Il sent le verre se briser dans sa main, la fureur dans ses veines, qui ne se calme pas depuis qu'elle s'est jouée de lui, une fois de plus. Le feu sous l'épiderme, attisé sans aucune pitié, son souffle dément sur les braises de cet amour obstiné qui a tissé sa chute tout au long de ces dernières années. Il laisse le sang couler, carmin si pur, si précieux et dont il est si fier -- à cet instant précis, pourtant, il n'a aucune importance, pas plus que les débris de verre qui s'enfoncent dans sa paume. Si seulement ils pouvaient lui ôter de l'esprit ces images, s'enchaînant en farandole moqueuse; s'ils pouvaient détourner ne serait-ce que pour un moment, son attention de l'humiliation subie la veille, dans sa propre demeure, l'antre du loup, le seul endroit de ce manoir trop grand et trop froid, qui ne lui renvoie pas au visage de manière si criante, l'échec lamentable de son mariage. Désormais, le refuge a volé en éclat, elle en a piétiné les morceaux, pour le clouer au sol de la même façon qu'elle l'avait été, chute vertigineuse de la reine sur l'échiquier cruel. Puisque Bellatrix Lestrange, née Black avait sombré, il fallait donc que le reste du monde suive, coup de griffe rageur du prédateur qui meurt. i hate you, i hate you... pensées qui se parent de l'habit impitoyable de l'auto-persuasion.

La démarche chancelante, l'oeil vague, il inspecte la porte qui mène à ce bureau désormais synonyme d'un autre échec cuisant, réprimant un hoquet. Quelques secondes d'hésitation, les émotions contradictoires qui se déchaînent, orageuses derrière les prunelles d'acier. Il entre, guidé par une pulsion de rage, de haine intense dirigée contre elle, contre lui-même, contre sa bêtise, le fait d'être une fois de plus tombé dans son piège. Tout le mobilier, la décoration, tout n'est qu'un odieux rappel de la scène, le crime commis d'une main de maître. Sans même prendre la peine de refermer derrière lui, il s'attaque à chaque recoin de cette pièce dont la simple vue l'insupporte désormais. Les bibelots s'écrasent au sol dans un fracas tonitruant, les tableaux, dont les cadres se brisent en mille morceaux, tout subit la foudre du cadet, le pantin dont elle s'est jouée une fois de plus, foulé aux pieds, poignardé encore et encore par la main froide de l'inaccessible. Comme pris d'un accès de folie, il jette au sol tout ce qui lui tombe sous la main, sans considération pour le bruit. Tout doit disparaître, être annihilé pour ne plus porter la marque immonde de cette honte qui l'engloutit, l'orgueil blessé.

Ivre de colère, incapable de se contrôler, il n'a trouvé que ça pour apaiser les nerfs à vif. Jamais il n'a autorisé ses plus bas instincts s'exprimer entre les murs de cette demeure familiale. Jamais la colère n'avait régné à ce point sur ses faits et gestes, jamais personne ne l'avait poussé à bout à ce point; il n'y avait qu'elle, maudite sirène qui savait invoquer ses démons. Elle qui savait le consumer de cette façon sombre idiot qu'il était, qu'il avait été pendant si longtemps. Il en aurait pleuré de dépit s'il savait faire, si le sel pouvait encore s'écouler de ses yeux chargés d'éclairs.
Jamais il n'avait été aussi ébranlé, aussi enragé, c'en était presque physiquement douloureux, le poids sur la poitrine, qui comprime le palpitant, et le gonfle de cette énergie destructrice.

Il ne s'est pas soucié de savoir s'il était seul, si Mara ou les enfants étaient là -- aveuglé par cette hargne qui se déchaîne au fond des entrailles et qui ne peut s'étancher que par un déversement de cette violence qu'il cadenasse habituellement, bestialité qui n'a pas sa place dans le foyer civilisé qu'ils tentent tant bien que mal de préserver pour le bien-être des enfants.

Elle a franchi le seul, que d'ordinaire elle lui laisse entièrement; accord tacite qui leur laisse à chacun un refuge, un havre où le masque peut enfin tomber sans risque de décevoir Aga ou Ragnar, qui sont encore trop emplis de cette insouciante enfantine pour soupçonner à quel point la cellule familiale n'est qu'une coquille vide, pourrie de l'intérieure. Il ne l'a pas entendue arriver, trop occupé à tout réduire à néant, ce n'est que lorsque l'éclair jaillit de la baguette et le plaque au mur, qu'il réalise sa présence; la frustration encore à son comble. - Bordel, on peut savoir c'que tu fous..? C'est vraiment pas le moment... Lâche-t-il d'un ton sec, encore comme possédé, les yeux qui lancent des poignards invisibles, brouillés par cette fureur charognarde qui grignote la dernière parcelle de self-control qu'il aurait pu avoir en temps normal.

