Impassible, Rodolphus devine, à défaut de lever les yeux vers elle, sa femme faire les cents pas tout autour de lui. Impatiente, capricieuse. Plongé dans les pages de la Gazette, Rodolphus peine à en lire un traître mot, un ramassis d'inepties sur les étrangetés actuelles et quelques lignes passées rapidement sur les échecs du Ministère à sortir de la crise. Mis à mal dans sa concentration, il se délecte de feindre l'indifférence ainsi installé dans le fond de sa chaise. Bellatrix est un chien fou qui n'attend qu'une chose : que son maître relâche la laisse. Ses quelques mots glissés au creux de son oreille, ses caresses, subtiles, dans son cou l'amènent à mettre fin à son manège. Habille-toi, il paraît qu'il pleut dehors. Une fausse indifférence de plus, dans laquelle Rodolphus se complaît autant qu'elle peut rendre folle son épouse.

Il renvoie sèchement Gurki alors que l'elfe désagréable commence à maugréer dans son coin. Sa voix tonne dans le hall du manoir, et la créature ne tarde pas à disparaître dans un craquement, certainement grommeler quelque part dans un coin perdu des combles. Alors que l'allégresse de Bellatrix s'intensifie encore un peu plus à peine les portes ouvertes, Rodolphus a l'impression d'emmener en promenade son enfant plutôt que sa femme. Planté sur le perron, il passe d'abord une main prudente à l'extérieur. Quelques rares gouttes de pluie tombent encore. Ce qui ne l'empêche pas d'agiter sa canne pour s'en faire un parapluie magique. Puis de rejoindre Bellatrix, déjà bien avancée dans l'allée.

Un peu de tenue Bella, tu n'as encore tué personne je te rappelle. lâche-t-il à son encontre une fois rejointe. Une fois dans la rue, Rodolphus devine des regards curieux et fouineurs à travers les fenêtres voisines. Et il ne s'attarde même pas sur les quelques passants. Bellatrix lui crache un nom, un journaliste. Envoyé d'outre-Atlantique dont Rodolphus n'a jamais entendu parler. Qu'a fait ce pauvre homme pour s'attirer ainsi tes foudres ? l'interroge-t-il. Il sait que la réponse n'a que peu d'intérêt, que la décision de Bellatrix est déjà prise. Rodolphus ne s'en plaint pas, il n'a jamais véritablement apprécié les journalistes. Et l'idée de tourmenter une pauvre âme ne heurte nullement ses sentiments. Il est simplement las de savoir, déjà, qu'il lui faudra réfréner les ardeurs de Bellatrix. Mais avant qu'elle ne puisse le lire sur son visage, tous deux disparaissent dans un claquement qui résonne au cœur de la rue déserte.

Bellatrix vascille, Rodolphus la retient par son bras accroché au sien. Un instant de faiblesse rare, qu'il est peu habitué à entrevoir. Elle reste encore un instant immobile, comme sonnée. Durant ce court laps de temps, Rodolphus ne la reconnaît pas. Mais ne s'inquiète pas. Car déjà, Bellatrix semble aller mieux. Et si ce n'est pas le cas, elle donne le change. Ainsi qu'une Lestrange doit le faire. Un Lestrange ne montre pas de faiblesse, il ne doit pas. C'est ainsi. Un remontant ? Tu es sûre ? Rodolphus hausse un sourcil, la regarde du coin de l'œil. Il sait le pouvoir que peut avoir l'alcool sur son épouse. Il n'en dit pas plus, les emmène jusqu'au bar le plus proche.

Bellatrix agressive, Rodolphus resserre quelque peu la prise de son bras sur sa main. Et fusille du regard les passants, qui ne s'attardent pas. Il pousse enfin la porte du troquet. L'endroit fait peine à voir. Miteux, sombre, imprégné d'un mélange d'odeurs de crasse et d'alcool. Pourtant, les lieux sont loin d'être vides et une cacophonie incompréhensible s'en échappe à peine la porte entrouverte. Le couple ne recule pas, s'enfonce à l'intérieur et s'installe à une table. Plateau de bois collant, imbibé de boisson depuis trop d'années. Rodolphus s'en va au bar, y demande le meilleur brandy. Avec son air dandy, ses vêtements impeccables et sa haute stature, il attire l'œil et la curiosité des badauds. Le patron lui répond, hilare. On a pas d'ça ici p'tit monsieur. Mais j'peux vous mette un whisky pour vous et vot' donzelle là-bas s'vous voulez ! Les poings de Rodolphus se serrent, ses jointures blanchissent. Il serre les dents, retient sa main de dégainer sa baguette. Sombre crétin. pense-t-il avant d'accepter finalement la commande et de s'en retourner rejoindre Bellatrix.

