Le rosaire décoloré se plie sous la torture des doigts striés de cicatrices alors que du bout des lèvres s’échappent les prières, galimatias inaudibles d’une croyance mise à l’épreuve, jour après jour, sur les chemins d’une existence souillée d’embûches. Le panégyriste pourtant ne s’épuise jamais de trouver refuge dans les dédales d’une dévotion portée en son cœur depuis l’enfance, jamais évidente ni revendiquée, simplement en lui, protégée, cabane solitaire dans le fond de l’âme dont les jardins se composent des cénotaphes de ses certitudes passées, toutes ces versions de lui qu’il visite parfois, entre le couchant et l’aurore, en silence, à l’abri des cauchemars, de l’irréfragable réalité. Petit paradis au creux de ses pensées où les litanies se défont des souvenirs, se forment entre les chimères et les espoirs moribonds, conversent avec un dieu débonnaire bien que silencieux, qui se garde des capucinades comme des catilinaires. Il n’a besoin que du calme dans la tempête de son amère acrimonie, de ses paupières closes pour ignorer le monde un moment, se faire enfant, presque profane, béjaune mafflu aux yeux trop grands encore teintés d’une innocence féroce. Un ultime soupir pour se délester du poids des orémus.

Une rumeur lointaine dans les couloirs de Sainte Mangouste trahit la présence de tout ce monde qui fourmille sans répit dans les étages inférieurs, où Rosen était pensionnaire quelques jours plus tôt, convalescence abrégée pour faire place aux autres victimes de la tourmente qui règne au dehors. Il attend son tour, patiemment, le bras toujours en capilotade, soutenu dans l’écharpe inconfortable qu’on lui a imposée autour du cou. Les os lentement se retrouvent, se ressoudent, douloureusement, ça fait des nuits qu’il ne dort plus, secoués de spasmes et de souffrance, des déchirements sous la peau qui se plaint de l’impatience du squelette amoché. Il est défiguré par la fatigue, les cernes obscurs dévorent son faciès rayé d’égratignures. Enfin, la porte s’ouvre mais le médicomage pressé n’a que quelques vives minutes à lui donner, ainsi qu’une autre fiole de cette même potion supposée le soulager, avant de s’éclipser de nouveau. Le regard las suit la silhouette jusqu’à ce qu’elle disparaisse au détour d’un corridor, puis se repose sur le flacon au reflet verdâtre qui lui arrache déjà un soubresaut à la mémoire du goût infect. Il glisse l’objet dans la poche de sa veste, réparée plus aisément que sa carcasse, fidèle compagne imprégnée des effluves empyreumatiques des milliers de cigarettes consumées auprès de son cuir. Il pare ses lèvres d’une lucky sans l’allumer, juste pour sentir le filtre rassurant, l’habitude jamais déshonorée malgré les péripéties. Il n’a plus qu’à s’en aller, rejoindre le réseau de cheminée, rentrer chez lui, essayer de se reposer mais se laisser prendre par toutes ces choses qui courent dans son esprit et retrouver la bouteille trônant sur la table de la cuisine, la seule à pouvoir étouffer les tourments. Ses intentions sont enrayées par la vision de la démone bulgare, reine de ses propres enfers, la tortionnaire d’un grand nombre de ses sommeils gâchés. Il est épuisé, Rosen, et il se tient là comme un con, à la regarder si vivante, elle détonne dans les ombres de ce tombeau où se succèdent les blessés et les damnés. Il n’a qu’un pas à faire, en arrière, pour amorcer la fuite, nonobstant il reste planté là, à la recherche de souvenirs heureux, de l’éclat d’une époque dépassée, révolue, pas encore mâchée par la colère et les déceptions.

On n'attendait plus cette accalmie, le retour devenu inespéré d'une météo plus clémente, plus apaisée après le chaos. La nature s'était déchaînée, et les théories les plus farfelues allaient bon train au sein de la communauté magique qui se remettait, une fois de plus, sur pied après le déluge. Pour la première fois, depuis de longues semaines, le soleil reprend ses droits et perce à travers les rideaux épais de la chambre et ce manoir tant détesté ne lui paraît pas tant une prison, une cage aux barreaux d'or. L'humeur au beau fixe, elle prend une profonde inspiration avant de quitter l'antre, remettre enfin le nez dehors après une période dépourvue de mission, d'attaques, de calme tellement bienvenu et maintenant que sa cheville a eu plus ou moins le temps de se remettre. Pas encore totalement consolidée, néanmoins. Elle ménage le corps, dont elle prend pleinement conscience qu'il ne lui appartient plus entièrement. Cette pensée est étrange, elle n'avait jamais vraiment songé à ça avant, tandis que les soubresauts causés par les nausées envahissaient les matinées, les fin d'après midi, quelques nuits chahutées.

