14 septembre 1987, 87 unicorn lane, manoir lestrange.

La chambre n'est plus que chaos. Destruction invoquée par la trahison. Les sentiments douloureux qui continuent d'assaillir Bellatrix. Elle implore encore en silence que ça s'arrête. Qu'on lui arrache le cœur. Qu'on lui retire l'âme. Tout pour que la douleur s'arrête enfin. Elle a eu beau essayer de ressentir autre chose. Rien n'y a fait. C'est à peine si elle a sentie le bout de son poignard s'enfoncer dans la chair tendre de ses bras. Les marques rubéfiées témoignent à peine du mal. Elle ne ressent plus rien Bellatrix. Le mal physique n'est rien contre celui infligé à son cœur. La nouvelle l'avait anéantie. Et elle ne trouvait pas en elle la force d'aller de l'avant. Pas quand tout son monde s'était écroulé en une fraction de seconde. Elle est blessée Bellatrix. Détruite. Consumée par la folie. Finalement battue. Il a réussi. La reine s'écroule enfin. Elle a perdu son roi. Parti avec une autre. Princesse de pacotille. Fille de joie. Et elle reste derrière. Perdue. Faible. Par sa faute à lui. Responsable de tous ses maux. Lui. Lui qu'elle déteste. La trahison lui bouffe l'âme. Tout vole en éclats.

De la jolie chambre du manoir Malfoy, ne reste que des lambeaux de tapisserie, des morceaux de meubles. Quelques débris de verre ici et là. Et de Bellatrix Lestrange ne reste qu'une ombre informe. Un corps presque sans vie. Une plainte constante. Gémissement dégueulasse. Elle ne parvient pas à se relever. Recroquevillée sur elle-même, elle tente vainement de se réchauffer, de calmer ses trémulations. Autant de faiblesses qui la répugne. Elle n'est plus Bellatrix Lestrange. La Reine s'est fait prendre à son propre jeu. La guerrière s'effondre sur le champs de bataille. Plus personne pour la suivre. Plus personne pour la rattraper alors qu'elle chute dans les abysses. La réalité la frappe avec brutalité. Et la douleur refuse de disparaître. Saccager sa chambre n'y changera rien. Elle doit agir. Elle doit sortir d'ici. Elle doit lui faire payer. Lui faire mal elle aussi. Faire pire.

Déterminée, sourde et aveugle aux supplications de sa cadette. Narcissa impuissante face à la tempête. Bellatrix disparaît dans les flammes vertes. L'adresse qui s'attarde sur les lèvres. Aucun avertissement. Elle va et vient Bellatrix. Sans jamais se préoccuper de ce que les autres pensent. Sans jamais songer une seconde de ce que les autres peuvent ressentir. Seul compte sa peine, son besoin. Son désir. La pièce est plongée dans l'obscurité. Il n'y a que les flammes vertes dansant dans l'âtre pour troubler la nuit. Elle s'extirpe de la cheminée en une longue enjambée, veillant à ne pas accrocher sa robe en dentelle. Peu à peu sa vue s'acclimate et elle pose les yeux sur celui qu'elle est venu voir. Celui dont elle a besoin.

Rabastan. L'autre frère. Celui qui n'a jamais failli. Fruit défendu. « Je savais que tu serais là. » Seul. Les yeux baissés sur un tas de paperasse. Bourreau de travail. Tout pour rester loin de celle qui partage sa vie. Elle s'approche à pas feutrés Bellatrix. Animal blessé qui ne laisse rien paraître. Et pourtant tout en elle hurle. Il suffit de lire au-delà des apparences. Elle a les paupières lourdes Bellatrix. Le corps fragilisé par une douleur psychique qu'elle refuse d'exprimer. Elle ne peut que se tenir debout face à lui. Courbée par la douleur. Diminuée par la trahison qui lui bouffe les entrailles. Loin, terriblement loin, d'être la grande Bellatrix Lestrange. Rien qu'une ombre qui supplie du regard qu'on l'aime. Besoin malsain d'être comprise.

