Retour hypocrite à une réalité douloureuse, après la défaite et le chaos, humiliation face à l’horreur, rage au ventre, violente déception exprimée sur les phalanges meurtries, plaies béantes qu’il laisse délibérément à vif, suintantes, écoeurement à fleur de peau, punition morbide pour l’inanité. Cuir qui pue encore la mort et la débâcle, la veste abandonnée sur un coin du comptoir est tachée de pourpre, indélébile, mémoire ancrée dans les fibres et sous l’épiderme. Les paupières lorsqu’elles se ferment sont hantées, violentées, il ne voit plus qu’une prairie jonchée de cadavres. L’échec lui reste en travers de la gorge, sa propre arrogance esquintée par ces autres vêtus de noir. Il refuse d’accepter la véracité des événements, de la monstruosité exposée aux yeux d’un monde épouvanté, sa propre foi secouée par l’atrocité du genre humain, la croix autour de son cou est lourde à porter, croyance érodée par tout ce sang maintenant dévoré par la terre repue de cet ignoble lot de sacrifices. Et pourquoi ? Pour rien, pour la vanité de ces quelques uns qui se pensent au dessus des autres, éternel recommencement d’une Histoire qui ne se fatigue jamais des mêmes scénarios. Il se verse un verre d’une ambre inhabituelle - malt écossais, craig, trente ans d’âge, le favori de Ruben -  How can we go back to the way we were when so much bad had happened ? Avait-t-il demandé à l’ami passé si dangereusement près d’une danse sinistre avec la faucheuse.

Les lumières sont toujours tamisées, il y a un air de rock qui résonne encore depuis l’une des enceintes du fond de la pièce, il n’y prête pas attention, il vient de chasser les derniers soulards dans l’obscurité du dehors, dans la nuit fraîche du centre londonien, vague normalité dans le climat actuel, répétition, un soir après l’autre, existence à laquelle il se raccroche pour ne pas perdre espoir. Quotidien qui sauve de l’insanité, qui l’empêche de broyer du noir au point de tomber dans l’abîme. Les sourires enivrés des habitués, conversations sans queue ni tête mais chargées de la simplicité qui accompagne l’ivresse, des émotions crues et des exclamations sur fond d’un tourne-disque qui déraille parfois, imperfection qui ajoute au charme de ce bar devenu sa fierté, son chez-lui malgré les dettes et les conflits. Les gestes animés par la force de l’habitude, il range les bouteilles sur les étagères, inventaire conduit machinalement, qui l’occupe, à défaut de pouvoir trouver le sommeil. Dos tourné à l’entrée, il ne remarque pas les ombres qui passent, la présence jadis si familière, amour de jeunesse transformé en cauchemar, toutes ses craintes rassemblées dans la carcasse magnifique d’une grande brune au regard de miel. Ignorance bénite dont il profite encore un peu, sans le savoir, avant l’assaut de la colère et de la déraison. - We’re closed. Lance-t-il en entendant la porte se refermer, n'accordant pas même un regard à l'importun.

Soupirs. Le coeur qui bondit. Sueurs glaciales, quasiment aucun répit. Il fait froid. Manoir bien trop vaste, lugubre. Lieu exécré, entouré de grisaille. Cornouailles ou l’Angleterre profonde. Flammes dansantes dans l’âtre. Maigre réconfort. Un îlot dans la solitude et l’angoisse latente, celle qui est toujours en filigrane, compagnes étrangement les plus constantes.
Les vêtements fichus, jetés dans un coin de la pièce; étoffe qui pue la fumée et le chaos de ce festival qui a tourné, pour ses spectateurs, au drame. Semeuse de chaos et de mort, une cause qui n’a jamais débouché que sur la pire des sauvageries, mais clabaudée à outrance, depuis aussi longtemps que la mémoire trouble s’en souvienne, étendard porté par les zélateurs, mâles et maîtres de la lignée, oblativité comme un juron, une terre inconnue; les intérêts seuls, dictant les moindres actes et allégeances. Rien pour la noblesse du geste, notion écornée, oubliée entre les pages de manuels qui n’ont plus été ouverts depuis sans doute quelques décennies, une imposture.
L’esprit a beau être embrumé, l’instinct féminin a vite compris, entre deux hauts le coeur. Elle n’a aucune confiance dans les potions qu’il garde dans la réserve, âme dont elle soupçonne à peine la noirceur sous le masque fraternel. You’ve got to be kidding me.. Le vilipende-t-elle mentalement.

