27 octobre 1987, the white lady street

Son monde qui rétrécit, comme rabattu sur lui-même. Les pages qui se tournent de plus en plus vite, pressées d'en arriver au dénouement. Les changements qui s'opèrent ne sont pas aux goûts de Bellatrix. Même si son camp remporte la manche. Même si ils sont à nouveau au sommet. Les victoires ont un goût amer. Un goût d'inachevé. Elle regarde l'allégresse du coin de l'œil, volontairement distante. L'impression désagréable que ce monde ne tourne plus rond. Résolument perdue. Elle s'empêche de lui retomber dans les bras. L'âme blessée, l'ego meurtri. Le cœur brisé. Les distractions se font rare. L'ennuie menace de la faire basculer. Elle devient folle Bellatrix. Enfermée dans sa tour d'ivoire, à la recherche d'une étincelle. Quelque chose pour la sortir de sa torpeur. Les souvenirs douloureux qui tournent en boucle dans sa tête. Toutes ces rumeurs qui font d'elle une victime. Elle ne les laissera pas gagner.

Il y en a d'autres comme elle. Victimes malheureuses d'un monde qui refuse de tourner. Narcissa. Astor. La sœur qu'elle s'efforce de protéger. L'ami qui pourrait bien tout perdre. Celui dont elle s'est détournée trop longtemps. Il est temps de regarder la vérité en face. Astor qui a toute sa confiance. Et bien plus encore. Astor qui pars à la dérive. Elle se promet d'essayer, d'être là elle aussi. Comme lui avant. Quand elle avait eu besoin de son aide et de sa discrétion.

Elle remonte la rue à pieds, ignorant les badauds et ceux la saluant. Sa destination en ligne de mire, les mots à venir déjà répétés mille fois. Elle n'a pas besoin de se préparer la grande Bellatrix Lestrange. Quelques coups à la porte pour indiquer sa présence. Et elle patiente, le talon qui frappe nonchalamment le sol. Pas si patiente que ça. « Tu en a mis du temps. » Sourire en coin qui la trahie. Elle n'attends pas qu'on l'invite à l'intérieur, se fraie un chemin dans l'entrée. « Tu sais pourtant que je n'aime pas attendre. »

Un pied devant l'autre. Les épaules bien droites, le regard sur l'horizon. Se donner des airs de grands. Tout faire pour imposer le respect. Donner le change, faire croire à sa supériorité. Être meilleure. Toujours. Bellatrix qui s'offre au monde. Mensonge savamment répété. Leçon apprise par cœur. Elle est impeccable la reine Lestrange. Qui pour voir le mal qui la ronge ? Les cernes plus creusées que d'habitude. Résultat malheureux de toutes ces nuits à espérer, hurler, le détester et l'aimer. Encore. Toujours. Enfermée dans sa prison d'or, elle deviens folle Bellatrix. Toujours les mêmes conversations, les mêmes personnes. Les mêmes tortures. Douleur lancinante du cœur et de l'âme. L'esprit pourri par toutes ces pensées noires. Elle se trouve des causes perdues. Des amis à sauver. Des âmes en perdition. Comme elle.

Et le voilà qui se tient devant elle, sourire en coin, le ton moqueur. Astor aussi perdu qu'elle. Astor qui se donne bonne conscience. Elle sait Bellatrix. Son regard qui balaie rapidement les lieux, les oreilles à l'affût du moindre mouvement. « Rosa n'est pas là ? » C'est mieux comme ça. Gamine qui en vit assez au quotidien. Piégée dans une union qui n'a pas de sens. Tous à la recherche d'un quelque chose de plus grand. Tous les mêmes, au fond. Vivants mais déjà morts. « Je suppose que du thé fera l'affaire pour aujourd'hui. » qu'elle grimace, le ton impérieux. Elle laisse son corps glisser dans un large fauteuil. Le regard accroché à Astor. « Tu pourras lire ce que les feuilles disent sur ma vie. » Cette ligne sinueuse qui n'a plus vraiment de sens. Elle est perdue Bellatrix. Même pas sûre de vouloir qu'on la retrouve. Pas certaine de vouloir se regarder dans le miroir quand l'aube pointera demain.

L'observation de l'autre est fine. Le silence bienvenu. Comme s' ils se découvraient pour la première fois, apprenaient enfin à se connaître. Mais elle connaît Astor. Et il sait très bien qui elle est. Deux monstres qui n'en n'ont pas l'apparence. Chacun avec ses maux et ses défauts. Chacun garant de la sécurité de l'autre. Les secrets pour lier à jamais leurs âmes maudites. « Je m'inquiète pour toi Astor. » Pas de faux semblant. Pas de vérité cachée. La sincérité comme alliée. Parce qu'ils sont meilleurs. Parce qu'ils sont plus que de simples amis. « Il y a certaines rumeurs qui circulent... »

C'est mieux comme ça. Pas de témoins. Pas d'oreilles indiscrètes. Aussi forte que soit Rosa, elle n'a pas besoin d'assister à tout ça. Elle en souffre assez. Elle le sait Bellatrix. Elle en est certaine. Les femmes sentent ce genre de choses. Et ce mariage n'a rien d'heureux. Ce mariage qu'on leur a imposé. Jetés dans les bras l'un de l'autre un beau matin. Sans grand discours, sans protestations. Le choix accepté sans broncher. Parce qu'il n'y a rien à faire. Personne n'a jamais rien pu y faire. Sauf Andromeda. La benjamine qui a choisi son cœur. Abandonnée sa raison et laissée derrière elle ses deux sœurs. Trahison impardonnable. Rosa, elle, s'est plié aux règles la tête haute. Elle sait encaisser les coups. Et pour ça Bellatrix ne peut que la tenir en haute estime.