Tu n'es pas la seule. renchérit-il une fois installé, à la suite de son épouse. Tu peux me dire ce qu'on fait ici ? Ton Johnson aime barboter dans la fange avec ses semblables ? Paroles acerbes, mépris total. Rodolphus balaye la salle du regard. La simple vue de ces êtres inférieurs en train de s'amuser à savoir qui criera le plus fort, qui boira le plus et le plus vite... Cette simple vue lui donne des envies de meurtres. À cet instant, Rodolphus se sent en parfaite communion avec Bellatrix. Tous deux, êtres parfaits et supérieurs, détonnent dans cet environnement indigne d'eux. J'espère au moins que tu le vois. Hors de question de rester plus longtemps que nécessaire. Et il avale d'un trait son fond de whisky. Ignoble, comme il s'y attendait.

Il la regarde du coin de l'œil, l'air entendu. Rodolphus sent poindre la jalousie au travers de sa remarque, ce simple regard est une mise en garde. Bellatrix s'adoucit aussitôt, love sa joue sur son épaule. Son manège avec l'inconnu non loin ne lui échappe pas. Comment pourrait-il en être autrement ? Le rustre transpire de son envie pour cette femme attirante et sauvage. Rodolphus, la mine fermée pour feindre l'indifférence, se régale du spectacle. Ce n'est rien de plus qu'un jeu pour Bellatrix, auquel il se complaît comme spectateur. D'autant que l'humeur de son épouse change aussi vite que les vents qui fracassent les vitres du pub. Laisse ce pauvre homme, tu veux ? lui murmure-t-il, toujours impassible, alors qu'il porte à son tour son verre à ses lèvres.

Le liquide ambré coule jusqu'au fond de sa gorge, la pique comme des dizaines d'aiguilles. Rodolphus perd son masque l'espace d'un instant, une grimace arrachée. Les mots de Bellatrix susurrés au creux de son oreille lui font afficher un petit rictus mauvais. Ses yeux brillent d'une lueur d'excitation. Pourtant, Rodolphus ne se défait pas de sa posture droite et stoïque sur sa chaise inconfortable. Pas même lorsque les bourrasques investissent les lieux avec violence, emportant avec elles leur lot de pluie et de saletés. Le rire de Bellatrix tranche avec la panique des usagers, tout comme le calme olympien de Rodolphus. À peine s’époussette-t-il l'épaule pour en enlever les feuilles volages.  

Les lèvres de Bellatrix se plaquent contre les siennes. Passion sauvage. Intense. Il lui rend son baiser avec fougue. Deux êtres enfermés dans leur bulle au milieu de la tempête et du chaos. Rodolphus l'enlace, fait durer l'instant. Le monde pourrait bien imploser derrière aux qu'il ne s'en soucierait guère. C'est elle et lui. C'est eux. À jamais. Ils se séparent, pourtant toujours dévorés de cette même ardeur. Son regard d'un bleu de glace planté dans celui, sombre et profond, de Bellatrix. Nul besoin de mots. Il entre dans son jeu, mais dans son style à lui. Sans remue-ménage. De sa canne, baguette en son cœur, Rodolphus frappe le sol. Les inconscients qui tentent d'empêcher la fureur des éléments d'entrer se retrouvent aussitôt projetés en arrière. Pauvres fous.

Du coin de l'œil, il entre-aperçoit le patron accourir à la rescousse de ses clients. Rodolphus oublie tout semblant de prudence. Sa main arrache au bâton sa baguette, son bras s'étend dans l'allée et fracasse le visage du barman, qui s'écroule. L'homme, sonné, saigne abondamment. Il se retourne, croise le regard de Rodolphus. Aussitôt, il s'éloigne en rampant, pris de terreur. Toi. le menace Rodolphus, un sourire carnassier s'étalant sur son visage à mesure que ses pas le rapprochent, lentement, inexorablement, de sa proie.

Rodolphus toise l'homme de toute sa hauteur, implacable. Un sentiment de puissance l'envahit, bien qu'il ne s'agisse que d'un insignifiant moldu. Pour autant, il ne cache pas son plaisir de le voir rabaissé là où est sa place légitime : à ses pieds, à se débattre dans le sang et le chaos. Rodolphus se délecte de son pouvoir de vie et de mort. D'un geste, il pourrait ôter la vie de l'homme, de ce moins que rien qui ne lui a pas montré le respect et la déférence auxquels il a légitimement droit. Le simple fait de savoir le destin de ce pauvre être entre ses mains est un réconfort absolu. Et la bonne humeur de Bellatrix y participe. Jusqu'au moment où elle s'exclame, recule, courbée par une douleur à laquelle Rodolphus peine à croire.