Silhouette fuligineuse dans la nuit, sous le voile obscure des rues de la capitale où elle vient de transplaner, l’estomac qui gronde encore, et l’acide qui remonte dans la trachée. Elle ralentit le pas, persuadée d’être suivie. A l’angle de deux rues, non loin du dôme blanc, elle transplane encore. Vacillante. L’établissement n’est plus qu’à quelques pas, et le coeur cogne dans la poitrine, manifestation inconsciente de ce qui n’est plus, ce qui ne doit plus être, pour leur bien à tous les deux. Elle s’était évaporée, laissant le plus de distance possible s’immiscer entre elle et le bélître chéri, les souvenirs pour seul talisman. Il y avait eu Bolkonsky, le pleutre, mais qui avait eu son utilité aux yeux de l’aîné, et ces quelques années passées là bas, sur les terres ancestrales, abandonnées encore une fois à la mort de l’idiot d’époux. - we’re closed. Seuil à peine franchi, l’affabilité bien connue, la voix qui n’avait jamais été oubliée, pas plus que les prunelles océan, pleines de cette drôle de malice et de filouterie enjôleuse. - perfect, we won’t be disturbed then. Elle n’a aucune idée, diablesse à l’accent roulant, de l’orage qui se profile, c’est à peine si, emmêlée dans les pensées désordonnées qui dansent dans sa tête, elle distingue la voix qui lance des éclairs.

Souvenirs cruels d’une histoire d’autrefois, amour clandestin vécu dans les recoins secrets, la déesse et le bélître qui s’étreignent malgré les différences qui font mal, encore assez jeunes pour prétendre qu’ils peuvent s’aimer malgré l’impureté de son sang, à lui, et la cruauté régalienne venue de l’est. Souvenirs balayés par la réalité qui les emprisonne. Rêves fracassés par le déshonneur. Amours oubliés au nom de rien. Au nom d’une guerre infâme. Marque fuligineuse qui les séparent. Convictions opposées des anciens amants. Zélateurs de leurs propres causes. Âmes condamnées à s’affronter. Coeurs brisés par la déraison. Sentiments souillés, corrompus. Ecorchés vifs par l’ironie barbare. Les jeunes sorciers qu’ils étaient désormais forcés de se vilipender pour mieux se détruire, parce qu’il ne reste que ça, comment peuvent-ils revenir à l’innocence, à ces rires étouffés pour ne pas se faire surprendre, au temps d’avant, quand la seule épée au dessus de leurs têtes n’était que la métaphore de leurs cruors divergents et des préjugés.

- Perfect, we won’t be disturded then. Fureur qui se répand comme un brasier dans les veines alcoolisées alors qu’il reconnaît le ton papelard, doucereux, empreint de cette malice qui roule sur l’accent de miel. - You son of bitch ! S’exclame-t-il avant même de se retourner pour lui faire face, mots calqués sur l’exclamation des dipsomanes qu’il chasse d’habitude à l’heure de la fermeture. Les lippes sont déjà tremblantes de rage, les images du massacre sont trop vivaces, les cris et les sortilèges résonnent dans chaque bruit, chaque murmure, même dans le silence, la bataille n’est plus qu’une cacophonique glossolalie. Traumatisme ancré dans la chair que même l'anamnèse dominicale ne peut soulager. Piété malmenée par l’horreur, oblativité immolée dans la prairie ensanglantée. Ses prières devenues logomachies auxquelles il tente de croire malgré l’indifférence du divin. Il fait volte-face. - Get out ! qu’il clabaude, bouillant de colère. - You were there, weren’t you ? Doigt accusateur pointé vers la beauté bulgare, splendide même dans sa monstruosité. Rhétorique corrosive, porteuse de la déception et des ailes brisées en plein vol. - I swear I am going to poltergeist your ass six ways from sunday if you don’t leave now. Céruléennes délatrices, la tendresse qui s’y trouvait jadis désormais empoisonnée par l’écoeurement et l’hostilité. - Get. Out ! Before I do something we’ll both regret. Presque une supplique au-delà des brutalités.

