Le traditionnel dîner du vendredi soir, immuable, obligatoire. Le repas des reproches, véritable procès, quoique jusqu’avant l’emprisonnement de Lucius, Narcissa semblait s’en tirer sans y perdre toutes ses plumes. Désormais, la situation se révèle quelque peu différente, bien que le retour proche de son époux s’avère à présent imminent, selon ses sources au ministère du moins. Elle n’y pense pas vraiment, préférant conserver ses œillères, doutant pratiquement chaque minute de chaque jour de son avenir et de ce qu’il adviendra de sa famille à présent fissurée, ébranlée. Narcissa qui appréciait tant la perfection, qui la chérissait. Un deuil d’une existence auquel elle se doit encore de procéder. Longuement, elle jette un regard minutieux à son reflet gracile et délicat, en observant, décortiquant, chaque détail dans le but de prévoir les éventuelles piques de la matriarche des Black. Sans défaut. Une robe crème de bon goût, une chevelure soignée tombant délicatement sur ses épaules, un maquillage discret. Incritiquable. L’apparence irréprochable, l’existence condamnable.

Le manoir familial lui semble toujours aussi austère, bien qu’elle y ait vécu des moments inoubliables, heureux même, elle ne peut guère le nier. L’idée réconfortante d’y retrouver Bellatrix l’empêche de tourner les talons, de prétexter quelconque excuse stupide, bien que cette dernière se soit dernièrement révélée insaisissable. Elles qui pourtant maintiennent un lien constant, les hiboux se sont amoindris, les visites également, comme si son aînée tentait de lui filer entre les doigts, de la fuir. Mais, déjà avant même son départ du foyer Malfoy, Bellatrix demeurait distante, calfeutrée dans sa chambre. Narcissa n’est même plus au courant de ce qu’il advient du couple Lestrange et de ses frasques. Elle doit bien avouer qu’elle n’a guère insisté, trop préoccupée par ses propres problèmes, par le futur de sa famille, de son époux. « Madame Black n’a guère pu se libérer ce soir, mais elle vous prie, vous et madame Lestrange, de bien vouloir dîner sans elle puisque le repas est prêt. » Narcissa contient une pique salée à l’encontre de l’elfe de maison, tandis qu’elle lui tend désobligeamment son manteau, comme si elle avait du temps à perdre, sa mère est plutôt culottée, comme toujours. « Bien. » répond-elle sèchement, tandis qu’elle pénètre au cœur de la salle à manger, y découvrant une Bellatrix manifestement en avance. Plutôt troublant. Le silence s’installe quelques secondes alors qu’elle détaille son aînée avec une certaine assurance. « Bella, je suis surprise par ta présence. » Elle aurait pu transplaner immédiatement en apprenant l’absence de leur mère, cela ne l’aurait guère surprise. « Tu es toujours bel et bien vivante malgré que mes hiboux n’aient guère tous trouvé une réponse. » La pointe de rancœur est perceptible, bien que le ton n’est pas foncièrement froid ni même hostile, bien au contraire, Narcissa s’est montrée plus qu’inquiète au cours de ces quelques semaines écoulées. « Whisky ou vin ? » Enchaîne-t-elle sans plus de cérémonie, cherchant à dissimuler ses inquiétudes et nombreuses angoisses. Les émotions ne sont que peu appréciées des Black.  

Narcissa n’a pas réellement compris la soudaine absence de son aînée, d’abord subitement cloîtrée, âme en peine et solitaire déambulant au sein de la demeure Malfoy, recluse dans ses appartements. Finalement envolée, retrouvant les murs du manoir Lestrange ainsi que son époux, le silence scellant désespérément ses lèvres. Non, les quelques hiboux vaguement échangés ne comptent pas réellement à ses yeux, goût de trop peu l’envahissant soudainement. Aussi admet-elle s’être contentée de si peu, de rien, préoccupée ailleurs, et surtout, trouvant une certaine consolation aux côtés de Theseus, là où les masques tombent. Personne ne s’y attendait, surtout pas elle. Lui qui semble pourtant à la base d'une sacrée partie de ses maux et tourments intérieurs. Enième secret précieusement conservé à l’abri des regards indiscrets. Une dissimulation pour laquelle la benjamine des Black n’éprouve pas de réels regrets, pas encore du moins. Peut-être en-a-t’elle assez de supporter le lourd poids des remords sur ses frêles épaules. Risque-t-elle de défaillir face au regard tranchant de Bellatrix ? Le doute s’immisce en elle, bien que l’expression de marbre demeure inchangée. Ne rien laisser transparaître.    