Enième dispute avec Mara - jamais ils ne seront à la page, à jamais incapable de s'accorder, de produire une quelconque harmonie, mélodies dissonantes qui donnent un concert strident, plainte languissante des coeurs qui ne peuvent pas battre à l'unisson. Il s'est enfermé dans son bureau, elle, doit être retranchée dans une des nombreuses pièces de la maison, peut-être même est-elle sortie, il a vaguement entendu la porte se refermer d'un coup sec. Peu importe.
Les parchemins sont étalés sur ce bureau en palissandre lustré accaparent toute son attention - échappatoire bienvenue à ce quotidien étouffant; c'est devenu un art, de passer le moins de temps possible avec l'épouse imposée, feintes qui se multiplient, et que l'absence d'Eija et de sa clairvoyance facilite. Il sait que le jour viendra, proche, où elle commencera à s'interroger, à remarquer que le vernis cache une misère sordide, un équilibre si précaire qu'un simple souffle le ferait flancher.

Dans un coin, posé sur un meuble de pente, lui aussi dans un bois sombre, délicatement poli, la corolle d'un gramophone magiquement ensorcelé passe une musique apaisante -- les notes coulent, comme le cours tranquille d'une rivière, elle délassent l'esprit noué de tant d'incertitudes, d'hypothèses folles. Le malt dans ce verre posé près de lui, aussi tranquillise la course effrénée de ces pensées interdites, espoirs qui ne verront jamais le jour et qui se résument en un mot, un seul. Bellatrix. La dame de glace, fière guerrière qu'il se doit d'oublier sans jamais y parvenir. Le veut-il seulement? Renoncer à la faire sienne, une tâche à laquelle il s'emploie, dans la chaleur d'autres draps, mais elle fera toujours partie du tableau, d'une façon ou d'une autre. Il s'abîme dans le travail, parce qu'au moins, ça loffre une diversion bienvenue au tintamarre chaotique qui se joue au dedans. - Je savais que tu serais là... La voix revenue de l'oubli, éthérée, presque irréelle. brisée. Ça ne se voit pas à l'oeil nu, les lacérations qui laissent leurs deux âmes exsangues, celles qui ont fait chuter la reine sur l'échiquier terrible, celui qui s'actionne derrière les rideaux de velours. - Tiens, la louve a quitté sa tanière...

Il n'a pas eu besoin de relever les yeux pour savoir, avant même qu'elle ouvre la bouche; comme si chaque infime parcelle de son être avait compris, senti l'arrivée de celle qui l'accapare depuis si longtemps déjà.

14 septembre 1987, 87 unicorn lane, manoir lestrange.

La comparaison lui arrache un sourire en coin. Métaphore pas si loin de la réalité. Elle s'était terrée au manoir Malfoy. Ultime retranchement. Un endroit presque sain où panser ses blessures. Une parenthèse. Pour peu, elle se risquerait à l'appeler havre de paix. Seul endroit au monde où elle pouvait se laisser aller à être elle-même. Sans que personne ne la juge. La sœur cadette pour l'aider à se relever. A la fois bouclier et épée. Une drôle de vie qui s'était imposée aux sœurs Black. Toutes deux bafouées. Tombées de leur piédestal. L'opprobre jeté sans vergogne. Le nom de Malfoy qui tombe dans les abysses. Celui de Lestrange qui vacille. Et Black qui demeure. Force inébranlable qu'elles doivent à Cygnus et Druella. « Tout comme le loup. » Sa langue claque dans l'air. La colère qui inonde encore son âme, ne lâche rien. Pas de demie mesure pour Bellatrix. La meute se disperse. L'ombre de la grande louve demeure. Celle qu'elle était. Celle qu'elle veut redevenir. Aussi féroce. Indomptable.

Insaisissable Bellatrix qui se meut lentement, fait danser ses courbes. Etend un doigt filiforme pour caresser les papiers qui s'éparpillent en un désordre probablement ordonné. Le regard qui vagabonde, capte quelques mots ici et là. Elle attrape un bout de papier qu'elle fait mine de lire, faussement intéressée. « Il est bien tard pour travailler. » La feuille lui échappe volontairement des mains. Tourbillon élégant qui termine sa course sur l'épais tapis d'orient. Ses yeux qui trouvent enfin les siens. Comme une promesse. Reflet d'éternité. Le gris qui lui manque. « Je suis certaine qu'on peut trouver mieux comme activité. » Fougue retrouvée, elle s'empresse, s'approprie les lieux. Deux verres vides teintent entre ses mains, bien vite rempli du liquide ambré dont ils raffolent. Sourire en coin, elle lui offre le sien, effleurant à peine ses doigts. Electricité grisante, simple contact qui change tout. Elle s'attarde avec l'envie de plus.

