Rancoeur qui bouillonne, encore et encore, exacerbée par le loup en dedans, qui gronde, impatient de pouvoir enfin sortir, grignote la maitrise de soi, qui n'était déjà pas sa qualité première. Les poings encore serrés, les jointures qui blanchissent, tandis qu'il traverse la capitale, côté moldu cette fois, pour ne croiser personne, s'éloigner de ce monde magique en putréfaction. La pluie est battante, tombant dru, sans relâche sur les rues pavées de ce quartier qui a toujours su lui redonner un peu foi en l'espèce humaine. Entouré par les oeuvres d'art de rue, il croise au moins trois groupes de jeunes, à peu près son âge, si ce n'est moins, attroupés, fumant Dieu sait quoi, riant des uns des autres, d'un monde grotesque qui les avalera tout crus. Il marche, sans but précis, juste pour se vider la tête, chasser les images de ces derniers jours, ombres tenaces de la soirée chez les Lestrange, au coeur du mal.

Il aurait pu utiliser un sort pour rendre ses vêtements imperméables, mais il n'a pas pensé, l'esprit encombré par cette fureur sourde, la confusion et aussi ce sentiment grandissant de lassitude. L'impression d'être dans une impasse, qui taraude et s'invite partout, jusque dans les recoins les plus anodins de la vie quotidienne, fardeau qui fait courber les épaules sur ceux qui se battent, comme lui, pour ces idéaux qui semblent être un peu plus hors de portée chaque jour..

Trempé jusqu'à l'os, il ignore l'heure qu'il est lorsqu'il réapparaît sur le chemin de Traverse, pas vraiment plus serein qu'en partant, la tempête au fond du coeur, contraste frappant avec la douce brise de septembre qui a remplacé l'averse en quelques minutes à peine. Inconstance des éléments qui s'accorde à l'humeur de ce monde, secoué de spasmes de destruction, ce monde qui est en train de s'auto-détruire. Le hibou est là, posté à la fenêtre, le regard perçant, comme s'il le défiait de ne pas ouvrir, ne pas prendre connaissance de la missive qu'il apporte. Coups de becs impatients contre la vitre, incessants, lancinants, hululement contrarié lorsqu'enfin, il s'engouffre dans le studio, voletant un peu partout avant d'enfin se poser sur la commode, premier point de chute trouvé. Les mots sont peu nombreux, et Ruben devine le ton sec, le visage indéchiffrable de l'expéditeur. plop. Craquement, juste une poignée de secondes pour arriver au QG, ce vieux château en apparence abandonné. La pièce est vide, le seul bruit vient de l'âtre où crépitent des flammes, ronronnantes.

Attaque chez les Lestrange. Désordonnée, brouillon, ratée, coup d’sang de quelques-uns pour encaisser la tragédie. Bataille dont il subit des stigmates et des tremblements qui ne sont pas les siens, bataille perdue parce qu’elle les abaisse au niveau du sol, au niveau de rien, au niveau des mangemorts, parce qu’elle manque d’honneur, qu’elle contredit les principes pour lesquels ils se battent, parce qu’elle a fissuré la confiance et l’équilibre fragile qui règnent au sein de l’Ordre. Parce qu’il n’en savait rien, parce que quelques têtes brûlées ont choisi la vengeance et les ruisseaux de carmin. Il fait les cent pas, Arsen, une cigarette entre ses lèvres crispées, les échos de ses arguments et ceux de l’auror tonnent encore entre les murs tremblants. Alastor et lui qui se disputent, encore et toujours, pour la même cause mais pas avec les mêmes idées, ni les mêmes manières, l’un sanguin l’autre glacial, calme marmoréen des serpents et des gens de son rang, héritage de ceux qui n’ont pas le luxe de se montrer à découvert, jamais vulnérable que dans les secrets d’une intimité partagé avec si peu d’autres. Le marbre pourtant est abîmé par la guerre, les cassures ça et là laissent s’échapper la férocité, les éclats d’une colère sourde. Arsen enclin à la violence, certes, mais pas à la stupidité. Le frère d’armes s’en est allé, lassé, ils se réconcilieront sur le champ de batailles, comme toujours. Autour d'Arsen il n’y a plus que le silence, comme un vide monstrueux qui se reflète dans l’étendue des Highlands au-delà des vitres tachées par l’averse.

