Solitude salvatrice à la fin d’une longue journée, le barbacole trône derrière son bureau, seul avec un silence ponctué des crépitements des braises dans l’âtre et de la douce mélodie de la plume contre le parchemin. Il n’entend plus le murmure des élèves qui billebaudent et fratassent dans les entrailles millénaires, le château doucement plonge dans la torpeur et la nuit au dehors épouse déjà les arbres et le lac et couvre de son immensité les hautes terres secrètes de ce coin de l’Ecosse. L’oeil adamantin contemple le désordre qui s’accumule sur le chêne usé, tous les essais, toutes les recherches, toutes ces années, désordre qui n’a de sens que pour lui, des notes et des hésitations, ici et là tachetées de l’écriture d’Atticus, de ses remarques, ses opinions, les seules qu’il accueille volontiers, le seul avec qui il s’étend sur les sujets qui le passionnent, des origines de la magie aux arcanes dangereuses de ses pans les plus sombres, ceux qui l’effraient, même lui, avec lesquelles il flirte sans jamais vraiment les toucher, de peur de s’y faire prendre, de s’y corrompre, de devenir tout ce qu’il a refusé d’être depuis ce fameux soir, cette décision cruciale, sa trahison. Souvenirs qui l’étranglent, qu’il chasse dans les recoins de son être, ça et les excuses, les justifications, celles qu’il se raconte parfois dans le calme de la nuit noire pour se persuader de se gaver de ces forces contre lesquelles il enseigne les défenses, pour enfin se donner, pour cesser de perdre des alliés, des amis, des mentors, des héros. Albus, James, les brisures les plus récentes, qui le hantent, retiennent le sommeil à des lieues de lui. Il cherche un peu de la sapience du vieux dans ses mémoires mais lui comme tout le reste lui échappe, trop souvent, comme la sœur qui le déteste et la cousine qui ne peut pas mais qui voudrait, qui comme lui trouverait ça tellement plus simple. De voir ce monde en noir et blanc. D’oublier les nuances. Se faire monstres de colère. Ne voir que l’ennemi. Jamais l’humain derrière. Ce serait tellement simple. Sauf que rien ne l’est. Jamais vraiment. Pas pour lui. Pour aucun d'entre eux. Même pas dans l’antre de sa forteresse. Quelques coups sur le bois sénescent l’arrachent à ses pensées. - Medea ? La jeune astronome est bien loin de sa tour et de ses étoiles. - It's late. Remarque-t-il, un sourcil levé. Il la regarde, confus, mais l’invite finalement à entrer d’un signe du menton, jetant un bref coup d'œil dans le couloir avant de refermer la porte. - What do you want my help for ?

Elle est douceur, Medea, dans ce monde qui se déchire et entre les murs de leur citadelle où les conflits dorment sans jamais vraiment fermer l'œil. Elle est le contraire de ce qu’il est, comme Atticus, elle est faite d’un autre bois, plus tendre, qui s’accorde avec une paix qui n’est pas encore là. Elle est faite pour le monde d’après, celui où la vie ne se peint plus en noir et blanc sur le corps de leurs amis, de leurs alliés, un monde qui ne sera jamais vraiment le sien, où il sera obsolète, le soldat devenu général, propulsé au sommet par les caprices du destin et l’enchaînement des pertes. Il n’y a pas de promesses pour lui au-delà du conflit, il ne voit rien, juste le vide et sa figure anachronique. Il soupire en s’appuyant contre son bureau, glissant une cigarette entre ses lippes, geste mécanique, sale habitude qui ne le quitte plus, alors qu’il observe la jeune femme, qu’il reconnaît les craintes qui la font trembler, éviter son regard, argumenter et se tordre de doutes. Elle lui serre le cœur, elle qui déborde de cette ingénuité presque attendrissante, qui est plus humaine que lui mais qui porte le même poids sur ses épaules. - Why are you making the argument for me ? La langue mutine cherche des explications. Il ne refuse pas, il n’en a pas envie, il cherche simplement à comprendre, délier ses motivations, les véritables raisons. Il n’a pas le droit de refuser aux autres le droit de se battre, Arsen, même s’il porte une couronne dont il ne veut pas, caduc et branlante, mais en laquelle il croit. Parce qu’elle représente un combat qu’il refuse de perdre, une cause juste et puissante qui mérite qu’on se fasse mal pour elle, et qu’importe la magie qui coule en dedans tant que la main qui en use vibre d’espoir et de bonnes intentions. Ce qu’il ne veut pas c’est qu’elle se lance dans la bataille armée de mauvais prétextes, il a recruté suffisamment de membres de l’Ordre pour savoir que rien ne les tue plus vivement qu’une tête gonflée d’excuses et de précipitation. - Tell me why I should help you, why you suddenly want to rush onto the battlefield. Les regards se croisent, il voit dans le fond de ses prunelles une détermination qu’il ne lui connaissait pas, une prière silencieuse qui appelle à l’espérance et au combat. - You know as well as I do that soldiers aren't the only thing we need, so why the sudden change of mind ?

