Danse macabre entre les orages célestes, la terre entière rebellée contre les parasites, humains rampant sous le courroux des ténèbres, courant, criant. À travers les fenêtres le brouhaha d’une nuit sans lune et la crainte et la terreur qui parviennent du lointain comme un doux élixir. Nulle acrimonie sur les lippes moqueuses de l’éditeur en chef de la gazette du sorcier, il se régale de ce temps miroir aux troubles en dedans, son âme mariée aux intempéries qui le bercent de ses symphonies brisées, là où le vent porte en son sein les hurlements et les déchirements, le vacarme du monde qui plie sous la colère des cieux. Ça frappe et ça cogne. Contre les murs. Contre les vitres. Ça claque, ça résonne. Contre les façades branlantes. Londres malmenée, château de cartes. Ça s’écroule, ça s’écoute. Doux délice de destructions dantesques. Au creux de la ville, le désordre, même parmi les béjaunes les plus téméraires l’inquiétude guette, il entend presque les prières des panégyristes qui ne jurent que par leur dieu absent, les mafflus pitoyables qui lèvent les mains vers ce ciel déchaîné, pourtant cause de tous leurs malheurs, qui se stipendient pour un brin d’espoir. Et de l’espoir, il en a à revendre, Theseus, entre les pages de son journal maudit où s’entremêlent les capucinades et les galimatias, les avis de recherches et les questions que personne n’ose poser. Il se pince le nez, fatigué de la paperasse qui s’accumule sur son bureau, pagaille de papiers vains et d’informations superfétatoires. Il se lève enfin, négligeant les parchemins qui s’échouent sur le parquet, cénotaphes d’histoires sans nom et de pâles rumeurs. Un coup d’œil à l’horloge et il lève les yeux au ciel. En retard. Shit. Elle ne manquera sûrement pas de le lui faire remarquer. Il saisit sa veste et d’un geste de la main disparaît dans un tourbillon de feuilles et de mercure.

Il se matérialise à deux pas de l’entrée du club et même s’il porte déjà l’incantation au bord des lèvres, il ne lui en faut pas plus de quelques secondes pour se retrouver aussi trempé que grincheux. À peine un pied dans l’antre que les effluves empyreumatiques de cigares et de whisky du bar aux secrets à peine murmurés lui arrachent un sourire, repère gardé mystérieux, qui se cache là dans les zones d’ombres de la capitale anglaise, à deux pas de tout, qui de dehors ne ressemble à rien. Il sèche ses vêtements d’un simple sortilège. Mr Malfoy, qu’on l’accueille avec cérémonie, récupérant sa veste et lui indiquant que son invitée est déjà installée à sa table favorite. Il remonte les manches de sa chemise blanche et se dirige d’un pas décidé vers l’amie de toujours, ce morceau de lui, ce morceau d’âme indélébile que le temps (et lui-même) ne laissera jamais se défaire. Il pose une main sur son épaule et un vif baiser sur sa joue fardée de charme destructeur. Il ne s’excuse pas de son manque de ponctualité flagrant, il sait que le reproche viendra, de toute façon. – Rien n’a brûlé, je suppose que tu es de bonne humeur. Se moque-t-il en s’installant, désinvolte, dans le fauteuil qui lui fait face, rictus malicieux accroché au visage. D’un geste il commande, sans un mot, et on lui apporte son éternelle bouteille de single malt.

Elle tourne en rond, les ongles négligemment rongés, le cerveau en bouilli, le myocarde battant à toute allure. Pas seulement le sien. Elle le sent. Ce petit être attaché au fond de ses entrailles qui lui bouffe son énergie. Sa vie. Pas encore né et déjà dérangeant. Il grignote le lien unique qui la lie à Rodolphus. Son Rodolphus. Pas à cette petite créature informe et sans nom. Être pourtant bien vivant. Elle voudrait s'arracher la peau, enfoncer son poing loin dans son ventre et en extirper le fruit de ses insomnies. Tuer la seule chose qu'il souhaite, désire plus que tout. Quant elle souffre de sentir la vie. Ça la ronge Bellatrix. Brisée. Tiraillée entre le besoin vital de détruire cette nouvelle vie et celui de satisfaire l'homme de sa vie. Celui pour qui elle est prête à mourir. Son sourire, ses yeux étincelant. Un héritier. Enfin. Et elle qui se décompose, souffre le martyr. En silence. Toujours. Et cette fois elle ne voit pas la lumière, aucune issue de secours. Un néant froid et angoissant. L'inconnu. Douce vesanie qui lentement la tire vers les ténèbres.

