Le soir où elle retrouvait Norah était un moment très attendu dans la semaine pour Mara. Ce qui avait commencé comme un banal rendez-vous pour discuter chiffons bien des années auparavant s’était rapidement changé en rituel pour les deux sœurs, et seul un véritable cataclysme aurait pu empêcher la benjamine des Rosier de s’y rendre. C’était une bouffée d’air vivifiante dans un quotidien assommant, d’autant plus depuis qu’Eija était retournée à Poudlard. Mara se plongeait volontairement dans une quantité de travail assommante pour passer le moins de temps possible chez elle dernièrement, n’y dérogeant que pour s’occuper de ses deux petits derniers. Ainsi, s’extraire un moment de sa routine travail-enfants était une bénédiction. Elle avait besoin de voir d’autres visages, de parler d’autres choses, de se
libérer. Ce qu’elle n’avait jamais cru possible de faire avec Norah quand elles étaient plus jeunes, mais l’âge adulte, le mariage et les obligations communes avaient beaucoup changé leur relation, et ce n’était pas pour lui déplaire.
Leur lieu de rendez-vous était un club privé où elles étaient sûres de pouvoir faire tomber le masque sans craindre les témoins indiscrets. Elles y étaient des habituées de longue date et avaient droit à leur traitement de faveur dès leur arrivée. Le sourire de Mara était moins arrogant que celui que sa sœur affichait, néanmoins elle appréciait tout autant l’obséquiosité du personnel à leur endroit. Il y avait des moments où il était bon d’être traitée à sa juste valeur, et elle ne ressentait pas une once de remord à voir le maître d’hôtel se plier en quatre pour les accueillir, ni à voir Norah le traiter comme s’il n’était qu’un meuble doué de parole. Elles s’installèrent à leur table et Mara poussa un soupir discret en s’adossant au fauteuil si confortable. La soirée pouvait commencer, et elle avait l’intention d’en profiter.
« Nous y voilà ! Alors comment s'est passé ce début de semaine? » Elle haussa les épaules et fit un geste vague de la main, comme si sa réponse n’avait que peu d’importance.
« Hm, chargé. J’ai une grosse commande de la part de Ste Mangouste, il semblerait que la guerre ne fasse pas désemplir leurs services » Fit-elle sans l’ombre d’un sourire.
« Toi ? » Dans le même mouvement que celui de sa sœur, elle se plongea en même temps dans l’étude de la carte des spiritueux. A force, elle la connaissait par cœur, mais les habitudes avaient la vie dure.
« Toujours autant dévouée à ce cher Rabastan ? Il faut dire que tu as de la chance de pouvoir compter sur un si bon parti ! » Mara rabattit d’un coup sec sa carte sur la table et adressa un regard noir à sa sœur. Elle ne goûtait pas du tout à la plaisanterie.
« Ne sois pas désagréable, la soirée ne fait que commencer, tu ne voudrais pas qu’elle s’achève aussi vite. » Elle se tut en voyant revenir le serveur et le fusilla à son tour du regard, déchargeant bien volontiers sa colère sur lui.
« Disparaissez, on ne vous a pas sonné. » Ajouta-t-elle d’un ton sec après que Norah l’ait réprimandé, et l’homme se courba avant d’obéir prestement.
Avec un soupir, cette fois parfaitement audible, Mara se replongea dans la carte. Mais à nouveau, Norah ne lui laissa pas le temps de réfléchir à ce qu’elle désirait boire et reprit la parole.
« Où en étions nous?... Ah oui, champagne ou whisky? » La benjamine leva les yeux vers sa sœur et haussa les sourcils.
« Champagne ? Aurais-tu quelque chose à fêter ? » Ses yeux glissèrent ostensiblement vers le ventre toujours plat de son aînée, puis remontèrent à son visage. L’absence d’héritier chez les Rowle était un sujet sensible – tout aussi sensible que celui du mariage de Mara avec Rabastan. Le sous-entendu n’était qu’un juste retour de bâton pour Norah après qu’elle ait évoqué son mari.
« Serais-je la seule à boire ce soir … ? » Elle laissa sa phrase en suspens, un sourcil arqué. Il y avait peu de chances que ce soit le cas, malgré tout, et Mara n’y croyait pas une seconde. Dans cette famille, il semblait qu’elle était la seule qui ait suivi docilement la sacro-sainte règle qui régulait leur vie à tous. Avoir des héritiers au sang pur, transmettre le nom de l’époux, élever les héritiers, et les regarder se plier aux mêmes contraintes sans rien dire.