Ruben. Il se rappelle d’un grand gamin paumé qui sirotait un malt immonde sur le bois usé du Chaudron Baveur. Il se rappelle de son air de gosse esseulé, à la recherche d’une main tendue, d’une cause, d’une raison de se battre, contre et avec la vie. Ruben au sang tavelé de débris de lune qui ne ressemblait plus en rien à l’adolescent qu’il avait pris sous son aile lors de ses années à Poudlard, qu’il a tiré vers sa lutte, dont il se sent responsable, un peu. - Good, you’re here. Lance-t-il en claquant la porte derrière lui. Il s’appuie contre le rebord de la fenêtre, mordillant sa lippe inférieure pour retenir l’orage. Il se pince l’arête du nez, laisse échapper un soupir. - Now, care tell me what the hell went through your head ? Ses yeux perçants s'accrochent au regard du lycan. La furie est étouffée, à peine un écho dans la voix grave, il la retient, les rênes résolument retenus par l’expérience. Le dépit lui ne se laisse pas prendre au piège, il s’échappe, presque en un murmure auquel vient se mêler une cinglante déception. - I should’ve known. I should’ve known when I recruited you that something like this would happen.

Ils avaient devisé jusque tard dans la nuit, pour mettre au point ce coup d'éclat, coup de sang plus qu'autre chose. Alastor, connu pour son tempérament explosif, sa fougue qui n'avait d'égal que son manque de retenue. Petit groupe de sanguins que la mort du vieux directeur avait poussé à bout, pour qui cette perte sonnait la fin d'une ère, aussi bien pour l'Ordre en tant que tel, que pour cette résistance qui ne faisait qu'encaisser les coups, les uns après les autres. Cinq ou six téméraires, des têtes brûlées qui se fichaient bien qu'il y ait une stratégie, de l'honneur dans l'action. Tous d'horizons différents, unis par la même rage, la même rancoeur qui bouillonnait dans les veines, incendie ravageur et inextinguible. Cassandre, Idriss, Oreste, et même Rosen, malgré une réticence, un élan de sagesse...Alastor avait cautionné et ils n'avaient pas cherché plus loin, c'était l'assurance dont ils avaient besoin, le feu vert qu'ils n'avaient pas eu à quémander bien longtemps.
Cette nuit là, l'opération n'avait répondu qu'à un vil appel à la haine, la violence qui se déchaînait, trop longtemps contenue. Les plus bas instincts prenant le dessus sur la réflexion murie, à la stratégie. Ils savaient, tous, que les conséquences les rattraperaient vite, que cette petite virée ne serait pas appréciée, mais qu'importe.

La porte claque, et dans l'fond du crâne, il sait, Ruben, que ça va être l'heure de rendre des comptes, que sa participation a été révélée et qu'il s'expose à la colère froide de celui qui l'avait pris sous son aile. Ça semblait si loin, cette époque insouciante où il n'était que l'étudiant, où ses principales préoccupations résidaient dans les matches de quidditch et les rendez-vous clandestins. - Good, you're here. C'est une tête brûlée, le lionceau, mais sûrement pas un lâche. Il a compris immédiatement le motif de la missive, et il n'a pas tardé à se présenter. Il voit la fureur contenue dans les prunelles de son ancien professeur, ce regard perçant qui le sonde. - We thought they needed to take a sip of their own medicine... Et la colère est de nouveau là, qui pulse sous l'épiderme, parce que l'honneur est un luxe qu'il ne peuvent plus se permettre, notion évanescente sur l'autel de cette barbarie, ces idéaux moribonds. - They wouldn't have thought twice. not one second. why should we? Parce que c'est laid, la guerre. Il n'y a rien d'honorable, il n'y a que la rage, celle qui soutient les idéaux d'un avenir un peu moins misérable. - You can blâme me all you want, I have zéro remorse about what happened... L'insolence qui va de paire avec un relent de noblesse d'âme. celui qui croyait au ciel. Celui qui n'y croyait pas.

