Retour sur la plage qui lui semblait presque un lieu nouveau. Les derniers mois avaient étés plutôt pauvres en entrainement. Entre tous les évènements qui avaient frappé la Grande-Bretagne, Constance n’avait guère eu l’occasion de s’exercer. Mais, plus que tout, les derniers évènements, les drames, surtout l’un d’entre eux, lui avait prouvé la nécessité d’être prête, la nécessité de se battre, pour protéger les siens, pour protéger sa fille de la noirceur qui pesait sur leur monde. Protéger Katie, quoi qu’il lui en coûte, parce qu’il ne restait plus qu’elle maintenant, parce qu’elle ne vivrait plus s’il devait lui arriver quelque chose. Pendant tout l’entrainement, elle avait fait mine d’être enjouée, mais le soleil restait voilé dans son regard, larmes qui menaçaient à chaque instant d’ébranler son sourire. Pourtant, elle s’était entrainée avec son éternel enthousiasme, concentrée sur ses sortilèges, appliquée comme elle l’avait rarement été pendant ses études à l’école de magie de Poudlard : elle avait un but qui dépassait allègrement la facilité du quotidien.

Dans un premier temps, l’entrainement avec Tobias lui avait semblé être un réel échappatoire, concentrée sur sa tâche, il lui semblait presque oublié ce qu’il s’était passé quelques semaines auparavant, c’était facile, d’oublier quand l’esprit était occupé à autre chose. C’était aussi pour cette raison qu’elle avait accepté la proposition du sorcier, qu’elle avait accepté de laisser Katie au soin de ses colocataires et qu’elle se trouvait en pleine nuit sur cette crique ventée du sud de l’Angleterre. Elle pensait pouvoir vivre, ou du moins survivre suffisamment pour préserver les siens. Elle pensait qu’elle était suffisamment solide pour supporter ça, pour palier sa tristesse et sa colère le temps d’une soirée. Mais rien n’était bien lointain.

En effet, au fur et à mesure de l’heure qui passait, de la lune qui continuait sa course immuable dans le ciel de l’été anglais, des sorts qui s’enchainaient, sa concentration se faisait vacillante, ses noires pensées reprenaient place dans son esprit. Des souvenirs qu’elle voulait oublier, le corps à la morgue, le cercueil, les larmes sur le visage de ses proches. « Damn it. » Qu’elle grogne, retenant un juron, alors que le sortilège rate sa cible. Sa baguette lui pique presque les doigts, elle sent les pulsations de magie presque incontrôlables, la fatigue n’aidant certainement pas à la canaliser. Alors qu’elle tente de se concentrer à nouveau, un bruit sourd au loin la ramènent à des cauchemars bien trop réels. Des images l’assaillissent, le visage de sa soeur, les sortilèges qui fusent, un éclair vert, la mort qui frappe et elle perd ses moyens. Perd la raison, ne voit plus seulement Tobias face à elle, est perdue dans un songe entre réalité et cauchemars. Sa magie lui échappe, vengeresse, dévastatrice, frappe aveuglement autour d’elle, douleur extériorisée de la pire des manières sans même qu’elle ne s’en rende compte. Parce que derrière ses yeux clos, c’est la mort de Thalia qui se joue, encore et encore, toutes les versions les plus morbides, et la mort qui emportait sa cadette, à chaque fois.

Elle pensait que reprendre ses habitudes pourraient faciliter le deuil. Elle pensait que faire comme si la vie continuait, car elle continuait, travailler pour ne pas connaitre le même sort que sa cadette, lui permettrait de passer le cap. Foutaises, Thalia était meilleure sorcière qu’elle ne le serait jamais. Mais lorsqu’elle avait demandé à Tobias de reprendre les entrainements elle croyait réellement, bien que naïvement, qu’elle était prête, qu’elle saurait gérer et que le fantôme de sa petite princesse ne viendrait pas l’attaquer, l’assaillir. Fait était qu’elle s’était trompée, car une fois la fatigue suffisamment présente elle n’avait pu s’empêcher de replonger.