Elle a besoin de respirer, d'être entière. A nouveau elle-même. Sans philtres ni arrière pensées. Theseus. Vent de liberté qui souffle dans son cœur. Le seul qui ne lui offrira aucune capucinade endormante. Litanie assommante pour la culpabiliser. Le rendez-vous est pris et Bellatrix compte les heures. Pas d'explications, pas même un mot pour avertir de sa sortie. Elle quitte le manoir avant le retour de son tendre époux. Manœuvre habile pour éviter une dispute. Elle rejoint la tempête londonienne, écho meurtrier à la tornade qui règne dans son être. Elle s'estime heureuse. Sa silhouette pas encore entamée. Le corps encore svelte. Le ventre plat. Ou presque. Fœtus pas assez allongé. Personne pour voir. Rien qu'elle et Rodolphus. Narcissa pour la rassurer. L'agacer aussi. Ce n'est pas une mère. Elle ne le sera jamais. L'âme possédée, meurtrière, tortionnaire. Pas maternelle. Pas aimante ni douce. Peut-être est-ce dû à sa propre relation avec sa mère. Druella Black n'est pas un exemple d'amour.

La silhouette piteuse du bâtiment se dessine et Bellatrix s'y engage sans hésiter, donnant le mot de passe d'une voix grave, agitée. D'un sort silencieux, ses vêtements trempés retrouvent leur splendeur. Son regard se perd dans la pénombre des lieux, scrute les quelques visages éclairés. A la recherche de quelque chose de familier. Un quelqu'un de rassurant. "Madame Lestrange, c'est toujours un…" Elle arrête le mafflu d'une main tendue, levée devant son visage et ses lèvres tremblantes. "La table de Theseus Malfoy." Sans piper un autre mot, il hoche poliment de la tête et l'accompagne jusqu'à l'habituelle cachette où elle prend place, délaisse son long manteau noir. Elle congédie l'homme d'un vague signe de main agacé.

C'est d'abord son odeur qu'elle perçoit. Parfum impossible à oublier. Notes subtiles et puissantes à la fois. Aussi subtil et puissant qu'il peut être. Impossible de cacher le demi sourire qui éclaire son visage quand ses lèvres rencontrent sa peau. Elle ose même un petit éclat de rire moqueur. "Une minute de plus et l'endroit partait en fumée." Elle n'a jamais supporté qu'on soit en retard. Elle-même s'accordant pourtant largement ce droit. Mais les autres ? A l'heure. C'est tout. Bellatrix Lestrange mérite bien un peu de ponctualité. "Alors dis moi, qu'est-ce qui peut bien être plus important que moi ? Et ne me dis pas que c'est ton journal. Ou alors… Y aurait-il une femme ?" Elle hausse un sourcil, curieuse. Jalousie mal dissimulée. Besoin vital d'être le centre de l'attention. Même alors qu'il ne lui appartient pas. Plus. N'a jamais vraiment été sien. Histoire passée, ratée. Il demeure important. Plus que d'autres. Constante de sa vie.

Le cœur noir est un désert, il ne règne entre ses côtes que le vide et l’abandon, rivières asséchées des attachement sentimentaux et pourtant dans le fond de la vallée le mince filet d’une adoration indéfectible, elle qui se fait pincée de lumière improbable, qui dans  son inhumanité le garde homme, lui l’infâme meurtrier qui se décline en bonnes manières et comédie dans un cercle social trompeur. Lien magnifique des assassins qui se font presque douceur l’un pour l’autre, au nom d’une amitié éternelle. De celles qui durent depuis toujours, depuis l’époque où les mémoires et les fantaisies se mêlent, encore trop jeunes pour se composer les détails de leurs existences. Aussi loin qu’il s’en souvienne, Bellatrix a toujours été là, splendide, immuable, âme sœur au delà des convenances et des attentes, eux les enfants presque promis, l’histoire presque ratée, rumeurs adolescents des regards qui se cherchent et qui se jaugent, à une bague de s’appartenir, des larmes de l’enfance aux sourires de ce temps qui file, des enfants terribles de leurs lignées régaliennes aux adultes serviteurs de la sombre cause, les âmes se retiennent et se tordent, incapables de se laisser filer, imperméables à l’usure du temps, malgré le cuir et l’armure, le sang et les éclaboussures.  Il ricane à la remarque, attendue, les raisons de son retard sont ridicules, il n’a simplement pas vu le temps passer, ça ne vaut pas grand chose, comme excuse. – Tu sais bien qu’il n’y a que toi. Miroir féminin de ses penchants les plus ténébreux qu’il charme de mots justes, sachant apprivoiser la fureur et la vésanie.