Et déjà il s'éloigne. Serpent ô combien plus malin qu'elle. Ca ne fait qu'attiser le feu qui gronde en son sein. Piquée au vif, elle se redresse, se donne des airs de reine. Manipulatrice qui a perdu tout contrôle. « A nos mariages et aux futures unions arrangées qui rendront une nouvelle génération de rêveurs malheureux. » Apre, l'amertume sur les lèvres, Bellatrix lève son verre à cette malédiction qui ne sera jamais balayée.

Fière. Elle parade, paon aux plumes froissées, qui se donne contenance tant bien que mal. Il le sait, il n'est pas dupe; pourtant, il ne dit rien, c'est inutile. Elle aussi, sait qu'il voit outre les apparences, le masque qu'elle se compose et qui est presque devenu une seconde peau avec le temps. Il la connait trop bien, plus qu'il ne faudrait, pour son propre bien, pour sa propre sanité, qui commence à s'effriter dangereusement. Flamme qui vacille sous la brise. la bourrasque qui se lève au creux des entrailles. Il finit par lever les yeux, son regard se pose sur la silhouette, il y a quelque chose de différent, pas le même port altier, malgré les efforts pour camoufler ce qui la ronge. Epaules qui portent un poids bien lourd, qui semblent s'affaisser sous les coups d'un destin qui n'épargne rien ni personne. Il a presque un peu mal au coeur en la voyant, si loin d'être aussi majestueuse -- la froideur des traits a quelque chose de presque terrifiant. Elle reste belle pourtant.

Elle erre dans cette pièce, feint de s'intéresser à ce qui l'occupe, jetant les yeux sur un parchemin, furtivement, simulâcre de pacotille. La feuille s'échoue sur le tapis, aucun bruit, simplement ce mouvement, fluide et léger, à l'opposé de tout le reste dans le bureau. Deux géants érodés qui se font face. - Il est bien tard pour travailler...  L'espace d'un instant, la sève gagne, vigueur retrouvée, splendeur d'antan, comme intacte, l'espace de ce quelques instants. Il aperçoit furtivement, la grande bellatrix sous le fardeau. - Je suis sûre qu'on peut trouver mieux comme activité. Dit-elle, malicieuse, en leur servant une rasade de cet ambre précieux. Les doigts qui s'effleurent, contact furtif, mais néanmoins électrisant.

Promesse dans le sable, presque palpable encore une fois, mais qui s'évanouit dès qu'il tend la main. Alors il n'essaie plus, il ne veut plus courir après un courant d'air, mais d'un autre côté, elle est toujours imprimée dans son esprit, dans son coeur, elle qui fait naître ce désir interdit. - Qu'est-ce que tu veux Bellatrix... il se redresse, dans le fauteuil, se cale contre le dossier en cuir de de dragon, faisant rouler le liquide dans le fond du verre avant de le lever, geste qui fait écho à son toast amer. - Il est tard, comme tu l'as si bien dit.

Qu'est-ce que tu veux Bellatrix ? Les mots qui résonnent, lui arrachent un frisson. Comme effrayée, elle est loin d'être fière la guerrière. Elle n'a plus le regard qui pétille. L'envie de se battre qui se volatilise. Elle le regarde sans le voir vraiment. Ce Lestrange qui la cherche, qui jamais ne la fera sienne. Cadet malheureux. Lui qui a toujours su ce qu'il voulait sans jamais pouvoir l'obtenir. Elle l'objet de tous les désirs qui s'amuse. Un rire amer lui échappe. La réponse si simple, limpide. Comme si elle avait toujours su. « Lui faire mal. » Ouvrir son âme en deux. Enfoncer son couteau au fond de ses entrailles. Lui retourner le cœur. Qu'il connaisse le goût de la trahison. Qu'il partage son enfer.

