Why the fuck didn’t you get rid of it ? Ça résonne dans sa caboche, ça cogne violemment et ça s’accorde avec la culpabilité qui l’étrangle, qu’il essaie de noyer dans un autre verre d’ambre qui n’passe pas. Rien n’va, rien ne le console. Ça continue de le hanter, chaque nuit, chaque heure de chaque foutu jour. Ses phalanges ensanglantées tâchent le comptoir, laissent ça et là les traces d’un autre combat, d’un autre cauchemar. Il tourne en rond dans son bar comme un condamné, protégé par la magie de sorciers plus puissants qu’lui venus enchanter les murs de son repère. Maigre barrière contre la rage de l’ennemi, c’est à peine s’il ose sortir de chez lui, pas lâche, simplement pas prêt à affronter l’monde et toutes les emmerdes qui continuent de lui tomber sur le dos et sous lesquelles il se courbe sans espoir de parvenir à se redresser, même son chapelet est perdu, éclaté contre les murs de Sainte Mangouste, mille pièces éparpillées contre l’insupportable vérité. Il n’a pas prié depuis ce jour-là, n’a pas levé les yeux vers les cieux, ses mots en travers de la gorge, il n’a que des insultes à hurler au firmament.

Why the fuck didn’t you get rid of it ? L’pire c’est qu’il n’en pense pas un mot. Son enfant. Leur enfant. L’impossible matérialisé dans son ventre, union défendue qui pourrait lui coûter la vie, parce qu’elle l’a gardé, parce qu’elle a décidé de lui donner une chance, enfant d’l’amour, même éreinté, même à bout d’souffle, morceau d’espoir dans les ténèbres qui grondent au d’ssus de leurs têtes. De l’espoir, d’la vie. Au milieu de toute cette mort, de tous les ravages. Bout d’vie qui a besoin d’un père, de quelqu’un pour le protéger, pour protéger la femme qui le porte. Elle ne peut pas rester là-bas, Mevlana, dans l’camp de ceux qui se battent contre tout ce que cet enfant représente. Un peu des deux mondes, moitié moitié, tout c’qu’il y a de plus beau, lumière dans l’obscurité.

Le cuir est trempé. Sous sa veste l’eau s’est infiltrée, recouvrant l’épiderme bouillonnant de frissons. Il a couru sous la pluie battante. Il a couru à perdre haleine, suant les poisons de toutes ses contradictions et du whisky. Il a couru parce que la détermination a surplombé la colère et la peur, parce qu’il avait besoin de sentir toutes les parts de son être qu’il ne cesse d’étourdir dans l’fond d’une bouteille, parce qu’il a besoin d’avoir l’esprit défait de ses démons, juste assez longtemps pour lui parler, pour la convaincre, il a besoin de ses paroles, de ses discours, de ses meilleures armes. Son poing s’abat sur la lourde porte de bois à plusieurs reprises, au rythme de son palpitant déchaîné. - Please, be here. Souffle-t-il, jetant enfin un brin d’espérance vers l’empyrée.

L'endroit n'avait rien d'accueillant ni d'attirant. Dans n'importe quelles autres circonstances, elle aurait plissé le nez, refusé ne serait-ce que de mettre les pieds dans un taudis pareil, sans même parler d'en faire un refuge, quiconque aurait suggéré l'idée aurait écopé d'un impardonnable entre les deux yeux. Mais pourtant, elle l'avait fait sans y réfléchir à deux fois, sans la moindre hésitation. Précaution oblige, elle a pris soin de lancer un discret sort d'amnésie au propriétaire de ces lieux à la limite de l'insalubrité. Enfin, elle peut respirer plus sereinement; plus besoin de se cacher, de toujours être sur ses gardes même si, malgré tout, elle ne peut pas s'empêcher d'être un peu tendue. Méfiante par nature, rose trop habituée à la mauvaise herbe qui l'entoure, à l'aridité et à la sécheresse.