Il s'était pensé seul, dans les murs silencieux de la grande demeure familiale -- Eija avait regagné le château millénaire, et les jumeaux à leurs activités extra-scolaires respectives. Quant à Mara, il n'aurait su dire à quoi elle employait son temps. Ils n'avaient jamais été ce genre de couple, jamais été un couple en réalité; pas d'harmonie, juste deux vies juxtaposées par la volonté à la fois capricieuse et impérieuse de ceux qui les avaient engendrés. Pas d'intimité, ni de complicité, rien que ce vernis qu'ils s'appliquaient à montrer au reste du monde, à paraître en oubliant d'être. Triste à pleurer mais telle était la norme, dans des familles comme les leurs où seule la pureté est une fin en soi.

Il ne l'avait pas entendue arriver, pas vue non plus, et seul le sortilège qu'elle avait lancé l'avait fait réaliser sa présence dans les lieux. A sa merci, sous l'emprise de sa baguette, la situation est tout à fait inédite, et pourtant, leurs disputes n'ont pas manqué d'éclater durant les années qui avaient jalonné leur farce de vie commune. La foudre dans ses yeux, bientôt dirigée sur l'épouse, fureur sourde qui gronde sous le derme, pulse dans les veines; il la regarde avec cette expression presque animale, alors qu'elle finit, après ce qui lui aurait semblé une éternité, s'il n'avait pas été totalement aveuglé par ce torrent d'émotions trop longtemps contenues.

Une accalmie dans la tempête, brève, le temps de quelques mots, un ton inquisiteur accompagnant le geste, auguste. explications attendues sur le chaos qui règne sur la pièce, l'antre où elle ne s'aventure pourtant jamais. Peu importe qu'il ait déjà beaucoup bu, la veille, il saisit le carafon de whisky, miraculeusement épargné, et le porte à ses lèvres, baume improbable pour l'égo assassiné. - Qu'est-ce que ça peut te faire.. Ricanement amer, la bombe à retardement qui vient d'exploser, ne laissant que des ruines fumantes dans son sillage. - Rien qui te concerne.

Depuis toujours, Rabastan avait été celui des Lestrange avec l'humeur la plus changeante; loin du calme reptilien et presque inquiétant de son aîné, il avait hérité de leur mère, la foudre des peuples du nord. Enfant, il avait été celui dont la magie s'était manifestée de la façon la plus désordonnée et chaotique, à l'opposée du calme élégant de Rodolphus, l'enfant chéri, le sacro-saint héritier à qui tous auraient donné Merlin sans confession.
Libéré de l'entrave magique, c'est vers le Malt qu'il se dirige, réaction qui a le don de hérisser le poil de Mara, dont le ricanement dédaigneux est à peine masqué. Passe encore, il a l'habitude de ces petits témoignages affectueux, qu'il lui rend d'ailleurs avec ferveur, mais pour le moment, c'est son autre remarque qui le fait d'avantage tiquer. - Ta maison? L'éclat de rire remplace toute autre forme de réponse. Autre lampée de l'ambre, avant de rétorquer, mauvais. - Je te signale que la propriété est à mon nom. Tu n'en es la maîtresse qu'en vertu de notre mariage... Humeur mesquine, constante qui dirige leurs rapports lorsqu'il n'y a personne à duper.

L'accusation en sous main, supposition que sa colère doit être due à une de ses actions. Si ça n'était qu'une affaire les concernant tous les deux, il n'aurait sûrement pas réagi, mais sous entendre qu'il pourrait même involontairement mettre en danger leurs enfants, il ne peut l'accepter. - Je te suggère de faire très attention à ce que tu dis.... les prunelles qui s'animent de foudre, l'acier des azur s'est soudainement fait aussi glacial que celui de l'aîné. - Ne sous entends plus jamais que je pourrais mettre nos enfants en danger, tu m'as compris..? Il s'est rapproché, en proférant cette demi menace, dominant maintenant sa chère et tendre d'une tête, le regard planté durement dans ses iris couleur océan. Jamais il n'a levé la main sur elle, et ça ne lui effleurerait même pas l'esprit -- éducation oblige, mais hors de question de laisser passer cette remarque sans réagir, quitte à déclencher encore les foudres, ça ne serait pas la première fois, et rien ne semble laisser présager que ce soit la dernière non plus.