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Soit les rues de Londres étaient réellement bondées, soit je ne suis pas sortie de ma grotte depuis très longtemps – trop longtemps, peut-être, pour me sentir ainsi oppressée par la foule. Les deux hypothèses se valaient parfaitement, ces dernières semaines, j'étais en convalescence. L'attaque de l'Ordre chez les Lestrange avait laissé quelques séquelles et j'ai écopé d'une sérieuse blessure au bras. Déjà qu'il était à moitié hors service depuis ma chute de balai survenue il y a de nombreuses années, je n'avais pas besoin d'en rajouter une couche. Malgré mes nombreux refus d'aller me faire soigner à l'hôpital – car il faudra bien expliquer comment j'avais fait mon compte pour me blesser et je me voyais mal claironner que j'ai fait partie des assaillants du Manoir Lestrange – j'ai fini par m'y résoudre quand j'ai réalisé que mes remèdes de grand-mère étaient totalement inefficaces. A l'évidence je ne pouvais pas rester ainsi indéfiniment, et j'ai dû trouver une excuse en béton armé pour justifier cette entaille qui était tout de même d'une belle taille. C'était triste à dire mais je menais une double-vie depuis tellement longtemps maintenant que les médicomages avaient gobé mon histoire sans sourciller. Il faut dire qu'en tant qu'informatrice pour l'Ordre, j'ai dû développer des skills de menteuse professionnelle pour ne pas griller mes alibis trop rapidement. Je n'en étais pas fière, d'autant plus qu'en tant que journaliste je prônais la vérité à tout prix, mais c'était une technique de survie comme une autre. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs, comme dirait l'autre.

Il n'empêche que ce n'était pas parce que j'étais convalescente que cela signifiait que je devais glander pour autant. Bien sûr, les médicomages ont tout de suite deviné à qui ils avaient affaire. J'étais une acharnée du travail qui ne s'arrêtera pas de sitôt, même en étant sur son lit de mort. C'était inscrit dans mon dossier médical, je prenais des anxiolytiques depuis mon burn-out de l'année dernière. Cette fois-là, je m'étais faite réprimander copieusement parce que je tirais trop sur la corde, et fatalement, elle avait fini par se rompre. Si mes proches ont eu la décence de ne pas me dire tu vois, je te l'avais dit, ils l'avaient tout de même pensé très fort. On aurait pu s'attendre après un tel incident que je deviendrais enfin raisonnable, mais j'étais tellement impliquée dans tout ce que je faisais qu'il m'était tout bonnement impossible de m'arrêter. Même avec un bras hors d'usage le temps que mes plaies cicatrisent, j'ai continué à gérer mes affaires à distance, tout du moins, celles qui ne requéraient pas obligatoirement ma présence. L'une des affaires en question concernait Tobias Weaver, un inventeur que je sollicitais de temps à autres pour me faciliter la vie. En l'occurrence, l'inventeur de sortilèges était parvenu à un résultat concluant et il m'avait contactée par hibou pour que je vienne voir ce qu'il en est. Ce rendez-vous était littéralement le premier depuis l'attaque et le moins que l'on puisse dire, c'est que je n'avais pas vraiment figure humaine. J'avais l'air beaucoup moins dans mon assiette que lors de notre dernière rencontre. J'avais l'air fatiguée et stressée. Je faisais tellement peur à voir que, si l'on me croisait le vendredi soir dans une ruelle sombre, le lundi, on courait encore. Mettre une bonne couche de fond de teint n'y changeait rien. Non seulement j'avais toujours la tronche à l'envers, mais en plus, j'avais l'air d'être emplâtrée.

Ce n'était toutefois pas ce qui allait effaroucher Mr Weaver, n'est-ce pas ? Je me rendais simplement en ville pour faire une course, je n'allais pas à un défilé de mode. À quinze heures tapantes, j'étais déjà sur les lieux du rendez-vous. Comme à mon habitude, j'étais très ponctuelle, et quelle ne fut pas ma surprise lorsque je trouvai portes closes. Heureusement, j'ai eu le réflexe d'embarquer le hibou sur lequel étaient inscrits l'heure et le lieu de notre rencontre, aussi pus-je vérifier que je ne m'étais pas trompée. Effectivement, je ne m'étais pas trompée et, écrasant presque mon nez sur la vitrine, je me mis à scruter l'intérieur de la boutique pour voir si l'inventeur était là.

« Bizarre. » marmonnai-je pour moi-même alors que je ne pus que constater que l'homme était aux abonnés absents.

