house of queens / 28 novembre 1987

La nuit était tombée, paisible. Mara se sentait presque apaisée dans le silence de la grande demeure, sans Rabastan. Elle avait couché les jumeaux, ils avaient passé un moment délicieux pendant l’histoire du soir, et elle les avait ensuite regardés s’endormir tranquillement, ses deux petits bébés qui grandissaient si vite. Elle avait ensuite pris le temps de répondre à la dernière lettre d’Eija, qu’elle avait envoyée sans attendre que Rabastan ne vienne y mettre son grain de sel. Ils étaient toujours en froid depuis leur dernière dispute – mais après tout, ils étaient constamment en froid, ça ne changeait rien. Ou presque rien. Les rares moments d’éclaircies entre eux rendaient toujours les orages qui suivaient bien plus violents, et elle en souffrait d’autant plus. Mais elle ne l’avait pas revu depuis des jours, ils s’étaient évités très efficacement et elle ne s’en portait pas plus mal.

Des coups à la porte vinrent troubler la quiétude de la soirée, et la découverte de Bellatrix sur le pas de sa porte fut une surprise dont Mara se serait bien passée. « Je ne te dérange pas ? » Le sourire de sa cousine n’augurait rien de bon, et Mara lui aurait volontiers claqué la porte au nez. Mais elle était trop bien élevée pour ça - et elle allait le regretter bien assez vite. « Bellatrix, que … » « Non, bien sûr que non. » Mara eut la nette impression d’être soudain redevenue une enfant effacée et invisible au sein d’une famille trop bruyante pour elle quand sa cousine entra d’autorité sans même lui laisser le loisir de l’inviter. Elle soupira, referma la porte derrière elle et se résigna. « Tu dois t’ennuyer à en mourir sans ce cher Rabastan. » Le clin d’œil complice qui accompagna le sous-entendu lui hérissa les nerfs, et elle eut un rictus amer. « C’est cela, oui … Je meurs d’ennui. » Répondit-elle d’un ton blasé, tout en la suivant jusqu’au salon sans même faire mine de l’arrêter. Quel était encore ce jeu tordu inventé par son aînée ? Venait-elle s’assurer de la part de Rabastan qu’elle n’avait pas invité d’amant chez elle en son absence ? Ce serait un véritable comble … Mais contrairement à son mari, Mara cultivait une certaine discrétion dans ses aventures. « Et pourquoi nos hommes devraient être les seuls à s’amuser, huh ? » Un mince sourire étira les lèvres de Mara presque à son insu, tant la phrase de Bellatrix faisait écho à ses pensées en cet instant. Mais elles devaient avoir des significations bien différentes pour l’une que pour l’autre … « Qu’en dis-tu Mara ? » Agacée, la jeune femme contempla sa vis-à-vis qui se servait un verre de whisky, aussi détendue en ces lieux que si elle en était la maîtresse. Une pensée très dérangeante. Une nouvelle fois, Mara poussa un soupir, avant de lui tendre deux verres. Il était inutile de se battre contre elle, pas sur ce terrain en tout cas. « Que viens-tu faire ici, Bellatrix ? » Elle n’avait aucune intention de minauder avec elle comme deux meilleures amies. Elles n’avaient jamais été amies, et Mara n’avait pas l’intention de faire changer les choses ce soir. « Je n’ai pas l’habitude de ta compagnie quand Rabastan n’est pas dans les parages. » Elle désigna d'un geste la bouteille. « Tu es tombée à court de whisky ? »

house of queens / 28 novembre 1987

« A nous cousine. » Mara se contraignit à ne pas lever les yeux au ciel et adressa un rictus crispé à sa cousine avant de boire à son tour une gorgée d’alcool. Quelque chose lui disait qu’elle aurait besoin de cet appui pour supporter la conversation qui allait suivre. Elle connaissait tous les travers de Bellatrix et pourtant elle lui restait une totale étrangère sous certains aspects, Mara avait souvent du mal à prévoir ses réactions. Cela aurait sans doute pu être différent si elles avaient été plus proches, mais elles n’avaient jamais rien eu en commun, si ce n’était leur sang – et leur nom de famille, à présent. C’était Arsen qui avait toujours su comment manier Bellatrix, à une époque ils étaient même inséparables. Elle n’avait jamais compris l’affection que son frère avait eue pour leur cousine. Mais il n’était plus là pour la canaliser et Mara n’avait jamais fait le moindre effort pour tenter un rapprochement amical avec elle. Elle restait donc sur ses gardes, tendue malgré elle, et agacée de se sentir aux abois dans sa propre maison.

« Quoi ? Serait-ce selon toi la seule raison valable pour une visite de ma part ? » Mara haussa une épaule, signifiant bien ce qu’elle en pensait réellement. « Par Merlin, ne puis-je rendre visite à ma cousine sans qu’on m’accuse de tous les maux ? » Cette fois elle ne put s’empêcher de soupirer, agacée. « Toujours le goût du mélodrame, Bellatrix. » Fit-elle d’un ton peu amène. Elle n’aimait pas cette façon de tourner autour du pot, sa cousine jouait avec ses nerfs et réussissait parfaitement dans son but. Mara commençait à soupçonner qu’elle n’avait aucune raison pour être venue jusqu’ici autre que de l’agacer purement et simplement. C’était bien son genre, même si ce type de mesquinerie ne l’avait pas reprise depuis bien longtemps. Des gamineries, rien de plus … Mais des gamineries qui pouvaient aller loin, une certitude glaçante. « Il a toujours eu d’excellent goût en matière d’alcool. » Le regard de Bellatrix s’était planté dans le sien tout en prononçant ces mots, si anodins d’apparence, et son sourire vint souligner le sous-entendu perfide. Mara sentit son estomac se retourner et sa main se crispa sur son verre, mais elle inspira profondément et rendit son sourire à sa cousine. « Oui, c’est bien la seule chose pour laquelle il montre un peu de goût. » Lui répondit-elle en haussant un sourcil. « Il sera déçu de savoir que tu es passée en son absence. » Ajouta-t-elle, fielleuse. Si Bellatrix avait imaginé pouvoir venir insulter Mara dans sa propre demeure et en ressortir indemne, elle se trompait lourdement …