Elle a perdu la raison, cette pauvre femme. Elle est folle à lier et Ravenna a beau fouiller dans sa mémoire, elle ne situe pas sa position sociale, elle ne l’a jamais vue aux réunions organisées par la pourriture formée par quelques groupes de sang-pur sûrs de leur supériorité. « MES ENFANTS! » La connexion entre les informations est rapide mais ne paraît pas provoquer un quelconque sentiment sur le visage de la Lestrange, pas même lorsqu’elle croise le regard de Tobias. La fin justifie les moyens. La magie vient avec un prix, la noire plus encore, l’interdite au-delà de l’imaginable. Elle ne sourcille pas comme si elle avait vu pire ou comme si ça ne la touchait pas, c’est brutalement difficile à déterminer. Elle observe froidement, analyse le comportement désordonné et en souffrance de ce qui ne lui apparaît plus comme un être vivant, c’est une morte en sursis. Certains envisageraient d’essayer de la sauver, pas elle. Egoïsme ou pragmatisme ? Briseuse « MOURREZ! » Le pas de recul est instantané, la baguette de bois rose prise en main avec plus de fermeté et tandis que le chercheur les préserve des flammes ensorcelées, qu’ils en reçoivent tout de même la chaleur, elle lâche simplement : « Abandonnez, il n’y’a aucune chance de vous en sortir. » Elle avait déjà peiné à défaire ce qui s’était incrusté dans la jambe de Weaver, comment imaginer épargner la femme déjà bouffée par son oeuvre. Prouver, c’est un mot significatif, une volonté terrible qu’elle connaissait, qui poussait souvent les sbires d’idéaux extrêmes à dépasser les bornes. Elle est puissante, la bougresse, ça se sent dans la férocité du sortilège lancé malgré la douleur infâme qu’elle doit supporter. Il n'y'a que ce bouclier pour la détourner de Ravenna, que l'efficacité de Tobias pour leur laisser une occasion de déjouer la fatalité.

La réflexion paraît longue, la briseuse de sorts ne fait rien. « Je suis navrée. » souffle-t-elle. A son attention à lui, sans logique apparente. Les murmures suivants sont à peine perceptibles et sur le sol viennent grouiller des vers noirs trainant la corruption non-atteinte par l’antidote. Les vers s’étirent. A mesure qu’ils avancent, l’apparence de Ravenna s’étiole : la brune s’efface, la longue chevelure blanche glisse, coule jusqu’en bas de son dos en une fluidité surnaturelle, une perfection dérangeante et les prunelles s’éclaircissent. Les serpents rampent, passent sous les flammes ; elle est en train de retourner la décomposition magique contre sa lanceuse originelle et pour cela, elle doit sacrifier le maintient de son apparence, toute son attention se doit d’être focalisée sur l’acte principal afin de ne pas être impactée, de ne pas à son tour succomber aux horreurs ambiantes. Les traits s’adoucissent.

« Qu’est-ce que vous faites ? Pourquoi.. comment.. l’arme pour le.. et les enfants. Vous avez, c’est votre faute. VOTRE FAUTE. » La femme recule, esquive difficilement les morsures que les créatures visqueuses veulent infliger, claquant dans l’air des crochets dégoulinant de poisse. « Vous l’avez déçu. Vous savez ce qu’il se passe lorsqu’on le déçoit. » Elle pleure, sur son sort, sur les gamins, sur sa souffrance. « Avada Kedavra. » L’éclair vert traine la mélodie terrible d’un souffle de vent, atteint la cible. Inutile d’imaginer comment elle a appris à le lancer, comment elle ose le faire. Les serpents enchantés s’effritent, flottent pour se dissoudre dans le vide, non loin de l’effet de la potion de purification - tout ne disparaîtra pas aisément et l’enveloppe charnelle qui s’effondre ne cesse pas pour autant d’être une menace. Ni Ravenna ni Tobias ne connaissent réellement l’origine de ce qui affecte Loutry et ce qu’elle vient de produire indique que durant la convalescence du sorcier, la briseuse de sorts a étudié le phénomène de son côté.

Elle tangue, s’appuie contre un arbre à demi-mort. L’énergie est usée, la volonté vacillante. Leur mission ne saurait se poursuivre avant plusieurs minutes de récupération. La métamorphomagie ne répond plus, la laisse vulnérable et agacée, incapable de veiller à ce que l’inconnue ne se redresse pas, dévorée par le mystère. Le silence est lourd. Visage baissé et souffle court, elle réfléchit déjà à la manière de voler ce souvenir à l’orphelin. Les cadavres hanteraient-ils sa conscience ?    