Aucune lumière n'émanait du local, pas plus qu'il semblait y avoir âme qui vive dans le coin. C'était assez inquiétant, tout de même, j'espérais qu'il ne lui soit rien arrivé, non que son sort importe tant à mes yeux, mais avec les attaques de Mangemorts qui se multipliaient ces derniers temps, on n'était sûrs de rien. Animée par un drôle de pressentiment, je sortis ma baguette de son fourreau et je me mis en position, prête à me défendre si nécessaire. C'était sans compter le ciel qui s'obscurcissait de minute en minute, annonçant une averse imminente. Baguette au poing, je me réfugiai sous le porche pour me protéger des éventuelles gouttes de pluie. Je tournai vivement la tête lorsque j'entendis qu'on m'interpellait. Me redressant comme si j'étais montée sur ressort, je planquais ma baguette derrière mon dos lorsque je reconnus le propriétaire de la boutique.

« Monsieur Weaver ! » saluai-je avec entrain alors que l'homme arrivait à hauteur – un autre rendez-vous, donc ? Je l'inspectai brièvement du retard. Plutôt bien sapé, le sorcier ne semblait pas être secoué outre-mesure. Je plissais mes yeux de fouineuse pour mieux le détailler. « Ravie de voir que tu as l'air aussi fringant que d'habitude. »

Il n'y avait nulle trace de moquerie dans ma voix, j'étais terriblement sincère, surtout après avoir cru en l'espace d'un instant qu'il lui était arrivé quelque chose. Je lui adressai un sourire enjôleur, pour détourner l'attention du – presque – quadragénaire alors que je remettais ma baguette à sa place. Je ne voulais surtout pas lui donner l'impression que je dramatisais trop, comme d'habitude.

« Non, ça va, j'étais en train de regarder si tu avais mis des nouveautés en vitrine. » répondis-je tout en entrant dans le magasin, poursuivant mon inspection visuelle l'air de rien, juste au cas où – mieux vaut être trop prudent que pas assez. « Je vois qu'il n'y a pas eu beaucoup de changement depuis la dernière fois que je suis venue. »

était-ce une question, était-ce une simple observation, moi-même je ne savais pas. Peut-être était-ce tout simplement un moyen de prêcher le faux pour savoir le vrai, une technique que j'employais extrêmement souvent dans mon métier de journaliste, ou en tant qu'informatrice de l'Ordre.

« Comme tu peux le voir, je ne suis pas au meilleur de ma forme, mais j'essaie de garder un pied à l'étrier, je ne peux rester éloignée du travail trop longtemps. » dis-je tout en retirant ma veste en cachemire pour la poser sur le dossier de la chaise – effectivement, heureusement qu'il ne pleuvait pas car ça aurait été une catastrophe. « J'ai eu un accident il y a quelques semaines, ce qui a impliqué que je reste chez moi un moment, mais je vais beaucoup mieux, vraiment. En fait, tu es la première personne que je vais voir depuis tout ce temps. Je me suis débrouillée pour venir aussitôt que j'ai su. » Je me mordillais la lèvre inférieure alors que je continuais à scruter les environs. « Alors, tu as pu avancer ? »

Autant mettre les pieds dans le plat directement, non ?

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Il faudra bien plus qu'un type bourru et quelques paroles sèches, expéditives, pour éloigner Agatha Travers. Ce n'était pas parce que Tobias était un grand gaillard bâti comme une armoire à glace et qu'il faisait facilement deux têtes de plus que moi que j'allais facilement me laisser impressionner, loin de là. Des types coriaces, limite désagréables, j'en côtoyais dans la vie de tous les jours, je savais y faire avec eux parce que j'avais appris à les gérer. Alors, Tobias pouvait me balancer toutes les piques qu'il voulait et me répondre de la façon la plus laconique qu'il soit, je n'allais pas perdre mon sourire et mon ton enjoué pour autant. Pourtant, je pouvais concevoir parfaitement qu'une telle attitude pouvait agacer, ça pouvait sonner exagéré, peut-être même fake. Il est vrai que du fait de ma profession et de mes engagements au sein de l'Ordre, j'avais appris à feindre, à me dissimuler, voire même me déguiser, mais je savais également me montrer sincère lorsque je laissais tomber le masque et exprimais mes émotions.

En parlant de masque, voilà que Tobias entrait dans le vif du sujet et me détaillait les premiers résultats faisant suite à la requête que je lui avais soumise. Comme l'homme le rappelait à juste titre, j'avais demandé un moyen, sous-entendu magique, pour pouvoir me camoufler et mener mes opérations à bien tout en restant sous couverture. Je n'étais ni Auror, ni espionne, mais seulement journaliste, et en tant que telle, j'avais parfois besoin d'interroger des personnes différentes dans le cadre de mes enquêtes. J'ai eu bien souvent l'occasion de constater que le résultat différait sensiblement selon si j'agissais à visage découvert, en mon nom propre, ou si j'adoptais un alias. La renommée pouvait être très intimidante, et les langues se déliaient plus facilement quand l'interlocuteur se sentait davantage en confiance, ce qui pouvait parfaitement se comprendre. De plus, les journalistes avaient parfois très mauvaise presse – sans mauvais jeu de mots -, l'on pouvait refuser de parler pour ne pas avoir d'ennuis, sans compter ceux qui se méfiaient d'office parce qu'ils avaient eu des mauvaises expériences avec des confrères, comme par exemple, ceux qui interrogeaient des personnes et qui déformaient tellement leurs propos que le résultat ne ressemblait ni de près ni de loin à ce qui avait été dit au départ. Il est vrai également qu'il existait déjà des moyens de changer d'apparence tels que le polynectar pour ne citer que lui, mais le résultat que je recherchais s'approchait davantage de la magie des métamorphomages que de l'utilisation d'une potion. Alors oui, je brûlais d'impatience de savoir ce que Tobias avait concocté pour moi et je ne perdais pas une miette de ce que l'inventeur disait.