Il y a Narcissa, pourtant, le fruit défendu, dangereuse obsession qui le taraude et l’amuse, tortionnaire à la gueule d’ange qui s’amuse des déchirures dans le couple de son cadet, qui contemple et adore à défaut d’aimer. Theseus, l’amour, il n’en est pas capable, toute possibilité flinguée à la mort de son fils, il se repaît d’admiration malsaine et du frisson de l’interdit. Il se demande ce que Bella en penserait, zone d’ombres et de doutes entre les inséparables d’autrefois, que dirait-elle, de ces pas esquissés au bord du gouffre, du jeu cruel imposé à la petite sœur, parfaite et précieuse. Le monde autour d’eux se confond en coup de pinceaux vulgaires, il n’entend ni la musique ni l’orage, aucun des badauds qui s’égosillent entre les rires et l’étranglement de l’alcool, dans cette bulle il n’y a qu’eux et la compréhension qui se forme entre les prunelles sauvages. Il sert l’ambre et lui tend le cristal du bout des doigts. – Je suis là, maintenant, alors tu veux me dire ce qui me vaut le plaisir de ce rendez-vous de dernière minute ? Mutinerie pétillante dans le coin de l’œil, l’ambre au bord des lèvres retroussées, il savoure l’instant et les retrouvailles, comme à chaque fois, de nouveau entier, auprès de compagne du temps qui passe et jamais ne disparaît. – À moins que tu aies besoin de quelques verres d’abord. Option que lui embrasse avec excitation.

Il a toujours les mots. Charmeur né. Il sait lui parler, calmer ses ardeurs. Aussi fougueuse soit-elle. Âme sœur manquée. Rêves de gamine. Elle n'est plus cette adolescente qui s'accrochait au moment. L'envie qui va et vient. Ils ont grandi sur une voie parallèle, s'accordant tous les droits ou presque. Se donnant sans concession. Confiance aveugle et dangereuse. Danse macabre, périlleuse. Ils savent bien qu'ils se seraient déchirés. Détruit, complètement consumé par un amour malsain. Chacun baignant dans le sang de l'autre. Trop semblables. Trop prêts à tout. Duo explosif qui n'aurait rien donné. « C'est ça. » qu'elle souffle. A moitié sérieuse, sourire en coin pour trahir son amusement. Et une blonde avec qui elle partage tout. Plus jolie, plus discrète. Plus tout. Narcissa. La fleur délicate. L'interdit. Elle sait Bellatrix et se garde bien de tous commentaires. Pour l'instant. Cette affaire c'est aussi la sienne, quoi qu'ils en disent. Témoin involontaire. Tantôt moqueuse et rieuse, tantôt exaspérée, prête à bondir sur la table. Ce petit jeu finira mal. Et elle a déjà choisi son camp Bellatrix. Le sang avant tout.

Ses doigts se referment sur le cristal froid et elle oublie Bellatrix. Il n'y a plus rien autour. Vide monstrueux, vertigineux. Theseus comme ancre, seul être capable de la rattraper. Ses prunelles dans les siennes, elle lève son verre avant d'y tremper les lèvres. Goût rendu amer. Grimace mal dissimulée. Tout la dégoûte par moment. L'envie de hurler la reprend. Son plus grand plaisir gâché. Soirée ruinée par cette petite chose qui se bat au fond de ses entrailles. « Quelques verres, c'est un euphémisme. Il va me falloir plusieurs bouteilles. » Pour se noyer. Et noyer la créature dans son ventre. Maigre espoir. Elle ne sait pas ce qu'il faut faire, n'a aucune idée de ce qu'il peut fonctionner. Et il s'accroche l'embryon. Le courage lui manque. L'aveu reste coincé au fond de sa gorge. Elle en a pourtant parlé avant. Ils sont nombreux à partager ses secrets. Trop nombreux peut-être. Theseus demeurant le seul à tout connaître de ses craquelures et autres blessures dégueulasses. La vue du sang n'a aucun effet sur lui. Si elle le lui demandait, il se jetterait sur elle, la débarasserait de la chose qui grandi en elle. Elle manque de courage Bellatrix. Alors elle avale son verre sans cérémonie, grimaçant lorsque le liquide chaud traverse sa gorge pour se loger plus bas. Le goût infâme lui reste sur la langue. Elle en redemande pourtant. Tout pour oublier.