Il a dans l’fond de la gorge les relents cruels, nauséabonds, d’une autre époque, presque d’un autre temps, d’une autre guerre, conflit sans fin qui s’allonge à l’éternité, horizon saccadé de cadavres qui bloquent le soleil, s’accrochent à l’espoir, à toutes ces raisons de se battre. Mais au milieu de l’incurie, de cet infâme chaos, subsiste le souffle à la fois brave et pathétique de ces hommes qui chutent mais se relèvent, tout l’temps, sans répit, entre sanité et folie, fine ligne qu’ils franchissent à outrance, va-et-vient carmins qui les abîment toujours un peu plus, tous ces vétérans, ces increvables, tous ceux qui écorchent leur humanité au nom d’une cause plus grande, d’un monde plus juste. Un monde à offrir aux suivants, aux gamins qui joignent l’Ordre la fleur au fusil, le coeur gavé d’bravoure et d’insouciance, égratignés eux aussi mais encore humains, encore enfants, encore capables de faire les choses mieux. - Why should we ? - Because that’s what makes us different. L’agacement est contenu, à peine trémulant dans la voix grave mais dans le grand bleu de ses opales la bonace a cédé à une houle furieuse. - We’re no better than them if we fight the way they do. S’ils s’abandonnent à une violence injustifiable, simplement bonne à rubéfier un sol déjà gorgé de sang. Ses mains sont rouges, à Arsen, il ne se défera jamais de la lie des horreurs, de tous les sacrifices pour toujours sanguinolents dans les recoins de ses souvenirs.

Il est horrifié face au jeune homme qu’il ne reconnaît pas, exubérant de venin et d’une acrimonie d’habitude propre à l’ennemi. Il tente de se lénifier, de retenir l’orage qui gronde et d’ignorer la terre qui s’effrite sous ses pieds. Arsen, à la périgée d’un Ordre oh si dangereusement près de perdre sa voie, cherche en son sein les mots du vieux, un brin de sagesse, un élan de diplomatie. - Do you think for one second that Dumbledore would have been one to seek revenge ? La mémoire de l’ancien est une douloureuse réminiscence de la situation dans laquelle ils se trouvent tous, lui et les autres soldats privés de leur étoile du berger, guide obscur soudainement disparu et autour d’eux la nuit noire, impénétrable. - I have zero remorse about what happened… Le professeur ravale un mauvais ricanement, parce qu’il connaît tous des regrets et des non-dits, parce qu’il sait comme chaque acte revient pour hanter son pourvoyeur et toutes les interrogations qui se mêlent à chaque pas dans la mauvaise - ou la bonne - direction. Une seconde devient infinie et chaque combat s’accompagne de remords, c’est le prix d’la guerre, le prix de l’humanité. - Not now, but someday you will. You think what you did was brave ? Bellatrix sa gorge se serre un instant, et Rodolphus Lestrange may be in deep with the Dark Lord’s horrors, but they were surrounded by witches and wizards that were there just because of the name they carry, some were there because they probably didn’t even have a choice. You put them as well as your friends in danger. You chose an easy way to get what you wanted. And that’s the worst kind of cowardice there is. Certainly not worthy of a Gryffindor.

La terre tremble, dans le secret des plaines accidentées de cette Ecosse, celle qui coule dans ses veines, fière et farouche. Ce soir, le lion est devenu hyène, le coeur débordant de hargne, de frustration; parce que rien ne semble bouger. Rien, pas le moindre signe, pas une seule once qui permette d'espérer que demain sera meilleure. Ils continuent de prendre des coups, essuyer pertes après pertes, d'enterrer leurs amis. Ecoeuré de ce monde qui s'enlise dans la noirceur et le chaos, il est à bout, Ruben, il ne s'en rend pas complètement compte, mais il est en train de se perdre au passage, de se laisser bouffer par la haine. - we're no better than them if we fight the way they do. ce sont les mots de la raison, mais il ne les entend pas. il n'est pas prêt à faire preuve de cette maturité, parce qu'il s'embourbe il n'arrive plus à y voir clair, dans le tourbillon macabre qui les engloutit tous. - Do you think for one second that Dumbledore would have been one to seek revenge? L'orage dans la voix de son ancien professeur est contenue, il le perçoit bien, le lionceau, mais la mémoire de l'ancien directeur ne fait que jeter de l'huile sur le feu. - Well i'm sorry, i'm not Dumbledore... I'm not that evolved. Besides, look where that got him. Tout est encore bien emmêlé dans la tête de l'ancien gryffondor; déboussolé, désespérément à la recherche de quelque chose, un espoir pour lequel se battre, mais la mort du vieux directeur semble avoir porté un coup fatal à toutes les chances qu'ils pouvaient éventuellement avoir. - plus there's nothing noble about war. sin't it what they say?