Ses iris le toisent. Elle a l'air de le voir pour la première fois. Découverte pas si innocente. Elle perd de sa splendeur, les épaules baissées, le teint pâle. La folie qui va et vient. Torture sans égale. Elle se sent partir. La faiblesse coulant enfin librement dans ses veines. Elle n'a plus à faire semblant. Tout en elle hurle. Bellatrix Lestrange finalement brisée. Anéantie par ce sentiment qui en tourmente plus d'un. Ce ramassis d'émotions qui la rend humaine. « Je voudrais qu'enfin un Lestrange m'aime. » Aveu douloureux qui l'abat. Son jeu enfin dévoilé. Elle ne se cache plus. La vulnérabilité qui transpire dans chacun de ses mots. La femme devenue gamine. Elle voudrait enfin comprendre ce que ces mots signifient. Qu'on lui apprenne l'amour. Qu'on lui montre.

Délicatement, son verre trouve refuge sur le bureau, délaissé au profit d'autres gestes. Elle encore toute puissante sur ses deux jambes. Certaine de pouvoir encore tout contrôler. Lui à sa merci. « Tu m'aimes, n'est-ce pas Rabastan ? » Jeu malsain. Un quelque chose à prouver. Ses yeux implorent, demandent une réponse. Son esprit malade persuadé de le mériter. Certaine d'avoir le droit de le posséder lui aussi. La ligne entre eux s'efface. Ce fil invisible qui les a toujours gardé à distance. Loin des yeux, loin du cœur. L'envie depuis toujours refoulée. Les bons sentiments mis en avant. Le besoin animal refréné jusqu'à le museler. Plus maintenant. L'aîné a ouvert la boîte de Pandore. Pourquoi devraient-ils rester dans les ténèbres ? Il est temps de briser leurs chaînes. Temps de réclamer leur dû. Et de faire payer l'être responsable de tous leurs maux.

La pensée de Rodolphus qui ne réussi même plus à la faire reculer. Bellatrix déterminée, en colère. Prête à tout. Quelques pas pour l'atteindre, buter contre ses genoux, effleurer ses mains. Lire dans son regard le même désir. L'interdit leur ouvre les bras.

Usée. La corde est sur le point de se rompre sous la pression, celle de ce qui est interdit, jamais formulé véritablement, mais toujours en filigrane. Il ne l'avait toujours connue que comme la fière guerrière, reine des amazones; figure puissante et qui s'impose là où on ne l'attend pas. Bellatrix, indestructible, comme celle qu'il avait toujours vue, idéalisée, idolâtrée même, faisant totalement abstraction de l'humanité qui ce soir, venait régler ses comptes avec la reine de glace. Ils ne sont pas à l'abris, lui pas d'avantage; de ce qu'ils ont trop longtemps tu, refoulé et qui est en train de pourrir en dedans, de leur exploser au visage avec une violence inouïe. La leur qui leur revient en pleine figure, boomerang diabolique de ce qui n'aurait jamais dû naître. lui faire mal. La muraille qui se fissure, l'harmonie à toute épreuve de leur couple, en train de tomber en poussière, pierre par pierre. Il devrait se réjouir, cadet toujours dans l'ombre, observateur pour son propre malheur.

Pourtant, ce soir là, c'est comme si la lueur avait vacillé un peu trop dangereusement. Il ricane -- peut-être l'effet de l'alcool qui court déjà depuis quelques moments dans les veines. - le frère parfait ne le serait donc pas autant qu'on croit? qu'il lance, presque plus pour lui que pour elle, ou peut-être une pensée formulée à voix pas si basse. Nouvelle gorgée de l'ambre. Dans ses yeux à elle, la flamme s'est ravivée, d'un autre genre, destructrice, alors qu'elle voue pourtant un amour viscéral au frère, tête qui a été couronnée de tous les lauriers. - je voudrais qu'enfin un Lestrange m'aime.. le verre serré dans le poing, qui se brise sous la poigne retrouvée, comme si le sang avait soudainement été porté à ébullition. - PARDON ? Tu es devenue folle ma chère ... ou aveugle. Peut-être les deux? Tant d'années qu'il n'avait plus élevé la voix, un peu éraillée par le temps et le malt. Même face à Rodolphus, tout s'était joué dans la sournoiserie des propos, murmures, tout au plus, sifflements vipérins échangés. - Tu nous as eu tous les deux à tes pieds, et tu le sais parfaitement..