« Quoi, je n'ai pas le droit de vouloir voir mon plus fidèle ami ? » Sur la défensive, un peu trop agressive. Elle s'enfonce dans son fauteuil, le jugeant brièvement du regard avant de faire exploser la bulle de sécurité. Ses yeux se perdent alentour et elles captent quelques regards. On l'évite, on se retourne. Tout pour ne pas attirer ses foudres. Ça la fait sourire et rouler des yeux. Geste ostentatoire. « L'ambiance au manoir est étouffante. » Révélation douloureuse. Elle a l'habitude de se plaindre des absences de Rodolphus, de l'attendre des heures. Et désormais elle cherche à s'échapper Bellatrix. Un peu de solitude. Mais seule elle ne l'est plus. « Il nous surveille. » qu'elle admet dans un murmure évasif. Pas prête à lui jeter les mots à la figure. « Fais moi boire Theseus, d'accord ? Fais moi oublier. » Supplication. Faiblesse qu'elle n'accorde qu'à lui. Confiance aveugle.

Les deux sont faits de ténèbres. Bellatrix et Theseus sont drapés de fureur, et le manteau de la folie sur leurs fières épaules se resserrent et se ressemblent. Âmes amères défiantes, qui se jouent de tout ce monde autour qui les admirent et les détestent à la fois. Effrayés de rien, figures à la fois divines et démoniaques, entités intouchables dans leurs robes d’arrogance et d’ambition, sortes de jumeaux célestes à la lisière de l’humanité, la destruction chevillée à leurs corps exsangues de se sacrifier pour les noirceurs en dedans, qui grognent et grignotent, monstres affamés de chair et d’effroi. Il l’ignore, Theseus, que l’horreur s’est faite humaine entre les tripes de Bellatrix, qu’elle s’agrippe, vorace, à son essence de vie. Horreur qui lui manque, orphelin d’un fils qui hante la psyché esquintée, morceau d’existence défait de lui et puis du monde, faucheuse mesquine qui prend l’enfant, lâche encapuchonnée qui dérobe avec elle le cœur du mangemort, ce qu’il en restait.

Il ricane sans le moindre humour, parce qu’il saisit le malaise, les dissimulations. Elle qui lui ment sans mentir, faible esquive face à l’autre moitié d’une amitié trop vieille pour ne pas se connaître par coeur. “Pour toi, n’importe quoi.” lance-t-il, douce badinerie dans le fond de la voix, pour apaiser, cacher les questionnements sous le couvert d’une légèreté toute relative. Il l’observe, la déesse, sa furie, il regarde les ombres qui l’embrassent et la lueur qui boue dans le fond de ses yeux. Le visage masqué derrière le verre délicat, il ne dit rien, sourcils froncés. Pour une fois, il se tait, il attend, étudie, ressent entre les côtes la détresse qui étouffe l’amie méfiante, dont les prunelles scrutent les alentours, les dipsomanes, tous ces inconnus qui les regardent sans les voir, bouffés par la curiosité mais trop inquiets de s’attirer les colères de sa compagne de fortune. Elle les regarde, tous sauf lui, le reflet fissuré qui saigne des mêmes vices et des mêmes névroses, encres barbares éthérées qui se mêlent et se confondent, elle et lui, toujours, à jamais, union profane, platonique et fusionnelle, l’un pour l’autre caricature d’une humanité désincarnée.

L’ambre versée devient salvatrice, il s’exécute, Theseus, vient consoler les supplices, faiblesse offerte qu’à lui, qu’à la soeur, et ça le surprend, ça l’étrangle, ça l’enrage, surtout, qu’elle cherche la fuite, l’échappatoire, elle l’impétueuse, le courroux. La morsure de l’inquiétude l’écorche entre ses os pourris. “Je pensais que les choses allaient mieux, avec lui.” Il s’accroche au regard, fouille l’autre de ses prunelles glacées, sans magie ni entourloupe, juste à la force de ce lien qui les rassemble. Il se veut refuge pour le double cosmique. “Bella, tu sais bien que ma porte est toujours ouverte...” Tu sais bien qu’il suffit d’un mot, d’un rien, que je ferais n’importe quoi, que je tuerais n’importe qui. La promesse est silencieuse mais elle est évidente, elle se déverse dans les opales furibondes, elle est adressée à l’autre, la seule sachant la lire. “Je peux te faire boire, je peux te faire oublier, je peux faire tout ça, si c’est tout ce que tu me demandes…” Lueur de malice satinée sur le bord des lèvres, éclat d’un reproche fraternel dans le coin de l’oeil. “... mais je finirais par savoir ce qui se trame. L’état dans lequel tu seras lorsque je t’arracherais la vérité, par contre, ne dépend que de toi.”

