13 octobre 1987, ministère de la magie.

Irrésistiblement attirée par son aura. Le besoin inconscient de lui faire face, regarder au fond de ses yeux. Y lire la même envie, une détresse partagée. Y voir la souffrance et toute la peine accumulée. Savoir qu’elle n’est pas la seule. Elle ne peut pas se résoudre à rester en retrait. C’est peut-être sous l’effet des mots de sa sœur qu’elle se décide. Peut-être que Theseus avait eu raison lui aussi. Confession intime qu’elle ne lui avouerai jamais. Paon qui paraderait indéfiniment sous ses yeux courroucés. Déjà les voix s’éteignent, les conversations se font lointaines et les verres ne tintent plus dans ses oreilles. Le tumulte de la soirée s’estompe. Elle a besoin de solitude. Besoin de s’éloigner de ces rapaces qui n’attendent qu’un faux pas de sa part. Tous ces regards inquisiteurs. C’est finalement le sien qui la transperce. Toujours ces mêmes yeux de glace qui la font frémir. Qu’importe ce qu’elle en dise.

L’observation est silencieuse. Chacun dans sa bulle de vulnérabilité. Elle qui se tient droite dans son dos, la mâchoire résolument serrée, le regard un peu éteint. Lui aveugle et sourd à sa présence jusqu’à ce que le miroir lui renvoie son image. Les regards qui se croisent et son cœur qui se serre. Malgré tous ses efforts pour ne pas le laisser l’atteindre. Rien qu’un regard pour tout changer, deux mots pour la faire vaciller. Le surnom qu’elle n’avait plus entendu de sa bouche à lui. “Rodolphus.” qu’elle s’oblige à dire doucement. Crachat venimeux. Les mots lui brûlent la gorge. Deux mois. Deux longs mois sans rien se dire. Sans se voir, sans se toucher. Le poids des trahisons qui vient les séparer. Un gouffre béant invisible qui forme une barrière. Frontière infranchissable.

Elle n’a rien à lui offrir ce soir. Rien que ses blessures invisibles, tout le mal qu’il lui a fait. L’âme à nouveau fendillée, le cœur qui bat à peine. Son égo maltraité. Femme bafouée qui vient enfin réclamer son dû. “Je vois que tu n’a trouvé personne pour parader à tes côtés.” Elle ne peut pas s’en empêcher. Vipère qui ne vit que pour mordre. Besoin vital de lancer les hostilités, être la première à piquer.

13 octobre 1987, ministère de la magie.

Ils sont acides. Terriblement blessés. Mais aucun suffisamment pour courber l'échine. Roi et Reine qui jamais ne ploient le genou. Il y a entre eux toute la rancœur accumulée ces derniers mois. Le sang et les larmes. Les crises qui meurent au fond de leurs gorges. Tous ces mots absents. Ne reste que des regards. Et ce faux sourire qui lui colle à la peau. Elle ne peut pas s'en empêcher Bellatrix. Le rictus qui lui déforme le visage. La haine qui se lit au fond de ses orbites, lui bouffe le cœur et l'âme. Serpent venimeux dans ses veines. "Jaloux ?" Elle l'espère. Qu'il ressente quelque chose. Qu'il mesure le poids de ses erreurs. Comme elle.

Le miroir s'efface et elle prend la mesure de la situation. Une seconde pendant laquelle elle ne respire plus. Elle l'admire ce Rodolphus Lestrange qui lui échappe. Cet homme qu'elle ne reconnaît plus vraiment. L'époux qui demeure. Et machinalement ses doigts jouent avec son alliance. "C'est toi qui est parti." Toi qui a claqué la porte. Toi qui ne me regardais plus. Toi qui a trouvé du réconfort auprès d'une autre. Toi qui a tiré un trait sur nous. Tous ces mots qu'elle retient. Ces reproches qui lui brûlent la gorge et l'empêchent de respirer. Des faiblesses inavouables.

Elle est vide Bellatrix. Comme anesthésiée par la situation. Perdue. Aussi froid qu'un matin d'hiver. Froide et dangereuse. La distance qui continue de s'installer entre eux la tue à petit feu. Le gouffre est maintenant infranchissable. Elle soupire, la migraine menaçant d'exploser dans son crâne. "Les mensonges et les secrets. Voilà ce qui a précipité notre destruction." Sa faute à elle.

Elle pourrait perdre la face. S'abaisser, se prosterner. Le supplier de revenir. Lui avouer tout le mal qui la ronge, lui faire voir ses blessures. Lui faire sentir son cœur qui ne bat plus. Si seulement elle n'était pas Bellatrix Lestrange, née Black. Fierté mal placée. Le regarder en face lui tord l'estomac. Parce que le regarder lui c'est regarder la réalité. C'est savoir qu'il en a regardé une autre. Cette vérité qui continue de la détruire. Elle sait sans savoir. Et ça suffit à la rendre folle. Lionne en cage qui cherche à tout prix des réponses. Il n'y a pourtant rien dans l'attitude de Rodolphus. Rien dans son regard froid. Rien dans ses mots amers. Rancune justifiée. Seule fautive dans ce duo qui s'aime, se déteste et se déchire. Elle qui en porte les stigmates. Elle responsable de tous leurs maux. Et lui qui feint l'innocence. « It takes a monster to make a monster. » Elle n'est que le résultat d'une expérience qui a mal tourné. La victime malheureuse de ce monde dégueulasse. Ce monde qui refuse de la comprendre. La victime de ses envies et désirs.