Il n'a pas l'intention de lui faciliter les choses, quand bien même l'envie de lui céder demeure toujours, farouche, féroce dans l'arrière du crâne, le rapport de force s'est inversé. Le pantin qu'il a pu être, toutes ces années, à ne chercher qu'une chose: un regard, un geste, accourir au moindre soupir. A quoi bon, elle avait joué, impitoyable, avec les deux coeurs. Ce soir, il profiterait de cette maigre revanche apportée sur un plateau. Cette résistance qui se fait de plus en plus ténue, mourante, dans le repaire feutré. Il pose les yeux sur elle depuis la première fois, depuis qu'elle s'est invitée entre ses murs. - Que veux-tu Bellatrix? Elle n'aurait qu'un mot à dire, pour que le dernier rempart ne finisse lui aussi par céder, que l'interdit les entraîne dans la spirale infernale.

Elle a beau le voir disparaître, le repousser, il revient toujours. L'aîné. Le prodige. L'enfant chéri. Le premier né qui devait épouser la première née. Parce quue c'était écrit. Logique ancestrale, imparable. L'alliance depuis longtemps scellée. Elle n'a eu qu'à dire oui Bellatrix. Acceptée sans broncher. S'offrir toute entière. Agneau sacrifié. Tant pis pour ses envies. Au diable ses désirs ! Mais ps ce soir. Pas cette nuit. La bête se réveille. « Il ne l'a jamais été. » Mensonge éhonté auquel elle ne croit pas. Sa voix la trahie. Son regard qui dévie, cherche à s'ancrer ailleurs. Pour ne pas voir ses prunelles enflammées. Pour ne pas les comparer avec celles de cet autre qui partage son sang. L'affront est réel. Tout comme l'envie de plonger dans les abysses. Se perdre avec ce double. Oublier. Souffrir et faire souffrir. Plus rien ne compte vraiment que le feu qui couve entre eux. Les flammes qui cherchent à les brûler. Elle finalement prête à se consumer.

Un rire triste et ô combien dangereux lui échappe. De ces rires qui font pâlir ses ennemis, sourire les plus fous. La folie qui déforme à nouveau ses traits. Prise de conscience violente. Elle n'a plus rien Bellatrix. L'emploi du passé ne lui échappe pas. Morsure plus terrrible que tous ses mots. « Je ne sais pas. Je ne sais plus Rabastan ! » Gamine perdue, emportée par le tourbillon de la vie. Ce trop plein d'espoir. Cette mélancholie et toutes ces blessures qu'elle garde enfermée dans un coin sombre de son esprit. Tout le mal qu'on lui a fait depuis qu'elle est née. Comme maudite. Le reflet dans le miroir ne lui ressemble plus. Silhouette déformée par ce manque qui la ronge. Ces douleurs lancinantes qui ne lui laissent aucun repos. « Tu sais ce qu'il a fait. » Tu sais la honte. Tu connais le mal qui me ronge. « Je vous veux tous les deux de nouveau. » Comme avant. Le cœur qui déborde de cette humanité dégueulasse. Ces sentiments déroutant qui la laisse pour morte.

Le feu prêt à les brûler. Elle laisse les secondes s'égréner et la tension monter. Les regards s'accrochent, désespérés, extatiques. « Toi. » qu'elle souffle rien que pour lui. « C'est toi que je veux maintenant. » Aveu fatal. Toutes ces années à se demander le goût qu'il a. Tout ce temps perdu à se regarder de loin. S'amuser sans jamais oser. S'effleurer et se faire mal. Si proche et si loin. La barrière s'effondre.