Je marmonnais des Mh-mh par intermittence, pour montrer que j'avais tout bien suivi. Telle la bonne élève que j'ai été et que j'étais toujours, j'avais sorti un calepin et je prenais des notes, comme si j'étais en train d'interviewer quelqu'un dans le cadre d'un article. Je ne levais la tête que pour regarder Tobias faire sa démonstration. Le résultat était spectaculaire : je voyais l'homme endosser l'apparence d'un autre juste sous mes yeux. Cela n'avait rien à voir avec le polynectar, car ce sortilège semblait complètement indolore, alors que quand on prenait la potion on souffrait le martyre – en plus de devoir ajouter un cheveu dans la concoction car on ne pouvait prendre endosser que l'apparence de quelqu'un d'existant. Le sortilège de Tobias semblait supprimer les inconvénients du polynectar, en plus d'être très pratique d'utilisation. En tout cas, Tobias était totalement méconnaissable.

« Parfait ! » m'écriai-je, non sans enthousiasme, tandis que j'inspectais le quadragénaire à la recherche de la moindre faille dans son déguisement. Comme il fallait s'y attendre, il n'y en avait absolument aucune. « Mazette, je suis franchement impressionnée ! Tu as l'air plus vrai que nature. »

C'était tout ce que je demandais, que les autres n'y voient que du feu. Les changements étaient subtils mais c'était suffisant pour détourner l'attention. Je fis une moue lorsque l'homme insinua que je ne savais pas boire proprement.

« ça fait longtemps que je n'ai plus besoin de porter un bavoir, Tobias. » grognai-je, en lançant à l'inventeur un regard noir. « Mais merci du conseil, je tâcherai de me rappeler de ne pas accepter à boire lorsque je porterai ton sortilège. »

Accessoirement, cela m'évitera aussi de picoler plus que de raison, y compris lorsque je travaillais. Je n'ai jamais vraiment été portée sur la bouteille, mais il est vrai que ces derniers temps j'empruntais une pente très glissante et la situation pouvait empirer si je n'y prenais pas garde. Sur mon carnet, j'inscrivis donc la mention attention à l'eau avec un point d'exclamation géant, et souligné plusieurs fois. J'avais l'air d'en faire trop, mais je ne me faisais pas trop de soucis, ma mémoire n'était pas encore défaillante, je savais que j'arriverai à appliquer ces instructions à la lettre. Fascinée, je vis Tobias annuler les effets du sorts d'un coup de baguette magique. Je me mordis la lèvre inférieure, légèrement songeuse.

« ça marche aussi si on utilise des produits démaquillants ? » m'enquis-je, l'air de rien, alors que je passais mentalement en revue le contenu de mon sac tout en songeant aux objets du quotidien que je pourrais utiliser pour nettoyer mon masque. « Je posais la question parce que le concept me fait vraiment penser à du maquillage que l'on peut retirer d'un coup de coton humide, et c'est typiquement le genre de produits que l'on peut trouver dans le sac à mains d'une fille, tout du moins, j'en ai dans mon sac alors... »

Je haussais les épaules, d'un air de dire nevermind, parce qu'après réflexion, c'était sans doute une question idiote, mais j'avais un esprit très pragmatique et je recherchais systématiquement à optimiser les éléments que j'avais à portée de main. Cela dit, lancer le sort en tant que tel ne devrait pas trop poser de problèmes, j'étais très bonne en sortilèges lors de ma scolarité à Poudlard, je savais parfaitement me débrouiller avec ma baguette.

« On signe où, et quel est ton prix ? » demandai-je finalement alors que je posais mes mains à plat sur la table, indiquant par là que j'étais convaincue et par le concept, et par la démonstration.

J'avais de quoi payer rubis sur l'ongle. J'avais de l'argent et je ne m'en cachais pas. J'avais beau être très aisée, je n'étais pas pingre pour autant et j'étais plus que disposée à mettre le prix pour peu que ça vaut le coup. Qui plus est, je mettais le sujet sur le tapis pour régler les questions administratives tout de suite pour pouvoir passer à la partie travaux pratiques.