Incapable de maitriser quoi que ce soit elle est perdue dans un tourbillon de souvenirs et un délire qu’elle ne parvient à contrôler. Elle entend la voix de sa soeur, elle voit son visage se tordre de douleur et puis le voile qui passe devant ses yeux habituellement si expressifs, si doux. La lueur de vie s’échappe de son regard, le laisse vide, mort. Et les larmes coulent sur ses joues sans même qu’elle ne s’en rende compte, parce qu’elle meurt un peu plus à chaque fois qu’elle se souvient qu’elle ne la verra plus. Et la magie pulse entre ses mains, comme rarement elle ne l’a fait. Elle a les yeux fermés mais elle sent le flux d’énergie qui la traverse de part en part. Elle ne se rend cependant pas compte de ce qui se passe au delà de son carcan mental, perdue entre deux eaux, entre deux réalités trop douloureuses. Elle n'entend pas les appels de Tobias, elle n'entend pas, elle ne voit pas, elle veut oublier.

Et lorsqu’elle ouvre les yeux, une barrière de sable obscurcit sa vision, tout finit par retomber mais elle voit distinctement Tobias retomber aussi, frappé par un sortilège. La panique la prend aux tripes, les mains se mettent à trembler, sa baguette comme brulante, est lâchée au sol tandis qu’elle se précipite vers le sorcier, genoux qui rejoignent le sable humide alors qu’elle se penche vers lui : « Par Merlin Tobias qu’est-ce que… » Elle scrute ses traits, cherche une blessure sans pour autant oser amorcer quelconque contact : « Tu vas bien ? » Elle baisse les yeux, ses pensées s’entremêlent sans qu’elle ne parvienne réellement à les maitriser « Je suis désolée je… » Que pouvait-elle réellement dire ? Elle ne savait même pas comment elle avait ça, elle se souvenait juste de Thalia, de son visage qui disparaissait, s’étiolait alors que la mort l’emportait. « Je sais pas ce qu’il m’a prit. »

Elle se précipite vers Tobias mais elle ne sait pas quoi faire, épouvantée face à son propre geste elle guette ses réactions, elle veut l’aider mais n’ose pas poser ses mains sur lui, par peur de lui apporter encore plus de douleur. « Je suis désolée je suis désolée. » Le disque est rayé, elle ne sait pas quoi dire d’autre. Elle qui ne se savait même pas capable d’une telle chose.

« C’était… Trop tôt. » Le ton étouffé de Tobias l’inquiète mais bien vite, ses paroles génèrent bien d’autres émotions, bien moins bienveillantes. « Il te faut faire le deuil, et ça prend du temps. Nos entrainements, le travail... ce ne sont que des distractions pour éviter de te confronter à ce qui te torture. » Les dents de la Bell se serrent et avec elles ses poings se ferment. Elle s’éloigne légèrement du mage, assise sur le sable à quelques dizaines de centimètres, mais ses prunelles, devenues moribondes, ne le quittent pas : « Et qu’est-ce que je suis supposée faire ? » Qu’elle demande presque sèchement. La peine et la colère étaient reliées chez Constance. Elle peinait à être triste sans hausser le ton, elle peinait à ressentir le manque sans que la fureur ne gronde dans son coeur. Elle avait besoin d’un coupable, elle avait besoin de se venger, de la venger. Et reprendre les entraînements étaient une première étape pour être suffisamment forte, pour lui faire honneur, pour protéger ceux qui lui restaient. « Rester chez moi ? Enfermée ? Pleurer toute la journée ? » Elle l’avait fait, les premiers jours, elle n’avait même pas réussi à garder la face devant Katie : et par tous les diables, qu’elle s’en voulait d’avoir confronter sa fille à son deuil. Elle voulait mieux faire maintenant, elle voulait enfermer les fantômes de sa tristesse au fond de son coeur, elle voulait avancer.