Elle observe la danse de la théière et des tasses. L'air ailleurs. Marc de thé, cartes. Elle est prête à tout entendre Bellatrix. Prête à ce qu'on lui mente pour une seconde de bonheur. Le besoin de se perdre dans l'irréel. L'esprit bercé de ces mensonges qui rendent son quotidien un peu moins morose. L'espoir fou qu'une de ces prédictions soit juste, se transforme en rêve. L'envie d'y croire, simplement. Elle est perdue Bellatrix. Elle cherche du sens dans les pires endroits. Sa vie d'avant qui lui manque. Elle veut savoir de quoi son lendemain sera fait. Savoir si elle peut espérer. Elle à qui on refuse les levers de soleil. Elle qui vit dans les ténèbres. « Peu importe. » qu'elle soupire doucement. Le moment passé. L'affaire qui l'amène ô combien plus importante que les siennes. C'est l'amie inquiète qui le regarde. Celle qui partage ses secrets. Mille questions à poser qui lui brûle les lèvres. Astor qui sait tout d'elle. Astor qui lui ment. « C'était irréfléchi, irresponsable et complètement idiot. » Ironie du sort. Combien de fois Narcissa avait utilisé les mêmes mots pour la décrire elle ? « Je crois que tu passes trop de temps avec moi. » Sourire en coin qui se veut détendu. La vérité qui fait son chemin. Les regards qui se trouvent pour s'avouer à demi-mot qu'il y a plus. Terriblement plus. Don't lie to me Astor. Please, not to me. Pas après tout ce qu'ils ont partagé. Dans l'obscurité, les mains souillées par la Mort, les cœurs brisés par l'acte innommable. Il se craquèle encore ce cœur qui bat à peine dans sa poitrine. L'idée qu'il lui cache une vérité toute simple. L'idée qu'il puisse penser qu'elle cessera de l'aimer. « Je comprends. Crois-moi, l'idée de m'enfuir m'effleure l'esprit tous les jours. » Mais elle ne peut pas. La Reine ne bat jamais en retraite. « Mais fuir n'a jamais fais taire des rumeurs. » Elle rajuste sa position, le dos courbé, ses yeux fatigués qui cherchent la vérité dans les siens. « Tu dois agir contre. Leur montrer qui tu es. » Astor Bullwark. Le contrebandier. Le marchand d'âmes et de corps. Le mangemort. L'époux.

Elle s’inquiète sincèrement Bellatrix. A sa façon. Manière singulière de montrer à ses pairs qu’elle tient à eux. Elle ressent quelque chose Bellatrix. Pas aussi insensible qu’elle le voudrait. Plus humaine qu’ils ne le pensent. Elle a dans le regard une mélancolie impossible à feindre. Les traces d’une peine trop grande pour être exprimée. Celle qui lui brûle les entrailles, picore sa peau de porcelaine. Les trahisons toujours plus nombreuses. Blessures dissimulées sous l’épiderme. L’âme qui se fendille à chaque fois. Le cœur brisé mille fois. Ceux qu’elle aime qui se compte sur les doigts d’une main, ou presque. Ces âmes en perdition qui font échos à la sienne. Ces visages qu’elle refuse de perdre de vue. Ces êtres devenus siens. Affection malsaine. Elle fait tout de travers Bellatrix. Et peut-être qu’elle a tort de s’accrocher. Tort de les retenir. Le myocarde troué de mille coups de couteaux. Elle ne sait pas admettre la défaite. Elle ne sait pas comment être enfin seule. Solitude qui lui dévore l’âme. Faiblesse effrayante.

« Tu as raison, peut-être que je ne peux pas comprendre. » Et ça la fait doucement grimacer. Ce sang qui coule dans ses veines. Ce sang jugé indigne par certains. Cet héritage un peu terrifiant. Elle aussi ça la fait grincer des dents de le savoir mêlé. La balance qui ne penche dans aucun camp. Astor qui a su se hisser au sommet, prouver sa valeur. Même Bellatrix s’est inclinée, a gommé le sang mêlé pour ne voir que le sorcier. Et voilà qu’elle le compte parmi ses amis. Et voilà qu’elle s’inquiète. « Tu as le mérite d’être l’un de mes pions. » qu’elle ironise avec un sourire. Mais l’heure n’est pas aux plaisanteries et les mots d’Astor résonnent avec dureté à ses oreilles. Comme si leur temps était compté. Comme si bientôt ils seraient rayés de l’Histoire. Elle soupire en s’emparant d’une tasse fumante. «La chance n’a rien à voir là-dedans. On ne vous a pas laissé le choix, surtout pas à elle. » Et à elle non plus. You are to marry Rodolphus Lestrange. Sentence irrévocable. Le patriarche qui avait tranché. Sans elle. Même les mots de Druella n’y avaient rien changé. On avait piétiné ses rêves de gamine. Et elle avait tiré un trait sur Theseus. Sans un regard en arrière. Sans la moindre émotion. « Si les choses avaient été différentes, nous ne serions pas là en ce moment. » Constat amer.

Les lèvres jouent avec le liquide chaud. Distraction bienvenue pour remettre de l’ordre dans ses idées. Oublier l’adolescente. Redevenir la femme. « Vous apprendrez. Comme tout le monde. » Comme elle a appris à aimer Rodolphus. A oublier Theseus. A jouer avec Rabastan. Reine de cœur aux piques acérés. Elle sait bien la vérité Bellatrix. On ne retient pas éternellement ses pulsions. « Il a un nom ? » qu’elle lâche dans un soupir. Curieuse, le regard pétillant, un demi sourire accroché sur le visage.