La table de poker n'est pas une habitude à laquelle je m'adonne. Je n'ai jamais aimé le jeu. Mon seul vice, si on met de côté mon incapacité notoire à arrêter de travailler, c'est un peu d'alcool à l'occasion. Un peu trop souvent, si on écoute les experts de santé. Le hasard des cartes n'est pas compatible avec mon état constant de contrôle, mais savoir compter a tout de même quelque chose de pratique. Rentable. La seule raison pour laquelle je me trouve-là, c'est rencontrer un fournisseur quelque peu douteux, pour obtenir un ingrédient interdit sur le territoire. L'homme, à cette heure, demeure absent, et je me retrouve à parier quelques gallions contre des cartes traîtresses. Au départ, je n'ai fais en sorte que de compenser mes paris, et puis le jeu a gagné sur la raison et ma poche s'est gorgée d'or. Pas assez pour attirer l'attention, je sais mieux que de tricher dans un tel endroit, mais suffisamment pour que ce soit intéressant. Cela dit, c'est en me levant que la réalité m'a rattrapé. Le souvenir que cet endroit, malgré mes gains, n'a rien de bien recommandable.

Un visage lugubre et ma mémoire s'anime. Je l'ai vu dans la gazette. Un prisonnier relâché. Une histoire franchement ridicule. Azkaban qui rend au monde certains de ses pensionnaires. Que fait-il ici? Je ne comptes pas l'approcher, je tiens à ma vie, mais la question se pose. Et puis je remarque à qui il parle. La moue agacée de la petite blonde. Un visage tout aussi familier, quoi que plus lointain. Je la connais, j'en suis sûr. L'homme l’entraîne à l'arrière. Je reste un instant-là, le cerveau qui bouillonne d'images passées. Des situations où j'aurais pu la rencontrer. Je ne lui ai jamais parlé. Nous n'avons jamais été présentés. Pourtant son visage... Son visage est dans mon esprit. Il y a quelque chose à son sujet. Une pression. Une importance. Quelque chose de tangible qui... Darcy. C'est elle. Guidée dans la ruelle voisine pour quoi au juste?

Lorsque j'atteins la porte de secours, des voix s'élèvent. Je l'entrouvre tout juste pour voir d'un œil. Le ton est grave, la tension palpable. Deux silhouettes l'encerclent. C'est une de plus que prévu. Le visage de Darcy est tiré. - Je ne suis pas aussi stupide. - L'un des types pointe sa baguette d'un air menaçant. Elle est coincée. Je dégaine la mienne. - C’est petit d’attaquer ainsi, alors que vous êtes en supériorité numérique. - Dangereux d'attendre plus longtemps, le Levicorpus informulé fait son oeuvre. L'assaillant à la baguette brandit s'envole dans les airs, suspendu par la cheville par un crochet invisible. Une diversion bienvenue pour Darcy. - Pas très fairplay, effectivement. - Lâché-je en sortant de ma cachette. L'homme suspendu dans les airs n'y restera pas bien longtemps, autant agir vite.

Tout se déroule bien vite. Le temps que j'arrive à leur niveau, elle parvient à parer un sortilège avant de désarmer son assaillant. Défait, l'homme choisit de fuir. Plus malin que de rester. Son copain, en revanche, est toujours suspendu dans les airs. Ridiculement, d'ailleurs. Je n'ai aucun mal à le déposséder de sa baguette. Il ne la tenait que d'une prise légère, bien trop occupé à tourner en rond sur un manège invisible. Débarassé du fuyard, je peux me concentrer sur celui-ci et le plaque contre le mur avec un nouveau sortilège. Inutile de douter, vu la situation, elle a des questions et je préfère attendre qu'elle les ait posé. Malheureusement, l'homme n'a jamais eu l'intention de lui fournir la moindre information. Pire, sait-il quoi que ce soit? Probablement pas. - Je pense que je ne tirerai rien de lui, autant le laisser partir plutôt que de perdre notre temps. - Si tu veux mon avis, il n'est probablement rien de plus que le muscle. - Commenté-je en touchant du bout du doigt son bras crispé. - Et même pas tant que ça.

Je secoue la tête. Ce n'est pas mon genre de profiter de ma supériorité pour ridiculiser l'autre, mais si on admet que cet homme a probablement tué des innocents... ce n'est pas grand chose à côté de ce qu'il devrait subir. Le laisser partir ne me plait pas, mais qu'en faire? Ce n'est pas comme si je pouvais contacter le Ministère pour qu'ils viennent le ramasser avant demain. Résigné, je le libère de mon influence. - Be gone. - Dis-je, blasé, avant de ranger ma baguette dans ma manche. J'ai encore celle du Mangemort. C'est toujours utile, une baguette. - Je n'aime pas l'idée de le laisser filer comme ça. - Je le regarde d'un air suspicieux, l'observant disparaitre dans les ombres comme un lapin effrayé.

Merci pour ton aide, c’était moins une. - Je reviens à elle, esquissant un sourire. - Content d'avoir pu aider. Habituellement je ne me serais pas mêlé des affaires des autres, mais quand je l'ai vu... Enfin, quelque chose dans son comportement sonnait faux. - Quelque chose de plus que l'attitude classique du mage noir imbu de sa personne. Il ne faisait pas que la guider vers l'arrière, il lui bloquait également le moindre retour en arrière. C'est une gestuelle subtile d'occupation de l'espace que je n'ai peut-être pas consciemment formulée, mais mon instinct a fait le boulot. Heureusement pour elle, il est généralement efficace. - Peut-être, la prochaine fois, éviter d'agir seule? Peu importe ce que tu espérais faire ce soir, d'ailleurs. - Je ne la connais pas. Je ne sais pas ce qu'elle fait ici ni pourquoi elle rencontrait cet homme. Tout ce que je sais, c'est que ça a mal tourné et qu'à l'évidence, elle est seule. Difficile de ne pas suggérer prendre du renfort, à l'avenir. - Ce type vient de sortir d'Azkaban. Pourquoi vouloir rencontrer un tel personnage? - La curiosité à l'oeuvre, vilain défaut. Heureusement, une question n'appelle pas nécessairement réponse. En d'autres situations, mais pas celle-ci.