Elle croit encore être capable de lui mentir. Pauvre folle. Gamine insensée. Comme si les marques sur sa peau ne se voyaient pas. Comme si la fatigue ne hurlait pas sur son visage. Ténèbres grandissantes. L'âme noire débordante. Femme de pouvoir à qui on ne refuse rien. On préfère détourner les yeux, sourire maladroitement. Tout pour ne pas rencontrer son terrible courroux. Lui s'en amuse. Il ose Theseus. Aucune blessure trop effrayante pour son regard. Aucun mot trop blessant. Elle se cache derrière une posture parfaite, des sourires de circonstance. Apparence trompeuse. Capable de duper son monde. Mais pas lui. Alors elle oublie Bellatrix. Efface le monde autour d'eux, tous ces hypocrites en quête d'un regard, rien qu'une faveur. Une seconde d'attention de la part de ces grands. Mais elle s'en fout Bellatrix. Elle envoie tout balader. Pas franchement joueuse. Elle aussi à la recherche d'un peu d'attention. Une oreille attentive, capable de déchiffrer son malaise. Un regard compatissant. Une entente parfaite. Quelqu'un pour comprendre. Même si ça doit lui arracher un énième bout de cœur. Même si ça doit l'empêcher de respirer. Et c'est ça qui la retient. Le fait de savoir qu'elle va le briser. Elle. Ils n'ont pas été fait pour se déchirer. Âmes empoisonnées par la vie. Étrange parallélisme. Ils s'appartiennent sans vraiment jamais se posséder. Valse à deux temps. Parcours périlleux. Elle est lui. Il est elle. Jamais rien de trop dangereux. Rien pour les faire reculer. Capable du meilleur mais surtout du pire. Duo de choc.

N'importe quoi. Douce mélodie. Il suffirait d'un mot pour tout faire éclater. Un mot pour mettre fin à son supplice. Mais les ténèbres sont trop épaisses et ça Bellatrix le sait. La situation lui a complètement échappé. Sa vie désormais hors de contrôle. Son âme flotte au-dessus de son corps souillé. Corps encore parfait. Bientôt détruit de l'intérieur. Elle grimace de douleur, tente de dissimuler son malaise au fond de son verre. Peine perdue. « Ça va, ça vient. Tu sais comment il est. » Comment elle est. Puissance dévastatrice. La rage au ventre. Gamine incontrôlable. Lionne féroce, indomptable. C'est plus fort qu'elle. Personne n'a jamais su éteindre le feu qui anime Bellatrix. Tout au plus on apprends à le dompter. On vit avec. Rodolphus devenu son égal, feu aussi brillant que le sien. Rodolphus qu'elle aimerait voir brûler. Rien qu'un instant. Avant de le sauver. Mélange incompréhensible de haine et d'amour. Sentiments effrayant, incontrôlables.

Elle a dans le regard une lueur de désespoir. Un quelque chose qui s'accroche. L'envie de hurler. Tout envoyer valser. S'arracher les tripes. S'enfoncer les doigts dans les entrailles. Toucher le fruit qui y grandi. Le détruire lui aussi. Ne plus rien sentir. Etre là sans être là. Un état second ça lui conviendrait parfaitement. Enivrée, à moitié perdue. Entre rêve et réalité. Qu'elle oublie son cauchemar. Que les mots glissent hors de sa bouche sans qu'elle n'en ait conscience. Oubli total. L'âme hors du corps. Le liquide ambré avalé en une longue gorgée, le verre reposé avec résolution. Sans jamais quitter les yeux scrutateurs de l'ami tant aimé. Elle le voit. Son double. Aussi maléfique qu'elle. Peinture de l'humanité perdue. A jamais disparue. Toute l'horreur et la malice sur son visage. Les lèvres frémissantes d'envie. Ton protecteur qu'elle seule est capable de déceler. Un quelque chose d'unique dans la voix. La faiblesse qui fait son chemin, s'en vient glacer le sang flamboyant. Ils ne sont plus que deux êtres terriblement vivant. Deux corps pourris, maltraités. Âmes damnées. Un soupir suffit. Dose de courage inattendu. Elle reste digne Bellatrix. Incapable de baisser sa garde. Femme de caractère. Femme de pouvoir. Elle prend les choses en main, la bouteille trouvant naturellement le chemin de sa main. Le liquide glissant allègrement dans son verre pour finir sa course au fond de son gosier. Qu'il se noie! « Il n'y a rien à faire. » Rien à dire. L'heure est passée. Pas de retour en arrière. Peu importe combien elle en rêve. Peu importe combien elle espère. On a claqué la porte. On a fermé les issues de secours. « Je suis enceinte. » qu'elle proclame, riant à sa propre détresse. S'amusant de son propre malheur. Et à nouveau elle s'empare du whisky. Solution salvatrice. Folie. Cheers !