Un ricanement, rire jaune qui s'échappe des lippes de l'aîné, celui qui dorénavant montre la voie. - not now, but someday you will. Il ne s'imagine même pas à quel point les mots de son mentor sont justes, et combien ils reviendront le hanter. Comment pourrait-il s'en douter, pauvre fou qu'il est. La voix est dure, parce que c'est l'écho de la réalité, le monde est impitoyable, il l'a pourtant bien compris, Ruben. - Didn't Dumbledore say that there is always a choice? A son tour, il s'est un peu adouci, mais l'intonation reste froide, persifleuse. Lâcheté. La pire accusation qui soit. Une insulte presque. Téméraire, impétueux, irréfléchi, oui, il serait prêt à le reconnaître, mais lâche? Jamais. - that's not fair. you can call me many things, but coward is NOT one of them... Un éclair dans le regard, le défi au fond des prunelles enflammées. - and fyi, I did not force anyone to go, neither did Moody, whose idea it was. Il n'a pas l'avantage de l'expérience, Ruben, il n'a pas la moitié de la clairvoyance de son ancien professeur non plus, juste ses tripes et sa détermination.

Il le comprend, l’gamin. Il comprend la rage qui l’étrangle et l’envie de vengeance qui s’accroche aux veines en furie, il connaît cette envie de se battre à en crever et qu’importe les risques tant que la fin justifie les moyens. Il se rappelle de ses propres élans juvéniles, de ce désir de s’en prendre au monde entier et d’espérer que les assauts frappent au bon endroit, pour en finir, une bonne fois pour toute. Il se reconnaît dans le brasier qui ravage sa raison. - I’m not Dumbledore. Personne. Personne n’est à la hauteur du vieux, et sûrement pas lui, même s’il est au sommet de cet édifice branlant, même s’il partage la couronne empoisonnée dont les épines lui percent le front, colorent sa vision du carmin des chagrins. Albus lui manque, il a besoin de ses conseils, de sa patience, de ce calme qui apaisait ses fureurs. - Plus there’s nothing noble about war, isn’t it what they say ? Ça lui fait mal, au professeur, de constater que la guerre ne cesse jamais de gangréner l’esprit des plus valeureux, même ceux qui pensaient encore, sur les bancs de l’école, qu’il y avait du bon en chacun, que le monde après Poudlard avait une chance de retrouver l’éclat d’autrefois. Il n’a pas complètement tort, non, c’est juste qu’il ne devrait pas penser comme ça, pas déjà, pas lorsqu’il devrait être gonflé d’espoir au lieu d’être bouffé par les vestiges d’une humanité corrompue. - You think just like them. Lance-t-il, une once de dépit sur ses lèvres tachées de cendres.

- Didn’t Dumbledore say that there is always a choice ? Il s’exclame, Arsen, d’un rire sombre, dévasté par le cynisme qui teinte les mots du gosse. Caboche secouée de dépit, il lève les yeux vers les cieux, comme à la recherche d’un signe de la part de celui qu’il considérait comme un père. There is always a choice. L’écho résonne dans l’fond des mémoires, la leçon apprise au coeur de ses jeunes années, alors qu’il se pensait prédestiné, enchaîné aux attentes des siens, alors qu’il pensait qu’il ne pouvait être rien d’autre que ce qu’ils avaient décidé pour lui. - Yes. And the choices we make are the ones that define us. Il panse ses nerfs à vif sous le baume des souvenirs. - No one ever tells you of the cost that follows. Il y a quelque chose de sombre dans le ton de sa voix, quelque mauvaise augure qui traîne dans les allées de ses réminiscences. - That’s not fair. Nothing ever is. Il voudrait se rappeler comme Ruben est jeune, se dire qu’il a le temps de lui montrer une autre voie, sauf que le temps et l’innocence sont des luxes obsolètes, et il n’a pas la force ni l’envie d’enrober les cruelles vérités sous le sucre des réconforts. - Cowardice isn’t just about running away. It’s about choosing the easy way. Il comble le vide entre eux, un doigt pointé vers le jeune homme entrain de lui manquer de respect. - You want to talk about choice, Ruben ? You want to talk about bravery ? But you have no notion of what either of them really mean. Il y a de la tristesse dans ses mots, l’influence du vieux déteint sur le traître à son sang qui n’a jamais tant réalisé le poids de ses enseignements. - There’ll be hell to pay for what happened that night and only then will you realise plain retribution isn’t always the solution.