Les notes de cette vieille berceuse s'échappent de ses lèvres, sans vraiment savoir si les paroles sont correctes, qu'importe -- qui lui en ferait la remarque? Des mots oubliés par ci, par là, rime un peu déséquilibrée, boiteuse. Elle ne savait même pas que cette vieille mélodie un peu triste traînait dans le fond de sa mémoire, ni comment elle s'est extirpée de ses tréfonds. Les yeux rivés sur les flammes crépitant dans l'âtre, elle est plongée dans une étrange torpeur, état second qui ne l'a pas quitté depuis le début de la matinée. Les pensées diffuses, sans réelle cohérence, elles s'emmêlent dans l'esprit trop fragile, à l'équilibre précaire. Sur le guéridon, juste à côté, le thé a refroidi dans le mug qu'elle s'était servi; oublié là, tandis qu'elle semble si loin, ne sachant pas très bien où elle-même. Il y a son visage, en filigrane dans un coin, les prunelles si bleues. Elle a les doigts noircis par le fusain, les esquisses qui jonchent le sol; les traits en désordre comme pour exorciser ces mots qu'elle n'oublie pas. why the fuck didn't you get rid of it? D'un geste rageur, elle gribouille par dessus le croquis, le seul exutoire possible, faute d'avoir pu lui cracher sa rage et sa tristesse au visage. screw you rosen malone.

On frappe à la porte. Elle s'immobilise, la méfiance à nouveau peinte sur les traits tirés, fatigués d'avoir versé ces larmes traîtresses. Qui donc peut bien venir frapper ici? - Who's there? Elle n'ose pas penser que ça pourrait être Igor, ou l'un de ses sbires. Impossible, ça ne lui viendrait pas à l'idée de venir la chercher ici, ou de la chercher tout court -- ils se voient aux réunions des mangemorts, c'est bien assez comme ça. Baguette levée, elle se tient prête à l'attaque, louve aux instincts auigisés.

Ça a un drôle de goût sur sa langue anesthésiée par la verve et le feu, l’espoir. L’envie d’y croire. L’envie de s’accrocher à quelque chose de plus grand. Cet instinct dans l’fond de son ventre est inconnu, venu de nulle part, paternité qu’il ne réalise pas encore mais qui se forme en dedans, qui se construit sur les bases de tous ses échecs. Au coeur des terres asséchées de toutes ses croyances se débat l’impossible, un bourgeon d’espérance qui se fout de tout ce qui manque, tourne plutôt son attention sur les possibilités, sur l’avenir impalpable qui peut encore exister s’ils se donnent la peine, s’ils détournent enfin le regard de tout ce qui les sépare et choisissent ce qui les rassemble, ce morceau de vie qui grandit en elle. Il cogne sur le bois, ignore les phalanges égratignées par les échardes et les éclats de verre encore prisonniers sous la peau, il frappe, encore et encore, jusqu’à ce qu’enfin sa voix résonne, méfiante. Sa paume tremblante se pose sur la porte, il écoute enfin la course effrénée de son propre souffle, réalise la brûlure qui étreint ses poumons de fumeur. - Mevlana. Soupire-t-il, soulagé de sa présence, comme s’il avait peur qu’un autre soir, sous d’autres étoiles, il n’aurait pas eu le courage de revenir. Il sait qu’elle reconnaît l’écho de ses accents, ne prend même pas la peine de s’annoncer. - Please, open the door.

Le front posé contre le chêne, le souffle saccadé, les secondes s’étirent à l’infini et les regrets se posent en travers de sa gorge, le disque rayé de ses discours, de ces mots qu’il ne supporte plus de s’entendre dire, encore et encore, à chaque fois que le monde autour se tait. Elle est juste là, de l’autre côté du seuil, elle et cet improbable futur, elle et toutes ses contradictions et toutes celles qui éclatent en lui, tous ces coups rendus au centuple, leurs violences et leurs vieux espoirs. Il n’a pas prié depuis. Parce qu’il ne croit plus ? Parce qu’il est vidé, rompu par ses malchances ? Ou parce qu’il craint trop de devoir se regarder dans le miroir des confessions, de devoir faire face à sa propre pénitence ? Il connaît les règles du confiteor, il sait qu’il n’y aucune route devant lui à l’exception de reconnaître ses propres erreurs, et même lui ne peut pas être aussi lâche aussi longtemps pour prétendre oublier, avancer sans jamais se repentir. - I didn’t mean it. I didn’t mean any of it. Avoue-t-il malgré la frontière dressée entre eux, confessional improvisé sous la pluie battante.