Peut-être qu’il n’y a toujours eu qu’eux, finalement. Quelque chose de plus précieux que tous les amours et les rendez-vous, là, au creux de leurs inhumanités flamboyantes, peut-être qu’il n’y a toujours eu que cette connection des âmes jumelles au-delà de tout, même de leur propre compréhension. Theseus la regarde comme on se regarde dans un miroir, l’enfant devenue femme, trésor de ses mémoires de jeunesse, où les temps n’étaient pas plus simples mais où les illusions d’un avenir à deux semblaient réelles, étranges et excitantes à la fois. Un avenir construit à l’encontre des attentes, une relation meilleure que celle entretenue dans les affres des obligations maritales, parce qu’ils se sont choisis en dépit du reste et surtout des autres, guidés là par un univers moqueur et cruel, grâce des enfers sur les gamins tempétueux, les impossibles, les crampons, ceux qu’on craint et qu’on admire à la fois, rejetons de l’horreur, beauté charnelle qui contraste avec la noirceur et l’outrage en dedans. Entrailles empoisonnées par la violence, pas celle imposée par l’entourage mais celle qui veille dès la naissance, au creux des tripes, dans l’fond du crâne, union qui dépasse la sainteté des promesses aventurées sur un oreiller maudit, pacte des adolescents qui se jurent à jamais avec la ferme détermination qui les habite, les peines et les victoires partagées comme un seul être.

Je suis enceinte. Le geste figé, le goulot qui ne verse que quelques gouttes lentes et solitaires dans le cristal gourmand, le temps qui ralenti puis se suspend. Les mots comme un coup de feu et après eux le silence. Vide absolu qui dévore le monde autour d’eux. Deux figures qui se font face dans une chambre noire, noyées dans la force des aveux et de la douleur qui écorche la gorge du double, l’affront de la vie qui ose grandir dans le ventre qui n’en veut pas. Il sait, Theseus, comme elle n’en veut pas, comme elle n’en a jamais voulu, d’un être à moitié elle, à moitié l’autre, absorbeur d’un amour et d’une attention qu’elle se garde jalousement. Finalement l’ambre qui coule, qu’il sert à foison, incapable de le lui refuser, pas maintenant, pas comme ça. Que Narcissa lui fasse la leçon, qu’elle soit la voix de la raison, qu’elle lui en veuille si ça lui chante, lui se calque aux émotions, coeurs battants qui s’accordent, à deux, à trois, il ne sait pas trop, il se fait présence, indéfectible, toi et moi, jusqu’au bout, face à tout, contre tous. “Je suppose que des félicitations ne sont pas l’ordre du jour...” Ton presque teinté d'inquiétude, bercé d’une badinerie toute relative, sourcil arqué pour insister, pour lui arracher les restes de ses pensées, la forcer à mettre des paroles sur ses intentions. “Qu’est-ce que tu as en tête ?” Qu’importe, Bella, dis moi, n’importe quoi, quel est le plan ? Acceptation malgré le néant dans sa poitrine, malgré l’absence, malgré ce morceau qui manque au coeur avarié. Le souvenir de Nicholas flotte un instant derrière les paupières, comme un éclair, une seconde d’éternité où se défoulent les sévices et la tempête d’un deuil jamais résolu, poignée d’un sel virulent sur les blessures ouvertes. Il boit, une longue lampée du feu liquide, se recompose pour elle, l’oeil qui décèle les obstacles entre les lignes des révélations. “Il sait ?” Cette fois-ci. Demande-t-il en lui servant un autre verre.

C'est tout son monde qui s'écroule. Le temps qui arrête sa course folle, les enveloppe d'une bulle de protection terriblement fragile. Elle le sait, l'instant va passer. Bientôt tout va éclater. Mais pendant quelques secondes, il n'y a qu'elle et lui. Âmes jumelles. Cœurs et corps meurtris. Les regards qui s'accrochent, se comprennent. Lui et elle. Toujours. A jamais. Ils ont pourtant réussi à faire taire les balbutiements, les battements de leurs cœurs maladroit. Pas de place pour la faiblesse. Encore moins pour l'amour. Désirs de gamins anéantis. Dessein macabre de deux mères croyant à tord tirer les ficelles. C'est le sexe fort qui commande. Se refuse à tout compromis. Le désir mort né. Elle a suivi son destin Bellatrix. Qu'importe si il a été dessiné par son père. Elle n'en n'aime pas moins Theseus. De cet amour qu'elle ne comprend pas. Avec cette puissance destructrice qui finira par les tuer tous les deux. Ils s'aiment, s'abîment, mais jamais ne se détestent.