Refrain lancinant, litanie des pensées interdites. Ils sont tous les deux aux prises avec les chimères, chacun pour des raisons différentes, deux réalités qui se superposent mais ne s'épousent pas complètement. Incapables de briser le cycle, se hisser en dehors de cette zone grise, les ombres qui bouffent leurs âmes, qui les enferment dans cette spirale infernale. Il ne l'a jamais été.. même elle ne croit pas aux mots qui sortent de sa bouche, le ton beaucoup trop teinté de mélancolie, de cette langueur qui tient les coeurs épris dans sa paume glacée. Il aimerait y croire, lui aussi, voir les failles de l'aîné, qu'il masque si bien depuis tant d'années, depuis toujours. Il sait qu'elles sont là, mais personne, n'a jamais pu lever le voile. peut-être que personne n'avait voulu non plus; pas même les géniteurs, trop obnubilés par la satisfaction du devoir accompli, d'avoir produit l'héritier tant attendu. Ricanement, l'amertume qui gangrène le fond du coeur, depuis tant d'années déjà.

L'équilibre qui vacille, aura de destruction qui flotte dans ce bureau, refuge d'un mariage qui a de plus en plus le goût du naufrage, radeau plus ou moins stable. Ce rire qui emplit la pièce, ricoche sur les murs froids, et le coeur et la caboche fêlés; il se surprend à étirer les lèvres en un semi-sourire à ce son pourtant plein de désolation, flirtant avec la folie. Ils ont dépassé le point de non-retour depuis longtemps, peut-être même sans l'avoir réalisé, même s'ils ont pu empêcher jusqu'à lors leurs mains de se frôler. Combien de temps pourront-ils encore résister? Le voudront-ils seulement? Tu sais ce qu'il a fait.. la rumeur, tâche d'huile ignoble qui souille les fiertés, les orgueils en lambeaux. Il ne connaît que trop. - rends lui la pareille... la provocation au bord des lippes, regard qui flambe dangereusement les dernières onces de volonté, comme une attente tacite, invitation à la débauche.

Il pose le verre sur le bois laqué, et finalement, comme le serpent qui fond vers sa proie. Plus aucune limite, aucune digue ne peut plus retenir le torrent dévastateur qui va les noyer. - c'est toi que je veux maintenant.. L'aveu qui fait tout céder, qui emporte tout sur son passage, le dernier rempart vient de céder; face à la reine de pique, il abaisse finalement les armes, le voeux secret qui se réalise enfin -- deux corps qui s'enlacent, valse à mille temps, duel acharné, les lèvres qui se cherchent, se malmènent. Il n'y a aucune douceur ni aucun ménagement, il fond sur elle, prêt à faire trembler les fondations même de ce qu'ils sont.  - tes désirs sont des ordres... murmure lancé pour ses seules oreilles, et tant pis pour les conséquences...

Right and wrong. Good and bad. Notions qui n'ont jamais rien voulu dire. À peine consciente de leur signification. Elle qui danse sur la ligne, dessine les frontières à sa façon. À la limite de la décence. Il n'y a jamais eu de demies mesures dans son monde. Bellatrix qui est à la fois tout et rien. Bellatrix qui s'enfonce dans les sables de la folie. Emportée par ces autres qui n'ont plus voulu d'elle. Enfermée au fond de son propre esprit, la jeune femme s'est construit ses propres barrières. Des frontières invisibles qu'elle dépasse avec délices. Non-conformiste qui se revendique. Elle a toujours su ce qu'elle voulait dans la vie. Être meilleure, au-dessus de la mêlée. Reine d'un royaume inventé. Avec au fond du cœur une blessure qui jamais ne pourra guérir. De ces blessures qu'on préfère oublier. Celle qui vous brise rien qu'à y penser. Elle refuse d'être brisée Bellatrix. Cruelle vérité qu'elle ne veut plus regarder en face. Le miroir déformé par ses propres sorts. Tous ces silences qui rendent cette réalité un peu plus supportable. La vérité devenue anguille. Serpent venimeux qu'elle manipule sans prendre garde.