Il se dresse inquisiteur, Arsen, entre la jeune femme et sa détermination, décidé à éliminer une à une les couches qui mènent à la vérité, à la force qui se dissimule sous les mots tremblants. Il perçoit l’envie de se battre, de rendre justice, de se tenir face à la violence et de ne pas flancher, pas comme trop de fois avant, toutes ces fois qui s’accordent avec perles et regrets, qui dévorent l’âme et les rêves, ne laissent rien que des ombres, des fantômes et l’amère sensation que le monde n’a jamais eu d’autre goût que celui de la mort et des non-dits. Dans le regard de l’américaine scintillent les reflets d’un courage qui n’appartient qu’à ceux qui ont presque tout perdu, qui se raccrochent encore, comme ils peuvent, à ce qu’il leur reste, il y voit ces flammes diaphanes qui brûlent jusque dans le fond du coeur et qui répandent sur leur passage le tumulte et l’exaltation d’où naissent l’espoir et reviennent les étoiles dans une nuit qui semblait jusqu’alors abyssale. Le filtre se glisse aux babines cendrées, qui reçoivent le poison comme une obole. Les secondes s’étirent, interminables, et la pièce autour d’eux est sombre, tapissée d’une autre sorte de magie, silencieuse, plus insidieuse, presque lugubre, elle est mêlée à l’aura du maître des lieux, infiltrée patiemment entre les murs et dans l’air qui les entoure tout au long de ses années de résidence. L'avarice des mots prive la jeune femme d’une réponse, Arsen qui n’aime parler que pour que ça compte, chaque parole comme un bout de temps qui ne se rattrape jamais. Nul besoin de le convaincre vraiment, sans doute qu’il ressent aussi un brin d'inquiétude pour Medea, qu’il se dit que s’il ne l’aide pas, elle n’ajoutera que trop facilement son nom aux registres des damnés. - Fine. Acquiesce-t-il finalement alors que des volutes délavées s’échappent d’entre ses lèvres. - First lesson, and it might be the last so listen to me carefully. Il se redresse, pointant une seconde les doigts tenant la cibiche vers celle qui passe trop de temps la tête dans les étoiles. - A spell is only as weak as the resolve of the one who casts it. Les mouvements se fondent avec ceux qu’il endosse durant le jour et à l’exception de la cancéreuse coincée au coin des lippes, il a revêtu l’invisible chlamyde du professeur. - Although I don’t think you’re lacking any of that, teaching magic is one thing, confidence in what you’re capable of is another, and that I can’t teach. It has to come from you. Discours arraché aux aphorismes de ses grimoires et ses leçons, certitudes maintes fois discutées, argumentées, théories décomposées en compagnie de l’amant, et éternellement les mêmes sommes, les mêmes fondations pour parvenir aux prestiges. - You want to be strong, you have to believe it. Can you do that ?