Il règne une étrange cacophonie dans les couloirs de Ste Mangouste, presque comme une chorale désunie de voix plaintives, mêlée ça et là d'incertitude, d'incompréhension et parfois de quelques poches de soulagement. L'onde de choc des dernières semaines n'est pas encore complètement absorbée et les lourdes intempéries ont laissé leur trace dans les esprits et se trouve encore au coeur des conversations. Elle ne prête aucune attention aux grappes humaines, ça et là, qui attendent nerveusement des nouvelles de leurs frères, maris, soeurs, ou cousins. Plongée dans ses pensées, bulle en dehors du monde, elle repense aux mots qui ont été prononcés dans le secret feutré de ce bureau. Quatorze semaines. Le temps a filé, elle a cette sensation indescriptible de les avoir douloureusement ressenties, mais en même temps, de les avoir à peine vues passer. Tout s'emmêle dans l'esprit, pour une fois étonnamment paisible. la taille d'un citron. C'était la comparaison qu'il avait employée, et ça l'a fait sourire, lorsqu'elle a vu sa morphologie commencer à changer, le ventre commencer à s'arrondir légèrement, mais déjà de façon perceptible. Elle ne songe pas encore au sort de camouflage, pas pour le moment, ça sera bien assez tôt lorsqu'elle sera de retour dans la tranquillité des Cornouailles. Elle ne voit pas la silhouette qui de dessine, les contours usés de l'ancien amant, celui qui a peuplé autant de rêves que de cauchemars. Inévitable collision. - what the.. l'esprit encore dans les nuages, elle ne le fustige même pas, comme hypnotisée par les mots du gynécomage qu'elle vient de consulter. Le regard se pose sur ce visage qui ne s'efface jamais de devant ses yeux, quand bien même elle voudrait.

La bouche sèche, les mains moites, l’cœur qui dérape, bêtement, après tout ce temps, après quelques semaines, après une éternité, après la colère et les éclats et les morceaux de verre comme autant de cristaux d’étoile sur le parquet sombre, traces abandonnées sur son passage d’une violente supernova. Les cieux moqueurs au niveau du sol et Rosen qui se revoit dans son bar dévasté par la magie féroce de son amour perdu à l’incontrôlable vésanie. Rosen qui se tient debout au milieu d’un millier de reflets de lune, seul, tellement seul, les os qui craquent sous le poids des secrets. Lui qui n’y croit plus mais pourtant se délecte d’une minute interdite où les souvenirs des sourires se confondent avec l’horreur des actes et de la guerre qui détonne autant que les éclairs au dehors. L’espoir est mort. Même s’il a dans le fond de la tête une parade de mémoires qui le fait sourire autant qu’elle lui donne l’envie d’chialer, même s’il oublie le monde autour alors qu’il croise ses opales brunes, que tout se tait quand son regard rencontre le sien.

Il lève les yeux au ciel tout en soupirant, fatigué par le hasard et tout ce que ça lui coûte de la confronter. Il perd un peu de lui à chaque rencontre, un peu d’son cœur, un peu d’son âme, elle emporte toujours un bout avec elle. - what the… La mâchoire se crispe et à travers l’épuisement dans les prunelles vitreuses se reflètent la lassitude et l’affliction. Il retire la cigarette qui pendait à ses lèvres. - You seem t’ be in pretty shape to be in a hospital right now. Observe-t-il, ne remarquant rien d’alarmant sur le physique de la poupée des Balkans, toujours aussi régalienne et sublime dans son costume de mépris, rien qui n’explique sa présence entre les murs de Sainte Mangouste. Au fond, il n’a aucune envie de savoir, aucun désir d’entretenir une autre conversation toute prête à l’bouffer, il ne pense qu’à la bouteille et l’oubli, à l’engourdissement qui accompagne l’ivresse, des sens et du corps, à la liberté, à quelques minutes de paix. - Came to make sure one of yer victims' not waking up ? Ne peut-il s’empêcher de piquer, le sarcasme toujours impatient de se défaire de sa gorge.