La réponse de son aînée lui apparaît insuffisante bien qu’elle n'émette aucune protestation, bien consciente qu’il s’agit là d’une justification lancée à la dérobée. Elle n’est guère devenue stupide au fil des semaines écoulées. Elle y reviendra, Narcissa, peu encline à faciliter l'existence de sa sœur. « Du vin pour oublier et célébrer. » Les deux sont de circonstance. Il y a beaucoup à oublier. Des mariages quelque peu désastreux, doux euphémisme. Des actes malencontreux. Des mots blessants. Des faux-pas regrettés et d’autres jalousement dissimulés. Des hauts, des bas. Des événements à célébrer. Une réconciliation entre les époux Lestrange, ou presque, elle n’en sait rien. Une matriarche absente, des reproches évincés. Et puis, l’évidence même, la future libération de son cher et tendre. Elle n’en pipe mot, les lèvres indubitablement closes, du moins jusqu’à présent.

Évidemment qu’elle ne peut s’empêcher de mettre les pieds dans le plat, Bella, en quête d’une quelconque réaction. Elle s’efforce de conserver toute sa splendeur, Narcissa, le mutisme perdurant tandis qu’elle confie une coupe de vin à son aînée dont le regard n’a de cesse de la transpercer de toute part. « Tu es pire que mère. » Les iris s’ancrent l’une à l’autre, se jaugeant une énième fois. Elle n’a encore abordé le sujet avec personne, si ce n’est son fils. Elle ne sait guère ce qu’elle ressent ou ce qu’elle est supposée ressentir. Coquille vide. Joie ? Crainte ? Soulagement ? Appréhension ? Un savant mélange d’émotions contradictoires. Impossible de nommer l’état dans lequel elle se trouve désormais. « C’est le cas. Il sera normalement de retour pour les fêtes de fin d’année, du moins je l’espère. » Elle s’est donné tant de mal afin qu’il soit à ses côtés, aux côtés de la famille qu’ils ont fondée. Pourtant, elle a pertinemment conscience que rien n’est facile, rien ne sera comme avant. Il sera auprès d’elle à nouveau, et puis quoi exactement ? Ils s’étaient déjà éloignés avant l’arrestation de Lucius. Seront-ils des inconnus à présent ? Plus le temps s’écoulent et moins semblent-ils se connaitre réellement… Le myocarde se serre. Bien sûr, elle ne regrette aucunement les actes commis afin de signer sa libération, même si cela signifie qu’il a fallu qu’elle trahisse la cause soutenue par les siens. Cependant, elle n’arrive guère à se réjouir autant qu’elle le souhaiterait, l’appréhension lui nouant les entrailles. Elle regrette la simplicité de leur couple aux prémices de leur mariage. « Je n’attendais que cet instant et pourtant, l’idée de le retrouver me glace le sang. » Verre porté à ses lèvres, le vin expiant les péchés, évinçant les idées noires. Elle s’en veut de ne guère être aussi comblée qu’elle le devrait par la perspective de retrouver Lucius. La peur omniprésente, paralysante. « Malgré la disgrâce, c’était plus facile sans lui. Maintenant, nous allons devoir affronter tous nos problèmes. Quel homme vais-je retrouver, Bellatrix ? » La perspective l’empêche de respirer un instant. Elle aimerait pouvoir garder les yeux fermés, les paupières fermement closes.