Elle trouve un refuge au fond de ses yeux. Elle n'a plus envie de rire. Elle n'est même plus capable de respirer. Chaque bouffée d'air plus douloureuse que la précédente. Elle reste concentrée sur lui. Lumière dans ses ténèbres. Elle qui n'a jamais eu peur du noir ne veut pas rester seule alors que la nuit l'enveloppe. Elle, Bellatrix Lestrange qui inspire la peur, donne des sueurs froides. Tout à coup devenue gamine sans défenses. Angoissée par sa propre vie. L'existence qui lui coule entre les doigts. Son choix à elle devenue impossible. Elle ne maîtrise plus rien. Elle est incapable de prononcer un seul mot alors que leur bulle éclate. Douloureux retour à la réalité. Les éclats de voix résonnent dans sa tête, lui donne la nausée. Même concentrée sur Theseus, elle n'arrive pas à les ignorer. Elle ne peut que le remercier en silence. Lui qui ne l'empêche pas de sombrer encore, qui lui accorde ses vices. Pas comme Narcissa. Deux entités que tout oppose. Et pourtant...

Elle voit bien le combat qui le déchire. Elle sait ce qu'il a perdu. Mieux que personne. Parce qu'elle était là. Parce qu'elle l'a aidé à se relever. Qu'elle a été son tout comme il l'est aujourd'hui. Mais elle ne dit rien. Égoïste. « Rien. Je suis vide Theseus. » Vide de toute énergie. Elle a abandonné le combat Bellatrix. Rodolphus a gagné. Il a réussi à la posséder toute entière. Réussi à la briser. Elle vide son verre avant de soupirer et d’acquiescer d'un simple signe de tête qui lui en coûte. « J'ai ignoré les signes trop longtemps. » C'est tout son corps qui l'a trahie. Elle ne pense déjà plus à la douleur de Theseus. Cet enfant chéri qui n'a pas grandi. Elle voudrait que le sien ne grandisse pas. Qu'il meurt dans l'instant, là, au fond de son ventre. Qu'il s'en aille. Ou qu'il passe à Theseus. Qu'il soit à lui. Elle aurait pu le supporter. Pour lui. Pourquoi pas ? Tout aurait été différent. Plus simple peut-être. Parce qu'elle n'aime pas Theseus comme elle aime Rodolphus. Parce qu'elle ne pourra jamais le partager avec quiconque. Jamais. Pas même le fruit de leurs entrailles. Elle n'en n'est pas capable. « C'est fini. Ma vie est finie. » Constat angoissant. Panique qui se répand. Elle ne peut plus respirer. Le cœur qui menace d'exploser dans sa poitrine. « Promet moi que tu resteras. » Pitié. Supplication dégueulasse. Peur panique de l'abandon. L'image d'Andromeda qui se superpose à celle de Theseus. Deux pair d'yeux qui la regarde.

Il la voit dans sa pénombre, alors il la fait sienne, cette nuit qui l’étouffe, il prend sur ses épaules, qu’importe le poids des cieux, il ne craint pas les ténèbres, les ombres qui hantent l’âme soeur et les fatalités qui font courber ses paupières, à elle l’invincible, cette femme qui fait trembler une armée entière par le simple murmure de son prénom. Il accepte le chaos et la peine, pour elle, il les partage comme elle a porté le deuil, son deuil, de Nicholas et de lui-même, elle seule témoin de ses faiblesses, de ses fissures, de l’avant et de l’après, du père redevenu homme, du rien, de l’abîme infâme.