Il passe une main ennuyée sur son visage, essaie de calmer l’instinct belliqueux, de se concentrer sur sa propre préservation, pour une fois, ne pas chercher l’affrontement, pas aujourd’hui, pas dans son état, elle ne ferait qu’une bouchée de lui. - You know what ? I’m in no mood t’ fight. Il secoue la tête d’un geste faible, commençant à faire quelques pas en arrière, décidé à s’échapper de ce guet-apens tendu par un destin sournois.

Spoiler:

Elle revoit la dernière confrontation, les mots qui blessent et les éclats de verre jonchant le sol. Tout est encore là, bien présent dans la mémoire, l'esprit capricieux qui ne retient que selon ses propres règles. never come back. Litanie incessante dans les limbes de la psyché déjà vacillante, qui taraude, qui ne passe jamais vraiment totalement au second plan. Ces braises là ne meurent jamais, celles de ce qu'on se crache au visage quand il n'y a plus rien d'autre, quand c'est la seule façon de ressentir une vague intimité. Placebo bien maigre. Il n'y avait plus eu que le vide ensuite, un précipice terrifiant au bord duquel elle se tenait, poupée désarticulée, ne sachant pas dans quelle direction aller; se laisser emporter, chute sans fin, ou bien continuer de se maintenir, un pied devant l'autre, un pas après l'autre. Vidée de tout ce qui la raccrochait à son humanité, drainée de toute énergie, elle s'était enfermée dans la seule pièce à peu près vivable de ce manoir trop grand et trop froid, les genoux ramenés contre la poitrine, et s'était laissée bercer par le bruissement du vent au dehors, les larmes silencieuses coulant librement le long des joues nacrées.

La hasard ne les lâche pas, il ne se lasse pas de se jouer d'eux, ses marionnettes maudites, dont les fils ne cessent de s'emmêler, blague cruelle des amants désunis. Elle pose un regard sur la silhouette adorée, les contours qu'elle connait encore par coeur, l'odeur imprégnée de ce cuir vieilli qu'il traîne partout où il va, presque une seconde peau. Elle sourirait presque, l'enfant des confins européens, fille de la brume. - you seem t'be in pretty shape to be in a hospital right now. Le ton rempli de lassitude, c'est à peine si elle le perçoit, encore trop pénétrée de la conversation qu'elle vient d'avoir. - Didn't realize you had to be on the brink of death to come see a doctor. Taquin, d'une légèreté presque malvenue, et le sourire a quelque chose d'insolent.

La réplique est là, toute prête à être envoyée, mais finalement, elle se ravise. Cette bulle de bonne humeur, même la suspicion latente qui perce dans l'air ne parvient encore à faire éclater. Haussement d'épaules, pour toute réponse, le sourire ne s'évanouit pas, il éclaire ce visage d'une nouvelle lueur. - but you're right.. i've been lucky. we both have, my little mistake and me. Pas de sournoiserie, juste un ton badin, comme dans ce passé qui n'existe plus mais qui ne s'efface pas tout à fait, tenace dans la mémoire, qui a laissé une empreinte indélébile au fond du coeur. Elle joue avec les mots, lui rappelle ses propres paroles, un peu nerveuse quand même. Et s'il lisait entre les lignes? Elle fait le pari un peu sans y croire, espérant même, étrangement, sans vraiment savoir pour quelle obscure raison, qu'il ne fasse pas la déduction.

Il ne voit rien, Rosen, parce qu’il ne veut pas, parce qu’il ne peut pas, il refuse de faire face à l’évidence, épuisé par les emmerdes et les coups bas d’un destin fracassé par les déceptions. Il n’en peut plus, de tous ces affronts, de toutes ces claques. Il est pareil à tout ce verre brisé, éclaté en particules d’étoile, le coeur rompu par les efforts et les combats. Il n’a pas l’palpitant des vainqueurs, il n’a plus l’espoir de son enfance et l’émerveillement s’est effacé pour faire face à la douleur, constante, de tous ces choses qui s’écroulent et toutes les éclaboussures, de sang et de fange, entre la pluie et l’orage, aucune éclaircie en dedans comme en dehors, maudit, les entrailles dévorées par l’abandon. Il n’a plus que sa foi pour se raccrocher, plus que l’alcool qui noie les démons avant de mieux les abreuver. Il est fatigué, le soldat, éreinté de croire en l’impossible. Il ne supporte plus les corps qui s’entassent et les victimes qu’il ne peut pas aider, pas comme ça, pas dans cet état là, il n’est pas capable d’aimer assez fort, de sauver ceux qui un jour l’ont sauvé, à leur façon