« Vous l'avez déçu? » L’esprit embrumé lui fait froncer les sourcils avant que son visage ne se redresse et ne se tourne vers Tobias ; la baguette est désormais pointée dans sa direction. « Vous savez ce qu’il se passe lorsqu’on le déçoit? » Ce sont ses propres mots qu’il répète et à vrai dire, Ravenna se doutait qu’il pourrait s’interroger cependant elle considérait sa capacité intellectuelle trop importante pour se faire leurrer par une bête manoeuvre de survie. « Est-ce que vous êtes avec ‘’Lui’’?! » Il le lui crache presque. Est-ce donc tout ce qui le surprend ? N’a-t-il pas entendu le fait qu’elle était navrée avant de prendre sa décision ? Nier de façon trop vive serait une erreur stratégique, après tout son nom impliquait des idéaux douteux autant qu’une nécessité de ne jamais se révolter au-delà du raisonnable, de sorte de ne pas être suspectée. « Je suis une Lestrange, non ? » L’amertume dans la bouche, dans la voix. « C’est sur cela que se base l’association d’idées, pas vrai ? » Evidemment. Parce qu’elle est une Lestrange, son choix de mots impacte plus violemment que ceux d’une sorcière lambda. C’est ainsi qu’il considère leurs moments passés ensemble ? Les soins qu’elle lui a donné ne compensent en rien le postulat de départ ? N’aurait-il rien vu si elle avait été avec lui depuis le début ? « Vous êtes inventeur, qu’est-ce que cela peut bien vous faire ? Vous publiez vos inventions, pour les bonnes et les mauvaises mains. » Comme quoi, elle s'intéresse à ce qu'il conçoit. Pour ne pas dire ‘âmes’, elle doute que nombre de partisans d’un tel homme en possèdent une. « Les vôtres sont-elles donc plus propres ? » A quel moment, lorsque l’invention de l’un est usée de façon cruelle par l’autre, le premier devient-il responsable ?

« Ne soyez pas crétin et rangez cette baguette. » Le vocabulaire oscille, l’apparence de Ravenna semble moins rigide, plus naturelle, elle croise les bras - le masque est tombé, réfléchir à ce qu’on attend d’elle est inutile, elle devrait soit le lui faire oublier soit l’obliger à sa taire. « Vous pensez que je vais soutenir les idées d’un père qui me frappe ? Soit vous envisagez que je suis profondément débile soit vous m’imaginez faible d’esprit. » Et ça, c’est intolérable. « Son allégeance était indéniable et la pauvre fille que je suis se contente de la neutralité que les gens ne veulent pas lui accorder. Je ne devrais même pas avoir à me justifier auprès de vous. J’ai naïvement pensé qu’après mes confessions, vous ne douteriez pas si facilement. » Elle est vexée. Vexée qu’il se retourne si vite contre elle, de la même manière qu’Alastor, comme si on ne pouvait pas lui pardonner le moindre petit acte douteux malgré son comportement général habituel. Etait-elle si froide et toxique qu’on ne puisse oublier son identité ?     

« Je doute de tout le monde. Vous la première devriez comprendre ça. Nous n'évoluons pas dans un monde où le doute est un luxe. » Elle la première ? Elle fronce les sourcils. Bien sûr mais il n’est pas supposé savoir cela, dès lors c’est dérangeant, ça pousse à la méfiance, la vraie, pas celle d’un simulacre théâtral. « Ne me prenez pas pour plus bête que je ne suis. Vous n'êtes ni débile, ni faible d'esprit. C'est en ça que vous êtes le plus à craindre. Je n'ai pas besoin de douter des simples d'esprits. L'évidence est risible. » Cette fois, un sourcil se hausse. L’évidence est risible. Non, pas tellement. Nombre d’entre ses collègues ne la jugent pas spécialement utile et même si c’est à mettre sur le compte de leurs liens avec Edward, Ravenna flotte perpétuellement entre mépris, supériorité crasse et doutes violents. En l’occurrence, Tobias n’était pas tombé sur un jour de doute terrible, ce qui la rendait forcément moins sympathique. « N’exagérez pas. Je ne serais dangereuse que si je n’étais pas vraiment Ravenna et que je tentais de vous convaincre de rejoindre je ne sais quelle cause absurde en cherchant votre affection. Ca n’est clairement pas le cas, mh ? » Non, bien sûr. Elle n’avait jamais proposé autre chose que ses maigres soins et ne s’était pas montrée très politique ; sauf si être contre la violence physique sur ses enfants était une opinion politique, dans ce cas, certes. Et le bon sens serait mort.

Elle s’écarte comme il l’ordonne. Elle envisage même de purement transplaner, cette conversation n’a plus de sens et il a prouvé ses compétences en purification, il n’a pas besoin d’elle. « Je me contrefiche pas mal du nom que vous portez. À mes yeux, vous êtes vous, pas votre sadique de géniteur. Pas votre engeance ou leur réputation. Et vous avez bien fais en l'abrégeant ses souffrances. » Elle tourne à peine les yeux vers le cadavre, elle ne veut pas détailler cette pauvre femme ni penser aux enfants. L’insensibilité n’était ni perpétuelle ni factuelle, elle se contentait d’enfouir profondément les problèmes et de ne résoudre que ce qui s’avérait intellectuel, à cet instant, ça ne heurte pas que l’intellect.