Pour Bellatrix.
N’importe quoi.
Pour elle, l’absolu, dans le parterre du bagne terrestre où se confondent la violence et les mensonges, cet enfer où ils sont rois, où leurs nuques droites et régaliennes soutiennent les lourdes couronnes ensanglantées de leurs inhumanités mêlées, il est prêt à tout. Il regarde et il écoute, la montagne qui s’écroule, cette force qui plie sous les sévices d’une vie qui se forme au creux de ses entrailles, petit monstre de chair et de sang qui affaiblie l’infaillible. Il ne voit plus sa propre douleur, Theseus, dans les mots et le rejet, il ne voit qu’elle et la souffrance qui lui serre la gorge et cette haine qui gronde dans le fond de sa voix, pour ces os maudits qui abîment son ventre, la transforment contre son gré. Il connaît ses travers et les naissances jamais données, tous les secrets qui s’accrochent de leurs ongles répugnants sur les rebords de sa sanité. Oh comme il pourrait lui en vouloir, comme il pourrait détourner le regard, l’abandonner, la laisser là sans la certitude de cette éternité qu’ils s’étaient promis alors que la jeunesse les protégeait encore des réalités de leurs destinées bousillées par les caprices du sort. Il suffirait de se lever, de s’en aller, frôler l’épaule de la froideur des adieux silencieux et oublier, oublier l'égoïsme et l’ingratitude. Sauf que pour Bellatrix, il supporte l’affront. Promet moi. Sur la courbe de ses lèvres un rictus se forme, l’ombre d’une évidence.

Oh Bella.

Il se redresse, se penche vers elle, maintenant les coudes sur les genoux, son regard ancré dans le sien. Des secondes comme une éternité et comme avant, comme quand il suffisait de se serrer la main et d’espérer de ne pas se faire prendre, comme quand - le visage ravagé par les larmes - il suffisait d’une oeillade, de quelques mots, d’eux deux, ensemble, contre le reste du monde, comme quand rien ne comptait que d’être sûr de ne jamais être seul au monde. Une main qui se tend, qui s’offre à l’alter ego comme une promesse, intangible et impossible beauté dans la noirceur de leurs âmes miroirs, malgré tout, malgré rien, malgré les contraires et les ressemblances, malgré le coeur qui saigne et qui suinte sous le coup des souvenirs. - Toi et moi, Bella, tu sais bien que c’est envers et contre tous. Douceur et détermination qui se décollent d’entre ses lippes d’habitude déformées par les menaces et les artifices. - Je ne vais nulle part, je te le promets.

Ils ne sont que ténèbres Bellatrix et Theseus. Insensibles dénués d'âmes. Et dans leurs poitrines, un cœur pourri qui bat à peine. Deux êtres gangrenés par une noirceur qui leur appartient. Forgés par ce monde impitoyable. Façonnés par des parents froids à la recherche d'une perfection inatteignable. Chacun tour à tour souillé par la vie. Malmenés par les autres. On ne leur a pas laissé la chance d'être vivant. On ne leur a pas donné l'occasion d'exister pour eux. Rien que pour eux. Comme deux pantins à qui on aurait finalement coupé les fils. Désarticulés. A la recherche d'un idéal. Cette vie qu'on leur a promis. Tous les deux endeuillés sans comprendre par quoi, par qui. Et pourquoi ? Toujours cette question entêtante à vous vriller les tympans. Cacophonie dégueulasse. Spectre invisible qui hante leurs nuits. Pourquoi? Question qui reste sans réponse. Qu'importe les cris. Ils finissent toujours immanquablement par s'évanouir dans la nuit.

Déstabilisée par la peur qui l'envahie, elle se sent sombrer Bellatrix. Comme une ancre au fond de l'océan. Gamine pathétique. Hantée par des fantômes qu'elle pensait pouvoir garder à distance. Le visage d'Andromeda encore imprimé sur ses rétines. Elle ferme les yeux quelques secondes. Juste assez pour qu'enfin sa cadette la laisse en paix. Qu'enfin elle s'efface. Pour ne laisser que Theseus et son regard qui reflète le sien. La même douceur. Les mêmes ténèbres. Theseus. Constante infaillible. Leurs mains qui se trouvent. Les doigts qui se serrent. La peau qui s'abîme, brûlante. Le désespoir qui glisse pour disparaître doucement. Ils s'accrochent à ce petit contact physique. Humains. Rien que des êtres vivants. Loin, si loin, des divinités qu'ils rêvent d'incarner. Pourtant, eux aussi maudit. Et plus encore.

« Contre tous. » Echo presque silencieux. L' de la situation loin d'être encore acceptée. Elle voudrait être encore capable de nier. Se lover dans des bras rassurants. Tout oublier. Mais elle se redresse déjà Bellatrix. Le dos droit, les yeux tournés vers l'horizon. La faiblesse qui passe. Comme une averse au milieu d'une journée ensoleillée. « Si j'étais aussi folle qu'on le dit, je t'aurais proposé de nous enfuir. Loin, très loin... » Idée charmante. Folie dangereuse. Elle rêve Bellatrix. Moment d'égarement. Faiblesse qu'elle effleure du bout des doigts, caressant maladroitement la joue mal rasée de Theseus. Son Theseus.