Elle baisse finalement les armes, comme vaincue par la tourmente qui martèle son crâne. Ce trop pleins d'émotions qui l'effraie. Entre tristesse et détresse, la colère ne sait plus comment s'exprimer. Et même sa haine s'estompe. N'en reste qu'une infime trace. La mâchoire contractée, le regard encore dur. Mais tout en elle hurle de douleur. Elle ne peut pas l'autoriser à approcher. Bête apprivoisée redevenue sauvage. Elle recule alors qu'il avance. Le dialogue de leurs corps rompu. « Ton infidélité. » L'accusation qu'elle ne peut retenir plus longtemps. Parce qu'elle doit faire mieux. Parce qu'elle refuse d'être le seul monstre dans cette partie qu'ils ont tous les deux déjà perdu.

Son calme apparent fait naître la rage au fond de son ventre. Les entrailles tordues a les imaginer nus, leurs corps liés, leurs respirations saccadées à l'unisson. Elle n'arrive même plus à hurler Bellatrix. Comme tombée de son piédestal. Finalement destituée. Complètement détruite, anéantie par cet homme qui la toise, la domine. Cet homme qui est encore son mari. Il n'en n'a plus que le titre. Ne reste que deux alliances, un contrat magique et le souvenir de ces dix sept années. « Je le sais c'est tout ! » Quelle importance ? Le seul nom qu'elle veut c'est celui de cette autre femme. Celle qui lui a pris le seul être aimé. Celle avec qui elle devra le partager. Toujours.

Il parvient à retourner la situation. Elle comme seule fautive. Encore. Toujours. Et elle y croit presque Bellatrix. Prête à plonger dans les eaux troubles. Prête à en crever. Pourvu que ça s'arrête. Qu'elle n'entende plus sa voix. Qu'elle n'ai plus à affronter son regard accusateur. L'étincelle de folie se consume et elle se sent partir Bellatrix. Victime malheureuse de sa prestance. Ce nom Lestrange qui la faisait tant rêver. Ce prestige qui lui échappe. Incapable de regarder la vérité en face. De voir qu'elle s'est perdue elle. Il ne reste rien d'elle. Rien que des morceaux éparpillés ici et là, dans ce passé qui lui colle à la peau. Ce passé qui l'emporte. Son âme finalement anéantie. La noirceur qui gagne.

Elle n'y arrive plus. Le corps qui flanche, le cœur qui se brise. Tout en elle qui implore qu'on l'achève. Elle reste pourtant droite, les talons plantés dans le sol, les poings serrés. Mais les yeux qui brillent de ces sentiments dégueulasses. Cette culpabilité qui la ronge. Cette tristesse dévastatrice. Le monstre qu'elle est qui se réveille. La vérité qui éclate. « Comment alors ? Dis moi comment Rodolphus ? » Parce que moi je n'y arrive plus. Moi je ne sais plus qui je suis. Ca lui brûle les entrailles. Les mots s'étranglent dans sa gorge. Et ses yeux brillent de plus belle. Faiblesse humaine. « Tu as tout brisé. » Est-ce que tu le vois seulement ? Ce mal qui me ronge. La détresse qui me dévore. Est-ce que tu vois mon cœur qui saigne ? Mes veines qui s'ouvrent pour toi. « Tu ne comprendra jamais. » Parce que tu n'es pas eux. Elle voudrait tellement le détester plus fort. Arrêter de l'aimer.

Animal blessé. Reine déchue. Elle ne sait plus qui elle est. Face à lui. Face à leurs démons. Face à cette réalité qu'elle ne supporte pas. Elle se laisse volontiers détruire. Abattue par les mensonges, les actes passés et présents. Tout ce qu'ils ont été. Tout ce qu'ils ne seront plus. Il est là, si proche et pourtant si loin. Son image qui s'éloigne. Ses traits parfaits qui se fânent. L'être si longtemps idolâtré tombe. Aussi déchu qu'elle. Comment ? Quand est-ce que la chute a commencé ? Elle ne sait pas, ne sait plus. A qui la faute ? Elle et sa fierté. Elle et son orgueil. Elle et ses certitudes ridicules. Toutes ses peurs insensées jamais prononcées à voix haute. Ces non dits qui lui bouffent l'âme, rongent son cœur. Il ne reste rien d'eux. Rien que des souvenirs amers. L'écho fragile d'un amour vrai. Le crépitement du feu qui les consume encore. L'espoir que la flamme reprenne.

« Laisse moi du temps. » Donne moi encore quelques respirations. Elle a l'impression de brûler de l'intérieur. Partagée entre son envie de lui faire mal et celle d'être enfin à nouveau dans ses bras. Le combat des immortels. Sentiments contradictoires qui l'épuise. L'âme endommagée, l'esprit torturé. Elle serre les dents pour empêcher les larmes de quitter le blanc de ses yeux. Tout pour avoir l'air forte. « Est-ce que tu l'aime ? » Comme tu m'aime moi. Est-ce que tu lui a murmuré ces mots qui n'appartiennent qu'à moi ?