Il s'agace, croit d'abord à une nouvelle tentative de son épouse de s'octroyer le devant de la scène. Extravagante, excentrique, elle capte facilement les regards et sait faire sienne l'attention des autres. Contrairement à lui, plus effacé, plus conventionnel. Mais pas moins dangereux et mortel. Il détourne son œil pour la voir envoyer valser l'homme curieux qui l'observait un peu plus tôt. Il soupire, craignant de voir son idée première se confirmer. Encore. Tu veux bien... commence-t-il, sans véritablement savoir quel reproche y apposer. Son sourire le fait taire, cette dispute n'en vaut pas la peine. Et Bellatrix se tord une nouvelle fois de douleur. Rodolphus sait alors qu'il s'agit d'autre chose.

Son sang ne fait qu'un tour. Il se tourne brusquement vers l'homme à terre, toujours à barboter dans son sang et l'eau qui afflue. D'un pas, Rodolphus le rejoint et se penche vers lui. Ses yeux lancent des éclairs. S'ils en avaient eu le pouvoir, le barman se serait retrouvé foudroyé sur place, consumé par la colère froide de Rodolphus. Il l'attrape par le col, colle sa figure à la sienne. Il y a autre chose dans ton alcool immonde ? PARLE ! tonne-t-il, recouvrant l'espace d'un instant le bruit du chaos environnant. R... r... rien. P... p... pitié, m'tuez pas. J'ai rien fait. J'vous l'jure. Comme pour prouver sa bonne foi, il écarte de manière innocente ses mains dégoulinantes. Rodolphus le relâche violemment, sa tête s'en va heurter le sol dur dans une large éclaboussure. L'homme s'évanouit.

Rodolphus se relève, rejoint Bellatrix. Je ne crois pas qu'il ait fait quoi que ce soit. Il est bien trop lâche... Son regard dégoûté se pose momentanément sur le gisant. Viens ma chérie, partons. Nous n'aurions pas dû venir ici. D'un geste, il l'invite à s'avancer vers la porte. Je demanderai à l'un des nôtres de venir faire le ménage ici. Comme souvent, les Lestrange n'ont pas été très discrets. Mais peu lui importe. Il est dans leur droit de rappeler aux moldus quelle est leur place. Jetant un dernier coup d'œil dédaigneux alentours, Rodolphus emboîte le pas de Bellatrix jusque dans la rue. Tu veux toujours retrouver ton Robert Johnson ? Il n'ose pas encore lui proposer de l'emmener à Sainte Mangouste. Il ne connaît que trop bien la réaction qui l'attend si Bellatrix ne se trouve pas mise devant le fait accompli.

Occasion ratée. Bellatrix ne veut pas écouter son corps, préfère s'enfermer dans ses caprices de petite fille gâtée. Pliée par la douleur chronique, elle ne peut supporter les éclairs qui la frappe au cœur de sa chair. Et pourtant, fière et orgueilleuse, elle refuse l'aide offerte par Rodolphus. Sainte Mangouste ? Lui est à peu près certain qu'elle ne considère même pas l'hôpital comme une option. Et tout juste, puisque Bellatrix balaye l'idée dans un nouveau soubresaut de souffrance. Rodolphus insiste, il sait qu'il la fera céder. Face à ses caprices, il hausse le ton. C'est n'est pas négociable, Bellatrix. prend-t-il soin de bien souligner.

Ultime supplique de la belle, qui s'accroche à lui dans un élan affectif afin de chercher à dissimuler les supplices qui la secouent continuellement. Je t'y emmène, un point c'est tout. De toute manière, tu n'es pas assez forte en l'état pour me résister. Mâle alpha, dominateur. Il est le chef de la famille Lestrange, le sorcier le plus puissant après le Lord. Quand bien même il aime Bellatrix, elle ne lui dictera pas sa conduite. Alors, profitant de cet instant, son épouse courbée accrochée à lui, Rodolphus les fait disparaître dans un craquement sourd, pourtant couvert par la tempête.

Lorsque le monde se stabilise de nouveau autour d'eux, ils se trouvent au beau milieu du hall de l'hôpital Sainte Mangouste. La lumière blanche et aveuglante des lieux tranchent avec la noirceur de la nuit quelques instants plus tôt. Les vents et tourments de la nature ont laissé place à d'autres faits de chair et de sang. L'établissement grouille constamment d'un chaos plus ou moins prononcé, alternant entre blessés graves et autres soucis mineurs. Brûlures de dragons y côtoient queues de chat accidentelles ou maladies bénignes. Au cœur de capharnaüm incessant, les Lestrange sont laissés pour compte, comme de vulgaires inconnus.

Infirmière ! hèle Rodolphus à l'adresse de la première blouse blanche qui croise leur chemin. Le regard courroucé, elle leur fait comprendre qu'elle a autre chose à faire. Je suis Rodolphus Lestrange. annonce-t-il, cassant et bombant le torse. La jeune infirmière croise son regard, baisse les yeux qui s'en vont se poser sur Bellatrix. Piteuse, elle les invite à la suivre. Par ici s'il vous plaît.