Son torse trahit son agitation, cet affolement qui accompagne la confession précieusement gardée dans les profondeurs de sa conscience. - I never stopped loving you. Et enfin il se permet de prendre une bouffée d’air, de sentir la fraîcheur mordante du couchant se déployer dans ses poumons jusqu’à lors atrophiée par la terreur du confiteor. - I was just scared and I knew you would have been able to change my mind… and that was the only thing that’d keep you from trying. Mentir, se faire mal, à lui comme à l’autre, s’éclater le coeur pour mieux tourner les talons.