Ils se laissent volontairement mordre. Le venin de la passion comme récompense ultime. Petite mort bienvenue. Il n'aura suffi d'un rien. Une étincelle. Leurs corps qui dansent, les lèvres qui se cherchent et les mains qui s'accrochent à la moindre petite parcelle de peau. Tout pour s'approprier d'autre. Le clamer sien. Elle goûte enfin au fruit interdit. Plaisir sucré, terriblement doux. Elle se perd déjà Bellatrix. L'esprit embrumé. Loin, si loin, de la raison. La bienséance balayée. Ils répondent à leurs instincts les plus basiques. Ce désir qui les brûle depuis trop longtemps. Ce besoin de l'autre. Ce besoin irrationnel de se savoir enfin aimé. Ou presque. La réalité frappée par l'irréalité. C'est trop facile. Trop douloureux. Elle s'accroche Bellatrix, comme une gamine qui sent son rêve lui échapper. Elle s'attarde sur ses lèvres, mordillant la chair comme pour le marquer, ne jamais oublier.

En position de force, elle sait qu'il irait jusqu'au bout pour elle. Et elle sait aussi que cela signerait sa fin. Elle qui n'a jamais franchi le pas. Elle plus fidèle. Elle ne peut pas. Le poids de l'adultère finalement trop difficile à porter. Elle met fin aux gémissements en le repoussant doucement. Pas convaincue par ses propres gestes. Trop faible. « Je ne peux pas. » Elle pourrait si elle le voulait vraiment. Mais elle s'est prouvé déjà capable d'assez. Rabastan tombé dans les filets. Les doigts se cherchent encore et elle soupire contre ses lèvres. « Pardonne moi. » Supplication pour un Lestrange dont l'identité reste à déterminer.

Il était presque palpable, ce petit goût d'interdit, presque à portée de main. Quelques soupirs emmêlés, les lèvres qui se trouvent enfin, la sensation étrange d'être soudainement plus que simplement le beau-frère, le cadet sur lequel on ne s'attarde pas. Combien de fois avait-il imaginé ce moment, trop ivre de cette sensation de toucher un rêve du doigt pour se rendre compte que ce n'est plus un rêve. Pendant un temps, quelques minutes, furtives, le reste du monde n'existe plus, les contours de cette pièce -- refuge à la débâcle d'une union décidée par d'autres, ne sont plus là. Plus d'entraves, plus rien qui les retienne, dans le secret de cette pièce à l'ambiance feutrée. Le venin court dans les veines, enivrant, au moins autant que le malt qu'ils ont savouré quelques moments plus tôt. Poison qui se répand et qui fait perdre toute notion de bien, de mal, de réalité. Tout est flou, brouillé autour d'eux, dans le geste le plus primaire, le plus simple mais qui signe un pas de plus vers le chaos et la destruction.

Pantin entre ses doigts, elle qui manipule et tire les ficelles et lui qui répond toujours, pathétique esclave d'une chimère adolescente, espoirs vains, restés enfermés dans un coin du crâne, coincés entre les désillusions qui n'ont pas manqué de se succéder. Une fois de plus, elle lui fait miroiter les cieux, firmament qui lui ouvre les bras, sous sa forme terrestre -- elle, étreinte qui a toujours été idéalisée, fantasmée. Une fois de plus, elle lui échappe, se soustrait à ce petit jeu qui n'amuse plus qu'elle. Il n'avait pas pu se résoudre à n'être qu'un pion sur son échiquier, un jouet qu'on prend et qu'on repose, qu'on laisse dans un coin jusqu'à la prochaine fois. Et pourtant, c'est exactement ce qu'il est. Aucune considération pour lui. Il n'y a qu'elle qui compte, égoïsme fait femme, et lui trop stupide pour n'avoir pas coupé court alors qu'il aurait dû.

Je ne peux pas... Les mots résonnent, mélodie furibonde dans la boîte crânienne, il n'y a plus que ça, il n'entend plus que ça. Explosion de frustration, encore, dirigée violemment contre elle, de qui il se détourne pour s'empêcher de commettre un geste qu'il regretterait. - Tu n'as jamais eu l'intention... avoue... la fureur dans la voix, tandis qu'il lui tourne toujours le dos, tentant vainement de calmer sa respiration, le venin et le feu dans les veines, brûlant de ce désir trop de fois attisé. Veut-il réellement entendre la réponse? Pas sur. - Non, ne réponds pas, si c'est pour mentir encore... Il la regarde dans les yeux, une fois encore, peut-être la dernière. Il a besoin d'air, d'espace. Cette pièce, la vue de Bellatrix, faiblesse ultime, l'étouffe.