« Inutile de faire semblant en ma présence. » Il se contrefiche de son nom, ne voit pas l’utilité de la mise en scène, ce qui lui arrache un sourire en coin. « Je n’ai pas plus de raisons de vous faire confiance que vous n’en avez. Vous êtes un métamorphomage qui se contente de répéter que c’est une tare à une autre. » Ce qui est relativement cruel, avouez. Ce qui la contrarie à chaque fois, sans faute. Si il voulait jouer le doute, elle pouvait trouver mille raisons de se méfier, de l’accuser, lui l’inventeur, le sorcier de talent terré chez les moldus. « Qui plus est, il est aisé de faire parler un lieu. La théâtralité ne vous était pas adressée. » On savait faire parler les baguettes et les défunts mais on oubliait bien souvent de faire parler la terre, les bâtiments et autres fantaisies - ça n’intéressait personne, ces choses là. Ravenna était certainement étrange, étudier ce genre de pratique tendait à l’accuser de jouer avec la magie noire et à dire vrai, elle ne nierait pas, après tout, elle l’avait prouvé en secouant les serpents maudits. « Je préfère les zones de gris, ne vous en déplaise. Et si le Ministère ne fait rien, la neutralité pourrait bien devenir une tare, chez les Lestrange en premier. A défaut de savoir protéger mon esprit, je préfère ne pas laisser de doute sur les filets de la mort. » Les secondes précédant un meurtre, les empreintes déterminées par le choix. Et tant pis si il ne l’entend pas ainsi. « On pourrait en finir ? » Avec cet endroit dégueulasse.     

« Ma tare. » Le regard détaille Tobias avec insistance, une ombre dans le fond des pupilles. « Pensez de votre pouvoir ce que bon vous semble. » Ca n’est pas un pouvoir et elle n’a pas l’impression qu’il comprenne ce qu’elle ressent, pas plus qu’il ne paraît s’en préoccuper, d’ailleurs. Son point de vue, seulement le sien, comme si ça n’avait pas d’influence sur l’avis d’autrui. « Ca n’a rien d’un pouvoir. » Le ton se fait plus froid mais l’apparence ne varie pas, les cheveux restent irrémédiablement blancs et les prunelles intensément bleues, aux nuances d’un acier tranchant rappelant vaguement Edward. Elle se refuse à cracher ce qu’elle ressent vis à vis de son héritage, de toutes ces heures à s’acharner à ressembler à autre chose, à se forger une identité qui collerait à ce que la société en attendait. Tobias n’entendrait rien, il n’était après tout qu’un sorcier élevé chez les moldus, un orphelin sans obligations par rapport à ses facultés magiques. Comment avait-il pu devenir inventeur sans chercher à faire plier entièrement la métamorphomagie à sa volonté ? Pensive, Ravenna ne dit pas grand chose. « Je doute qu'on vienne fouiner dans le coin, cela dit. Mais c'est bien vu. » « L’expérience n’a pas pu être tentée sans raison.. » Impossible, pas avec ce qu’elle entendait dans les cercles restreints des sang-purs, parfois conviée malgré elle.

La main tendue provoque une hésitation, elle marque un arrêt en cours de route, craignant d’avoir usé ce qu’elle avait d’énergie magique pour poursuivre la purification - elle ne l’exprime pas, se laisse finalement faire.

La bulle est récupérée, maîtrisée grâce à l’apprentissage effectué lors d’une rencontre, un jour où le sorcier ne s’était pas trouvé bouffé par les toxines maudites ayant infiltré son sang. Elle se demandait parfois si elle n’aurait pas pu purifier grâce à sa propre hémoglobine mais les chances de réussite trop faibles l’avaient détournée de l’idée. Le sol craquèle par instants sous ses chaussures tandis qu’elle prend le direction du Sud-Est, concentrée. Elle n’est guère bavarde en mission et cet endroit en était devenu une même si ses talents de briseuse de maléfices ne suffisaient pas face à cette infection impressionnante. Tout en prononçant la formule, elle écoute les bruits alentours, reste attentive à l’éventuel retour de Tobias : il ne fait aucun doute qu’il mettrait moins de temps qu’elle à agir, créateur incontesté de la solution. De la brise émane déjà moins de fragrances putréfiées, la mort commençant à éloigner ses marqueurs sans pour autant s’arracher des pensées de Ravenna : pourquoi cette femme s’était-elle perdue à ce point ? Que serait-il advenu des enfants sans ce lion enflammé ayant tout dévoré sur son passage ? Comment avaient-ils pu ne pas en constater la présence ? Etaient-ils déjà perdus à leur arrivée ?