Encore une escapade nocturne loin de Londres. Une nouvelle nuit sans nuages, la brise marine venait déposer quelques embruns sur leurs vêtements tandis que Constance s’efforçait de suivre les consignes de son instructeur, devenu plus habituel qu’ils ne l’auraient cru au premier abord. La pâle lumière de la lune les éclairait dans leur affrontement improvisé. Avec les récents évènements, ils se devaient d’être d’autant plus prudents lorsqu'ils se rejoignaient à l’appartement de Tobias, puis, lorsqu’ils transplanaient jusqu’à la crique. Dehors, les membres de la police magique guettaient tous ceux qui se soustrayaient aux consignes du couvre feu, tous traqués comme des bélitres, tous devant être protégés, ou éloignés de cette guerre qui avait déjà fait bien trop de victimes. Parfois, elle fermait les yeux. Cherchait à s’y soustraire. Mais les souvenirs l’envahissaient. Elle se souvenait du chaos. Elle voyait le ciel fuligineux. Hurlait devant les corps étendus. Frissonnait du sang, des blessures. Elle ne se souvenait de rien d’autre, pas du combat, pas de la vie qui s’envolait, fauchée dans sa jeunesse, dans son innocence, mais cette scène restait imprimée sous ses paupières. Malgré elle, elle s'y accrochait d'autant plus que le reste lui était inconnu. Les discours de ses proches, glossolalie incompréhensible dans un premier temps, et ce qu’elle a lu dans les journaux sorciers ont remis quelques faits en place mais son esprit restait inerte à toutes tentatives de se souvenir, anamnèse incomplète, infructueuse qui la rendait amère. Elle ne cessait de vilipender néanmoins sur les cris de victoire des zélateurs du chaos et de la mort : haine qui grandissait autant que son oblativité, son envie de faire ce qui était juste.

Cela transparaissait sans mal dans l’application, la hargne qu’elle mettait à son entrainement, sortilège inédit assimilé et duel dans lequel elle se jeta corps et âme. Elle avait encore beaucoup de choses à apprendre, dans un monde idoine ils avaient tout le temps nécessaire pour rattraper les lacunes d’années sans pratique, mais elle avait fait des progrès. L’implication de Tobias dans ses entrainements y faisait pour beaucoup et elle pensait parfois que ses compensations gourmandes étaient bien peu à la hauteur étant donné l’investissement du sorcier. Dernier sortilège lancé, paré mais bien ciblé, Tobias sonne la fin de la session, proposant de s’arrêter pour que la jeune mère puisse bientôt rejoindre sa fille dans leur appartement londonien.

« Elle est avec mes colocs, j’ose espérer qu'elle est couchée mais avec eux on sait jamais, je risque de retrouver une cabane improvisée dans le salon et toute la petite bande entrain de faire griller des guimauves dans la cheminée. » Sourire amusé à cette pensée, cela ne serait guère la première fois. « Oh je suis déjà toute courbaturée, ça va être sympa au travail demain. » Qu’elle grogne avec un petit rire en s’asseyant non loin de Tobias, étirant son bras pour attraper une bouteille qu’elle but à grandes gorgées, assoiffée des efforts soutenus fournis par cette séance. Silence qui se pose sur la plage, Constance frissonne légèrement et vient récupérer la veste qui avait échoué non loin de là, abandonnée quand le rythme s’était intensifié. Fourrant ses mains dans ses poches elle trouve un papier froissé, vestige de ce festival, une place un peu déchirée pour le spectacle des horreurs. Un peu angoissée, elle vient arracher quelques mercuriales qui s'étaient frayé un chemin à travers le sable avant de soupirer doucement. Redressant le visage vers Tobias, regard un peu assombri et sourire un peu forcé qui se fit malgré elle papelard elle demande : « Tu y étais, au festival ? » Le sujet avait été soigneusement évité depuis le début du mois de mai, blessures un peu trop fraiches, pensées encore bien trop alambiquées pour pouvoir évoquer le drame sans se perdre. Mais depuis que beaucoup clabaudaient pour demander la démission de la ministre, la tenant pour responsable de ce qu'il s'était passé, c'était comme si le vide ne cessait de tourner encore et encore dans son esprit cacochyme.