Et la colère s’apaise légèrement, le ton est moins haché les iris se font moins durs alors qu’elle reprend d’une voix cependant toujours aussi marquée par le torrent d’émotions qui l’habite : « Je suis désolée, je n’ai jamais voulu te faire mal. Je n’ai jamais voulu que ça arrive je suis désolée... Mais dis moi, qu’est-ce que je devrais faire ? Qu’est-ce que tu ferais toi, si c’était ton frère dans cette tombe à la place de Thalia, tu voudrais rester enfermé à attendre que la douleur passe ? » Jamais elle ne souhaiterait ce qui lui arrive à quiconque, et jamais elle n’aurait évoqué Nate si ce n’était pas pour déclencher quelque chose, quoi que ce soit, elle voulait des solutions, Tobias savait l’aider. « J'ai rêvé que je les tuais. Mais je ne faisais pas que les tuer. Je les découpais en petits morceaux. J’ai besoin qu’ils paient. Je n’ai pas besoin de temps, j’ai besoin qu’ils paient pour ce qu’ils ont fait. J’ai besoin de pouvoir rentrer chez moi sans avoir peur que Katie subisse le même sort. » Et ce n’était pas la première fois qu’ils avaient cette conversation. Pas la première fois que l’extrême vengeresse de Constance venait se confronter au bon sens mesuré de Tobias. Etrangement, peut-être que la nuit était propice aux vérité, ce moment où les masques disparaissaient, venaient révéler les horreurs qui dormaient au fond de vous.

Les questions posées sont dans un premier temps sans réponse, comme s’il attendait simplement qu’elle se calme par elle même. Obnubilée par son deuil, elle ne fait qu’à moitié attention à ce qu’elle dit : tout pour le faire réagir, était-elle à ce point en quête d’attention ? Mais lorsqu’elle évoque le sort de son frère, pensant sans aucun doute à Nate qu’elle avait rencontré quelques fois, la réponse ne tarde pas : « Mon frère est à Azkaban et il préfèrerait certainement être mort à l'heure qu'il est » Les mots sont plus secs qu’à l’accoutumée, l’information met quelques instants à faire son chemin et le visage de Constance, si c’était encore possible, s’assombrit un peu plus. Elle avait oublié, oublié le drame qui avait frappé Tobias, récemment, quel genre d’amie était elle ? La honte l’envahit soudain, son regard fuit quelques instants vers la mer et les vagues qui s’écrasaient inlassablement sur la jetée avant qu’elle ne souffle : « Désolée pour ça. J’ai pas réfléchi. » Comme ça arrivait souvent lorsque les émotions de la brune prenaient le pas sur sa raison. Elle parlait sans réfléchir aux conséquences, sa haine se faisait entendre à grands coups et à grands bruits, oubliant qu’autour d’elle, d’autres connaissaient les mêmes drames, oubliant que la guerre les touchaient tous de près ou de loin et que la mort, ou les maux ne lui étaient pas exclusifs.

Alors, lorsqu’il reprend, peinant un peu à parler, elle tente de ne pas se perdre à nouveau dans sa soif de vengeance, de ne pas devenir aveugle au monde extérieur: « Et je la protège comment ? » La question n’est même pas agressive, peut-être un peu désenchantée, pessimiste, mais aussi calme que Constance pouvait l’être. « Comme j’ai protégé Thalia ? Je prends toutes les suggestions qui lui éviteront de terminer dans un cercueil comme sa tante. » Et l’évocation du sort de sa cadette lui donne immédiatement la nausée et elle ferme les yeux pour ne pas pleurer à nouveau.