Tous les deux face à face, il la regarde sans la voir, aveugle, aveuglé, des yeux et du coeur, il ne veut pas crier, il ne veut pas se battre, il se remémore le temps d’avant où ils se plaisaient dans le mensonge et les faux espoirs, conscients que leur histoire était vouée à l’échec mais toujours avare de chaque instant et parfois assez stupides pour croire qu’eux deux, ça aurait pu être autre chose qu’un rêve. Il s’arrête dans son élan, Rosen, une grimace au bord de ses lèvres blessées par les mots et les coups, des cieux, d’la vie, d’un peu de tout. - but you're right.. i've been lucky. we both have, my little mistake and me. Jeu des paroles miroirs à la colère et la tête de Rosen qui s’enfonce toujours un peu plus dans le sable. Rouages fatigués qui s'enrayent plutôt que de rassembler les pièces d’une révélation posée là, à demi-mots.  

Il ne voit rien, Rosen, parce qu’il ne veut pas, parce qu’il ne peut pas. Il ignore les subtilités qui se cachent entre les mots, ravage l’entre deux lignes d’un geste nerveux, la main valide passe sur le visage las, chasse les mèches brunes sur le haut de son crâne. Les yeux se posent sur le ventre arrondi, il comprend ce qu’il veut, l’esprit embrumé s’abrite tant qu’il peut, esquive la révélation dissimulée. - Finally found a way to keep the oh so pure Karkaroff blood going for another generation I see. Comme si prétendre le contraire pouvait repousser l’inévitable, comme si les faussetés prononcées à haute voix pouvaient remplacer les vérités qui s’assemblent à l’arrière de sa caboche. - Good luck to the poor bastard that’s got to deal with that. L'amertume roule dans la gorge, il sait, au fond il sait, mais feindre l'ignorance est salvateur, encore un peu, même rien qu'un peu, quelques minutes, une éternité. That's all there is to say, right ? Mevlana, please, let me walk away, let me out of this, leave me not knowing.

Elle en a voulu à la terre entière, d'avoir distribué les cartes de façon aussi saugrenue, aussi idiote. Elle aurait pu être d'une de ces familles qui ne se soucie pas du carmin, qui donne de la chaleur au lieu de se contenter d'entraîner, sculpter ses jeunes générations comme l'artisan façonne ses objets dans la glaise ou l'argile. Tout aurait sûrement été si différent, peut-être même plus simple. Mais le hasard en avait décidé autrement, main cruelle qui jette les âmes antagonistes en présence, entremêlant les battements de deux coeurs que tout était là pour opposer, qui n'auraient jamais pu battre de concert, quand bien même les idéaux et les espoirs fous s'y étaient accrochés. Ils avaient tellement voulu y croire, qu'ils s'étaient abîmés, dans des hypothèses folles, rêves d'évasion qui finissaient toujours par s'échouer au petit matin, sur les rivages d'une réalité glaciale. Ils s'étaient accrochés à l'espoir, que peut-être une porte de sortie finirait par se dessiner magiquement devant eux, leur offrant le refuge dont ils avaient tous les deux tant besoin. Mais ça n'avait été qu'une déception de plus, une désillusion supplémentaire.

Dans les prunelles désabusées, désertées par cet éclat aux reflets d'émeraude, il y a les décombres d'un passé, les lambeaux de rêves adolescents. Il y a aussi la lassitude, d'un combat qui les dépasse tous les deux, qui les broie sans aucune pitié. Elle avait l'habitude de se retrouver, enfin entière, dans ce regard rieur et un peu enfantin. Mais cette flamme aussi, a bien trop vacillé et n'est plus qu'un lointain souvenir, réminiscence à la lisière du mirage.

Des mots qui s'enlisent dans un déni salvateur, seul rempart encore debout, qui préserve l'esprit des assauts d'un passé qui meurt, d'un présent qui se délite et se décompose. L'avenir. Existe-t-il encore? Vaut-il la peine qu'on se batte encore pour lui, qu'on s'y écorche encore les mains, le coeur. Hier encore, la réponse était loin d'être acquise, et pourtant, aujourd'hui, cette certitude, celle d'avoir enfin fait quelque chose de bien, personne ne pourra la lui retirer. Elle rirait presque, si la remarque n'était pas si singulièrement répugnante - Eww.. really? Come on, you're not that dumb... are you?