« Au moins, elle s’amuse » Elle ne pouvait qu'acquiescer, la vie était douce à Merlin's Castle. Bien plus que lorsque Constance vivait seule. Si elle ne s'enhardissait pas de toutes les décisions qu'elle avait prises pour Katie, celle ci la rendait fière. Entourée de cette jolie bande d’une douceur sans égale, petits sémnopithèques qui jetaient quelques paillettes sur le quotidien de l'enfant, elle la voyait s’épanouir. « C'est tout ce que je peux lui souhaiter. » Petit sourire presque triste, parfois, elle se demandait quel était l’intérêt d’avoir offert la vie dans une telle période. Katie, depuis sa naissance, n'avait connu que la guerre, l’inquiétude, les disparitions. Et même si Constance tentait du mieux qu’elle le pouvait de l’en tenir éloignée, ratiocination de son discours pour faire disparaitre toute once de malheur de ses paroles lorsqu’elle s’adressait à la gamine, elle savait bien que Katie n’était pas dupe. Elle grandissait et les questions commençaient à poindre dans son esprit. Ainsi, tout instant dans la maison papillonnant loin du mal, habitation où sa chair, son sang, son bijou, vivait loin du fou malfaisant, du Lord noir qui faisait la razzia sur tout humain sonnait comme un bon jour, un jour doux sans blizzard, sans volcan, sans froid ni chaud. Une victoire aux yeux de la jeune mère qui se savait pourtant bien incapable de préserver son enfant pour toujours. Elle faisait de son mieux néanmoins, et les bleus sur son corps à force de s'entrainer le laissaient aisément deviner. « Oui chef. » Elle se fend d’un sourire plus franc, levant sa bouteille comme elle le ferait d'une coupe de champagne, tout en s’appuyant de sa main libre sur le sable humide, regard perdu dans l’horizon durant quelques secondes.

Lorsque le silence est brisé, le sujet est bien plus sombre, tinté d’un sérieux qui avait longtemps manqué à Constance, d'une gravité que seuls ceux qui en avaient trop vus pour une vie possédaient. Victimes tous les deux, Tobias le pauvre était d’autant plus innocent qu’il s’était rendu par hasard à l’évènement. Double jeu de la sorcière qui devint immédiatement douloureux, l’envie de protéger le monde entier et la nécessité de garder le silence sur son engagement. « Je ne me serais jamais attendu à ce qu'ils attaquent un évènement moldus… Tu y étais aussi? » Main serrée sur le billet abimé elle soupire doucement, pensive : « En quelque sorte… » Elle hausse les épaules, vaguement agacée avant de reprendre d'une voix un peu plus douce appuyant sa joue contre ses genoux repliés pour observer le sorcier à côté d'elle : « On m'a dit que je m'étais battue, vu l’état dans lequel j’étais cela ne m’étonnerait pas, j'espère au moins que ceux en face étaient aussi mal en point. » Elle aurait pu lui dire que ses enseignements avaient été utiles, seulement cela serait mentir que de prétendre qu'elle se souvenait les avoir utilisés. « Tu t’y connais en sortilège d’amnésie j’imagine ? » Demande-t'elle finalement, sans vraiment avouer pourquoi elle était prise d’une soudaine curiosité à cet égard « Il arrive qu’on en guérisse ? » Comme une dipsomane dont le mal était devenu trop profond, elle doutait que cela soit le cas, mais elle espérait. Savoir ce qu’elle avait subit rendait la situation d’autant plus intenable, l’impression que son esprit refusait de l’écouter, l’impression de devenir folle lorsque les détails ne lui revenaient pas. « Cette guerre est écoeurante. » Aucune recherche d’argument dans ses paroles, logomachie de ceux qui estimaient leur point de vue se valant à lui même, elle était lasse de débattre. Tant de vies arrachées pour une taxinomie imparfaite, l’idée de mettre des âmes dans des cases la révulsait.

Elle a bien remarqué les sourcils légèrement froncés de Tobias Constance, la perplexité qui l’habitait certainement alors qu’elle racontait les évènements du début du mois de mai. Ou du moins, rapportait les évènements par des yeux étrangers aux siens. Mais le pire fut certainement lorsqu’il comprit enfin, ces grands yeux fixés sur elle, comprendre ce qu’elle avait vécu et ce qui lui manquait désormais. Heureusement pour elle, elle n’avait jamais été sujette à l’erythrophobie car ses joues venaient de se teinter d’une teinte rougeâtre, gêne d’avouer l’échec, honte même de ne pas avoir été à la hauteur. Avec le discours du sorcier, elle passait d’une émotion à une autre, espoir qui faisait briller ses yeux dans l’obscurité de la nuit de printemps, réalité qui la rattrapait bien vite alors qu’elle feignait un sourire, faisant mine de comprendre. Tentant de ravaler cette demande qui se trouvait juste derrière ses lèvres : je t’en prie, aide moi à me souvenir.