Cette voix, de l'autre côté de la cloison. Elle la reconnaîtrait entre mille. Les yeux bandés, dans le noir le plus absolu. Elle sait, au fond d'elle qu'il est de l'autre côté, si proche et pourtant, quelque chose lui tord les entrailles, une sorte d'angoisse insidieuse. Et si c'était une ruse? Un stratagème quelconque, et s'il n'était pas seul, forcé de prononcer les mots qui lui feraient baisser sa garde? Elle se méfie encore, la louve, peut-être est-ce déjà l'instinct maternel qui se forme. La baguette toujours levée, les muscles tendus, et l'esprit qui tourbillonne à mille à l'heure -- pas le droit à l'erreur, il en va de leur survie à elles deux. surtout à elle, cette vie si pure et innocente qui termine de se développer, qui sera bientôt là. C'est elle qui est au centre de tout, de cette psyché désordonnée, qui provoque aussi bien l'angoisse que l'apaisement. Mevlana.. C'est bien sa façon, celle qui le caractérise, de prononcer son prénom, avec son accent indéfinissable, perdu entre l'Eire et Small Heath. - Please open the door.. Elle est à deux doigts de céder, parce que le coeur, lui, a immédiatement associé cette voix à l'amour d'autrefois, celui qui lui avait fait voir le monde en couleurs, plutôt qu'en noir et blanc.

Elle prend une profonde inspiration, comme pour se donner le courage qu'elle n'a jamais eu, décider ou non de se fier à juste ces quelques mots qu'il a prononcés. ou bien exiger une assurance supplémentaire -- never too careful, l'état d'esprit dominant, paranoïa qui grignote les entrailles, presque aussi loin qu'elle se souvienne. Le constat la frappe de plein fouet; elle s'est toujours contentée de survivre, d'exister. - no. not until you prove who you are. Elle fait un pas vers cette porte, le sort de protection toujours intact, parce qu'elle serait trop facile à défoncer autrement. - what are the last words you said to me.. back then.. La paume sur la poignée, une attente qui fait bondir son coeur dans sa poitrine, parce qu'elle voudrait tant que ça soit juste lui, celui qu'elle n'espérait plus. Elle voudrait tant que, pour une fois, ça soit facile, sans toute la noirceur qui les a toujours pourchassés. - I didn't mean it. I didn't mean any of it. le sel au coin de yeux, elle lâche un soupir étranglé. L'aveu lui retire un poids des épaules, malgré tout, malgré la réticence à admettre qu'elle n'a jamais tourné la page. - answer my question first.

It's not fair... ces mots prononcés, une complainte dans la nuit, une des dernières qu'ils avaient pu partager, noyant dans cet écrin de ce qu'ils auraient pu être, les ombres trop noires d'une réalité qui allait tout réduire en fumée. Elle s'en souvient comme si c'était hier, comme si; en fermant les yeux, les murs de la salle sur demande allaient se matérialiser autour d'elle, faire revenir un moment d'insouciance. Mais tout ça n'est qu'un mirage, illusion cruelle. don't go missing me too much.. les rires insolents, étouffés dans les soupirs de deux coeurs qui n'étaient pas fait pour s'accorder, qui avaient battu à l'unisson en dépit de tout. Ces souvenirs, les braises sur la cendre d'un présent qui n'a plus goût de rien, auquel seul cet enfant qu'elle ne connaît pas encore, la raccroche -- branche pourrie qui ne tient plus qu'à un filament de sève.

La main se desserre sur la poignée de cette porte, dernier rempart qui se tient entre elle et lui; elle et celui qui la complète, qui aurait peut-être pu faire d'elle quelqu'un de fréquentable. Terrée dans ce refuge miteux, comme une bête, retranchée au reste du monde, à l'abris des regards pour se laisser aller à un dernier sursaut d'humanité. Ce qu'il en reste du moins... you're a weapon, and weapons don't weep ces mots qui ont jalonné les jeunes années, la voix abrupte du paternel, valse lancinante au fond de la mémoire. Elle fait un pas en arrière. Puis deux. Incertaine de ses propres gestes, le flou qui reprend le devant de la scène dans la caboche fêlée. D'un geste fluide, le poignet qui libère les étincelles de magie, le cliquetis de la serrure qui cède. Vulnérable, de nouveau, le coeur qui s'emballe, échappe à un contrôle qui n'est qu'illusoire. Elle pourrait être heureuse, l'opportunité de ce moment volé, encore une fois, pied de nez au reste du monde. Mais le doute est omniprésent, c'est l'ombre qui plane constamment au dessus d'elle, qui n'a pas appris à écouter sa propre voix.

L'espace d'un instant, elle se demande si tout n'est pas un énième rêve.. un rêve un peu trop doux où il lui dit qu'il ne pensait pas ce qu'il lui avait dit. Tout pourrait disparaître, et cette porte ne révéler que la noirceur et l'absence, le vide. Elle ne se voit même pas ouvrir, poussée par un instinct insoupçonné, et le visage se dessine de l'autre côté, celui qui peuplait les songes, malgré tout les mots si tranchants, et les espoirs déçus des promesses impossibles à tenir. - why have you come? La voix qui tremble, incertaine; comme prise entre des courants contraires.