Le chapelet craque entre ses doigts crispés. Il est immobile, Rosen, mais en dedans c’est un combat, entre son cœur et son corps, pour ne pas céder, pour ne pas flancher, pour trouver un chemin hors de la nuit. Les grains se tordent et se fissurent, abîmant la paume blanchie sous la force de la crainte et de l’incrédulité. Les souvenirs se bousculent, l’amour oublié, l’amour qu’ils auraient dû abandonner, quand ils étaient gosses, quand il était encore temps de ne pas s’flinguer, eux et leurs futurs. Les murs de l’hôpital se métamorphosent en secrets, tous ces corridors où ils se sont aimés à l’abri des regards, à la lueur de quelque lanterne, comme ce matin-là, celui de la dernière rentrée de Mevlana. Comme une aube sur la fin de leur histoire.

- I knew it was coming. I always did, it doesn't break my heart any less. Murmure-t-il à son oreille alors qu’il la tient dans ses bras, couvrant son cou de baisers, le palpitant embrumé par l’inévitable, le sourire aux lèvres malgré tout, heureux, tellement heureux, de la revoir après un été dans les ombres de sa rue. - Everything dies. Love dies too. With a bit of luck ours will only last til the end of the year. Son âme dans la sienne, les regards qui se perdent et se confondent, bouche contre bouche sans vraiment se toucher, s’inspirer l’un l’autre pour mieux se mêler, souffle de vie contre ce chien de destin qui ne s’affaire qu’à les séparer. - It may just save our souls.

Les grains résonnent sur le sol comme autant de morceaux de verre éclatés et d’espoirs fracassés, le réceptacle de ses prières s’est brisé contre le ciment, d’un geste d’un seul, un coup de sang. Il voudrait hurler, s’en prendre à ce dieu qui ne l’écoute jamais, le maudire, le doigt levé vers les cieux, crier à s’faire mal, à s’arracher la voix et les poumons. Il est reste immobile pourtant, il a peur d’ouvrir les yeux, il a peur de les fermer, il ne sait plus quoi faire, il ne sait pas qu’en faire, de cette nouvelle réalité, de toutes les farces qui l’étranglent et du spectre qui flotte dans ses veines exsangues. Il peine à respirer, alors que la révélation prend toute son ampleur et dévale dans tous les recoins d’sa tête comme un poison. - Why the fuck didn’t you get rid of it… lâche-t-il, venimeux, perfide comme un serpent, dégoûté et blasé à la fois, le désespoir tordu en travers de la gorge. - This is gonna be the end of us. C’est qu’il rirait presque, Rosen, de ce rire dérisoire qui accompagne ceux qui ne croient plus en rien. - Your fucking brother is gonna find out and kill us both.

A quoi s'était-elle attendue? Pauvre folle.. les espoirs chimériques, envolés comme de vulgaires feuilles battues au vent d'automne. Il n'y avait rien à espérer, plus rien à sauver de cette histoire écrite dans le sable. Ce passé est mort, tombé au champ des manigances froides de deux clans, avides de préserver la pureté du carmin. Passé écrasé, foulé aux pieds de ceux qui traitent les coeurs comme des marchandises, monnaie d'échange pour quelques secrets, un peu plus d'influence. Le point final aurait dû être posé, cette année là, alors qu'elle faisait sa dernière rentrée entre les murs millénaire de la bâtisse, reine des highlands. Compte à rebours lancé, imperturbable et impitoyable, méprisant les deux coeurs au bord du gouffre, précipice duquel la chute serait sévère, mortelle. Derniers rendez-vous à la sauvette, dans le secret des couloirs déserts, salles de classes désaffectées qui avaient recueilli les derniers émois.

Le présent.
Arrêt sur image.
Les deux silhouettes comme taillées dans le marbre, glacées. Ils se font face, dans la cohue de ce corridor, toute prudence jetée aux loups, ils peinent à retrouver, enterré, la candeur des adolescents qu'ils ont été, et ça semble si loin, quelques vies qui se sont écoulées depuis ce temps là, l'innocence grignotée par un destin qui s'ingénue à piétiner les rêves de deux gosses plongés malgré eux dans les profondeurs abyssales de deux camps qui se détruisent mutuellement.

Ricanement. pour ne pas laisser paraître l'émotion qui étreint le coeur, douloureusement. Fracas terrible en dedans, tornade qui arrache tout sur son passage. - go to hell. forget everything i said. morsure. le ton le plus froid dont elle est capable, le regard malgré tout qui en dit long sur la déception. - we don't need you anyway. Lâche-t-elle, avant de le laisser en plan avec ses pensées, ses scénario catastrophe qu'elle n'est pas prête à laisser assombrir son ciel. Elle disparait dans la foule, le pas vif, sans regarder en arrière, contenant la colère et la tristesse qui menacent de craqueler le masque.