Mais elle comprend rapidement ce que cela peut impliquer, qu'elle peut perdre plus que ce qu’elle pourrait gagner. Elle ne pouvait se le permettre, elle devait être forte pour sa fille. Pour Katie. C’était finalement ce qui la maintenait debout. « Je te demanderait pas de le faire, je conçois les risques, du moins je crois. » Elle esquisse un petit sourire, un peu triste lorsqu’elle repense à la soirée du festival. Son regard qui se perdait dans la foule, et puis les mains de Ruben qui l’empoignent pour la faire sortir de l’enfer, entre les deux, rien. Il y a son coeur qui se serre, confidence qui glisse entre ses lèvres serrées, plaintes d'un animal blessé : « Thalia était là ce jour-là. » Tobias connaissait suffisamment la Bell pour savoir le lien fort qui la liait à sa soeur cadette, ça et cette tendance qu'elles avaient toutes les deux à se sur-protéger l'une l'autre. « Elle aurait pu mourir, et je ne me souviendrais même pas. » C’est l’angoisse qui l’avait étreinte durant des heures alors qu’elle retrouvait peu à peu ses esprits, se rendant compte du manque dans sa soirée, du trou noir qui la laissait pantelante sur une chaise bancale du chaudron baveur. Se rendant compte de l’incompréhension que lui portait le monde, comme si elle était l'héroïne malheureuse de retour vers le futur sans souvenirs du voyage temporel. Et si le ton jusqu’à présent avait était las, entre l’inquiétude et la colère il n’y avait qu’un pas. Constance qui ne comprenait pas. Qui s’agaçait du comportement de ces rats. Qui ne comprenait pas comment le lord avait pu rallier de tels soldats.

« Tu te souviens quand tu me disais que tu n’aimais pas l’idée que j’ai à me servir des sortilèges offensifs que tu pourrais m’apprendre ? » Le ton est un peu sombre, le visage fermé, bien plus qu’à l’habituelle. « J'étais honnête quand je disais que je ne voulais pas m'en servir sans raison. Mais ils tuent des innocents, tant d'innocents... Je pourrais tous les tuer si j’en avais l’occasion, juste pour assurer la sécurité de ceux que j’aime. »

Orgueilleuse malgré elle, Constance peinait à s’ouvrir à de telles confidences. L’impression d’avoir failli, de ne pas avoir été à la hauteur. La faiblesse qu’elle ressentait de ne pas savoir, et de ne pouvoir retrouver ces souvenirs arrachés à même son esprit. Et généralement avec l’incompréhension, avec l’orgueil, allaient la colère. La colère contre elle-même et contre cette guerre, contre le monde entier et surtout contre ceux qui pensaient pouvoir disposer de vies humaines comme ils l’entendaient. Ce soir-là, sur la plage, elle se laissait aller à des pensées bien sombres qu’elle ne pouvait se permettre de partager au grand jour. Confidence nocturne qu’elle effacerait derrière son immuable sourire une fois le soleil levé. Malgré son air furibond et son regard sombre, elle écoute calmement le point de vue de Tobias, plus nuancé, moins extrême, chacun bien éloigné de leur rôle habituel. « La Justice ? » Elle renifle bruyamment, un peu dédaigneuse malgré elle. Non pas qu’elle se permette de juger le travail du Ministère, bien incapable de se mettre à leur place ne serait-ce que quelques instants, mais elle ne pensait pas que la voix diplomatique puisse apporter quelconque solution aux affres de la situation actuelle. « Tobias… » Son regard vient accrocher les pupilles de son ami, malgré l'obscurité il y a cette lueur qui brille dans son regard, mélange de résignation et de tristesse. « Ils tuent sans même se demander s’ils exterminent des sorciers ou des moldus. » Bien que faire une distinction ne lui semblait pas plus justifiable, l’idée de tuer au sein de son propre sang, de son propre monde, la rendait malade. « Ils ne veulent que la terreur, la terreur et le pouvoir. La justice, quelle qu’elle soit ne peut pas arrêter de tels fous. » Elle n'avait guère besoin de se souvenir du combat pour se remémorer l’odeur de la peur, l'odeur du sang qui régnait sur les pelouses du festival juste avant qu'elle n'en soit exfiltrée par Ruben. Elle avait eu le temps de voir les corps sans vie, les blessés qui s’enfuyaient, et la marque qui brillait dans le ciel sombre, riante, malfaisante. Le chaos et le désespoir qui avait embrassé les innocentes âmes victimes de ces folies. « Ne te méprends pas, l’idée d'arracher une vie me rend nauséeuse et je me contenterai de la ruse et des fourberies si cela doit suffire… » Elle avait toujours été plus solaire que vengeresse Constance, douceur de ceux qui étaient un peu trop candides pourtant, la guerre semblait lui arracher cette innocence rafraichissante. « Mais ils pourraient tuer Katie en une fraction de secondes, et à quoi sert-il d’être malin face à ça ? » Question somme toute très réthorique, bornée comme tous les Bell elle avait parfois du mal à s’éloigner de son opinion construite. L’impression que les beaux actes n’avaient pas leur place en temps de guerre, que la pitié ne ferait que faire s’amonceler un peu plus les corps sans vie des victimes innocentes. L’idée de perdre un proche la tétanisait bien plus qu’elle ne le laissait entendre : fougue haineuse pour cacher la peur.