Des grimaces de douleur continuent parfois de se glisser sur le visage du sorcier, le regard de Constance reste inquiet, alerte, mais il n’y a rien qu’elle n’ose faire « Euh oui, oui bien sûr. » La baguette récupérée dans le sable non loin de là, mains un peu tremblantes elle fait au mieux pour calmer ses esprits et générer un sortilège le plus propre possible. Elle tente de se souvenir des conseils, de se concentrer sur sa cible et même si son esprit est agité, un filet glacial vient bientôt s’échapper du bout de sa baguette pour apaiser Tobias. « Mieux ? » Qu’elle demande d’une petite voix, guettant les soubresauts de magie sur la peau du sorcier. Soubresauts de magie, un flash lui revient subitement à l’esprit, la marrée noire sur la peau de Tobias, les vagues qui faisaient leur chemin, puis avaient disparu laissant place à la véritable blessures : « Tobias ? » Qu’elle demande d’une voix plus douce : « C’était quoi, cette couleur sur ta peau, tout à l’heure ? » Le regard se redresse finalement vers le visage de Tobias, question innocente, curiosité simple.

La colère dansait avec la tristesse, valse infernale qui ne cessait de se dérouler dans l’esprit de la Bell. A chaque instant, arbitrer pour garder la tête hors de l’eau, elle pensait s’en sortir mais preuve était dans son comportement qu’elle se noyait totalement. Elle voulait la venger, elle voulait oublier, elle voulait qu’elle revienne, se réveiller de ce cauchemar. Elle voulait découvrir son visage mutin au détour de sa porte d’entrée comme quand elle arrivait, bras plein de présents pour sa nièce. Elle voulait retrouver son sourire, elle voulait qu’ils paient de lui avoir arraché : mais qui ? Comment ? Comment faire sans devenir simplement comme eux ? Et Tobias pose le plus gros problème, ou justement ce qui la sauve d’une déchéance plus violente encore, Katie, Katie qui comptait sur elle, qui avait besoin de sa mère, Katie qu’elle ne pouvait abandonner. Katie qu’elle devait protéger à tout prix. Elle ne savait juste pas comment.

Ce n’était déjà pas ses sortilèges, encore maladroits, qui sauraient préserver son trésor du monde extérieur. Peu confiante, elle n’était pas assurée à l’idée de lanceur nouveau sort sur Tobias, inquiète de faire plus de mal que de bien. Cependant, alors qu’elle se concentre, fait le vide au mieux, elle parvient à générer cette brume glacée qui eu l’air d’apaiser sa douleur. Silencieuse, elle lui accorde un instant de répit. Profitant presque de le voir les yeux fermés pour essuyer ses larmes, pudeur illogique, décalée, qui l’animait, le besoin de briller autrement que pour ses coups de sang insensés. Et elle guette les inspirations de Tobias, leur régularité, cherchait à déceler l’éclat d’une douleur soudaine sur son visage calme avant de poser doucement sa question, voix basse qui s’excuse presque de briser le silence.

La réaction ne se fait attendre, le visage de Tobias qui s’était redressé vers elle fait chemin arrière, tête qui vient se poser à nouveau sur le sable : « Crap… » Elle fronce légèrement les sourcils, ne sachant pas trop sur quel pied danser, insister ou laisser tomber, elle ne se voyait pas le forcer à lui en parler s’il ne le souhaitait pas. Mais, alors qu’elle pensait qu’il allait rester silencieux, éludant la question comme il savait si bien le faire, il finit par lui montrer plutôt que d’expliquer. Les yeux de la Bell s’écarquillent alors que la peau de Tobias se transforme, mue, évolue sous son regard : la vague de magie grimpe, encore et encore et sous son influence l’apparence du sorcier change, la peau, les yeux, les cheveux et puis pour seule preuve de l’existence de ces changements, un léger reflet sur la pointe de ses cheveux « Tare génétique. » « Une tare ? » Elle secoue négativement la tête : « Je trouve ça vraiment impressionnant. » La magie si forte dans un seul corps qu’elle en venait à prendre le pas sur les traits immuables, elle avait déjà entendu parler de tels phénomènes mais elle n'en avait jamais été témoin : et dans ses yeux c'était une merveille.