Il parle comme s'il avait dix ou quinze ans de plus, Ruben. Envolée, cette espèce de naïveté légère des années d'insouciance, sous le toit ensorcelé de la grande salle, ou dans les tours des rouge et or. La jeunesse qui se tarit, qui voûte le dos sous le poids des réalités, noirceur au quotidien, rendent tout bien trop amer, trop âcre. Il s'est perdu, le jeune loup, ses idéaux en ont pris un coup, il ne sait plus quoi penser, à quel saint se vouer, parce que tout semble mener au même résultat, à l'invasion de ces idées révoltantes, gangrène dans une société où l'amputation n'est même pas possible. - you think just like them. Il y a le dépit, dans cette voix posée, un peu rocailleuse, et cette sensation est contagieuse. La colère qui l'animait est retombée comme un soufflé, reléguée au second plan. Le dépit et l'affreuse sensation que tout est perdu, que quelque soit la direction dans laquelle il regarde, l'horizon est devenu si noir, si désespérément noir, et sanglant. Il ne s'est jamais senti aussi vidé, aussi impuissant et aussi désespéré. Ruben, sa force, elle vient de ses convictions, de sa détermination à toute épreuve, mais il n'est qu'un pion sur l'échiquier et les pièces s'en vont les une après les autres.

the choices we make are the ones that define us... les mots résonnent, les voix des deux sages qui se mêlent, celui avec les verres en demi-lunes, celui aux prunelles d'azur. - no one ever tells you of the costs that follows. Il y a ce voile dans le regard de l'aîné, celui des regrets, des et si.. qui trouvent un écho douloureux dans les tréfonds de la mémoire. Il voudrait rétorquer qu'il en sait plus long qu'il en a l'air sur le chapitre mais la volonté et la pugnacité se sont évanouies, vaincues par leurs visages qui se dessinent, nuit après nuit, indélébiles dans la conscience. Pendant ces quelques instants, où les mots du mentor se font plus accusateurs, plus tranchants, il accuse le coup de cet enseignement qu'il ne réalise pas encore, les avertissements de celui qui a déjà parcouru un petit bout de chemin et qui a vu, qui a pris des coups, mais qui est encore debout. Il ne réalise pas encore, parce que la fougue de la jeunesse lui met des oeillères. - Then what is..? how do we rid the world of them and their toxic ideas? Tell me... Il est à deux doigts de s'enflammer à nouveau le jeune lion, habité par un dégoût qu'il ne masque même pas envers les partisans des Ténèbres.

Il ne sait pas quoi en faire, de cette sagesse; des mots de son mentor qu'il n'absorbe pas tout à fait, pas tout à fait prêt à se faire à l'idée que le monde ne sera pas sculpté sur leur modèle, sur leurs principes aussi nobles soient-ils. Les ombres planent au dessus de son esprit, vindicatif, encore plein de la sève de cette jeunesse fougueuse qui pense pouvoir tout vaincre. Il garde le silence, et ses épaules se sont affaissées sous l'effet de la lassitude et du découragement, compagnons bien trop précoces pour la caboche entêtée du lionceau prêt à rugir. La transformation est lente et douloureuse, celle qui fait de lui un homme que les passions n'agitent et ne tourmentent plus avec autant de force. Il a l'habitude pourtant, d'être déchiré entre deux états, entre l'humain et la bête, le corps en porte toutes les marques, mais cette fois, c'est l'esprit qui est à vif, et il n'y a aucun baume pour ça.

Les propos de son aîné le laissent songeur, malgré tout. S'il ne sait plus quoi répondre, même si les questions se bousculent encore dans le crâne. Il sait que les années ont donné des leçons, même s'il ne les comprend pas encore; il se doute bien que celui qu'il voit comme un modèle, une ancre dans un monde tourmenté et qui tremble sur ses fondations, n'a pas vécu jusque là sans tirer aucun enseignement, aucune morale des combats sûrement menés à chaque instant, inlassablement. Il voudrait bien, avoir la vision d'ensemble, pouvoir relier les points, parvenir aux mêmes conclusions, mais il n'y parvient pas. you can't kill an idea... il l'a appris, dans les livres et il en fait l'expérience chaque jour qui passe. Pourtant, il n'arrive pas à admettre que ne rien faire puisse être la solution. Le casse-tête paraît insoluble, tellement noueux et paradoxal. La tête entre les mains, l'esprit encore assailli d'interrogations, la confusion qui embrume toute pensée, tout qui se contredit et c'est la cacophonie. Pourtant, les mots résonnent, et ils sonnent comme un affront, une gifle. - so that's your great strategy? sounds pretty lame to me... la déception qui peint tout en noir, qui se loge dans le coeur encore enflammé. - especially coming from you... his protégé.. lance-t-il avant de franchir la porte de cette grande pièce froide au coeur du château.