Le discours de Tobias l’échauffe, les mots sont graves, durs aussi, attaques qu’elle n’est pas sûre de pouvoir encaisser sans réagir. Les poings se crispent, elle serre les dents, regard dardé dans celui du sorcier qui sait frapper là où ça fait mal. Mais cela n’était pas suffisant, ces paroles n’étaient pas suffisante. Tandis qu’il termine, le repos des muscles est abandonné et elle finit par se redresser un peu trop brusquement, le ton est rageur, torrent d’émotion qu’elle ne parvient à contenir. « Un autre moyen ? Et quoi d’autre ? » Son ton est sec, plus cassant que d’ordinaire, la colère est plus forte que jamais et pourtant, elle espérait qu’il pourrait lui offrir une réponse, une réponse qui protègerait les siens. De son côté, rien ne semblait convenir, et pourtant, la question la tenait éveillée la nuit. « Fuir ? » Il n’en était pas question, pas maintenant qu’elle avait trouvé un semblant d’équilibre. « Se terrer comme des rats ? » Elle avait beau soutenir de toute son âme les fuyards qui se terraient au Holy Night, ce n’était guère une vie pour une enfant, elle ne pouvait imposer ça à sa fille. « Arrêter de vivre en attendant qu’ils viennent nous chercher ? » Cela commençait par les couvre feu et bientôt les spectacles seraient interdits, bientôt, l’amusement deviendrait accessoire, temps de guerre qui ne laissait aucune place à l’innocence. « Ou bien quoi ? Se soumettre à ces chiens ? » Jamais. Car si Constance ne voulait pas être décrite comme une meurtrière auprès de son joyau, elle ne supporterait pas plus le terme de lâche. Plus elle parle et plus elle s’anime, humeurs inégales, colère qui prend le pas sur la raison. « Je veux offrir à ma fille un monde où elle pourra aller au parc sans que je ne me morfonde à l’idée qu’elle ne revienne pas. » Le ton se fait plus rauque, sanglots qui se bloquent dans sa gorge et les yeux qui se remplissent de larmes difficiles à cacher. « Où elle pourra aller à Poudlard sans subir la peur et les insultes des suprématistes. » Parce que l’absence d’un père suffisait largement, Constance n’avait jamais considéré son sang-mêlé comme une tare, chez les Bell on en était fiers. Mais elle savait que d’autres pourraient la dédaigner, la faire souffrir, sa douce petite Katie, pour ne pas posséder un carmin immaculé. « Je veux qu’elle puisse vivre. » Elle finit de s’effondrer, retour sur le sable humide de la plage, les mains tremblantes viennent essuyer les larmes qui s’étaient déversées sur ses joues rougies par les exclamations haineuses. Elle serre les dents pour réprimer les sanglots, ferme les yeux quelques secondes pour maitriser le ton de sa voix et reprend, dans un murmure : « Je suis fatiguée Tobias, fatiguée d’avoir peur pour elle, pour eux tous. » Katie passait en premier, comme toujours, mais ils étaient si nombreux, Thalia, ses parents, James, Lily et le petit Harry, Marlène et son bébé à naître, Remus, bien sûr, qui avait déjà été bien trop abimé par la vie, la liste était infinie. « Je veux juste que ça cesse. »