Dans la pénombre, il y a ces deux silhouettes, dessinées au fusain sur cette toile beaucoup trop lugubre, déchirée, d’un amour qui semble avoir déjà rendu son dernier soupir. Il ne reste plus désormais que les lambeaux d’une vie réduite à l’état de songe, presque d’hallucination: un temps où les palpitations de coeurs innocents, suffisaient à couvrir le vacarme sinistre de convictions diamétralement opposées. Chimères, souvenirs difficilement tangibles et pourtant qui restent là, ancrés dans la poitrine, sous la glace et qui enflamme une mèche déjà passablement imbibée, probablement de malt. Elle n’a pas besoin de discerner ses traits pour deviner le bouillonnement interne, dans ces petits mots si brefs prononcés à lors même qu’il ignorait l’identité. Ça lui avait plu, jadis, cette verve, cette véhémence dans les émotions, un éventail si étendu. Elle avait écouté mille fois, les diatribes féroces, jalousé aussi, cette capacité à porter les causes des autres, sans y avoir un quelconque intérêt, sans qu’elles ne soient siennes pour dix noises pour peu qu’elles lui semblent justes. - Get out! Injonction sifflée à travers les dents, menaçant, sur le point d’exploser, le courroux terrible qui vrombit en dedans. - You were there, weren’t you? L’accusation purement rhétorique; il sait pertinemment ce qui marque l’épiderme de perle, l’avant-bras qui porte la mort et la terreur.

L’index qui vient en renfort de ce dégoût à peine masqué, lorsqu’il daigne enfin lui faire face. Les yeux qui sont habités de tous les démons, d’un feu encore pire que le feudeymon, tout aussi incontrôlable. Un ricanement pour toute réponse, soupir de lassitude parce que la destruction et la provocation ont toujours fait partie du tableau, une constante dans cet amour à double tranchant et qu’ils pratiquaient avec talent - Really? Again? Pas un mouvement, le recul ne traverse même pas l’esprit qui recouvre une lucidité capricieuse. - Please...We both know you won’t.. Whatever it was you were trying to threaten me with. Moqueuse, insolence qui suinte, venin comme arme de prédilection, pour se donner contenance, pour ne pas perdre pied. - If anything, you should be disgusted by yourself. You and your moral high grounds, sleeping with the enemy. Mordante, attaque pour seule et meilleure forme de défense. Elle ne sait plus, Mevlana, si elle doit toujours abattre ses cartes, annoncer la raison de sa venue. La sensation d’avoir quelqu’un sur les talon était-elle même réelle? Elle semblait bien palpable.
Injonction encore une fois répétée, presque la supplique qui se cache derrière la haine. - Or what? Uh? Flamme qui danse dans le regard d’ébène, ire contagieuse, le feu qui prend, dévore tout ce qu’il touche, tout ce qui se trouve à proximité, trop près pour être épargné. Ils sont tous les deux au bord de ce précipice, situation à laquelle ils reviennent inlassablement, la seule qu’ils connaissent.

Vipère au sang violent contre l’aigle prédateur, bataille perdue d’avance, parce que l’homme est imparfait mais il ne peut pas se laver les mains dans le sang de la belle au coeur de pierre. Elle le connaît, l’assassine, malgré les années fanées, elle connaît les arcanes de cet organe raboteux qui déraille au creux de sa poitrine. Rosen, dans toute sa colère et ses menaces, n’est rien de plus qu’un homme qui se débat avec la fatalité. - Please...We both know you won’t. Elle se rit de sa défiance, lui qui bouillonne, révolté par l’audace et l’effroi. - You killed innocent people. People that have nothing to do with this fight. Voix qui se brise, gangrénée par l’effroi et l’amour profane. - Who do you all think you are ? Dealing out death in judgement… C'est marqué dans ses yeux, la rancoeur, le mépris, elle n'est pas seule à connaître les subtilités de ce jeu cruel. Ricanement mesquin, étendard vert et argent sur les épaules chargées d’espièglerie malsaine, qui use des mots qui blessent, aiguisés. Il ne s’embarrasse pas de détours ou de discours alambiqués, il vise droit au coeur, Rosen. Les paroles crues de sa carcasse cacochyme, abîmée par les songes et les mémoires sanguinolentes, n’ont qu’un seul but, écorcher l’âme, à défaut de tordre le corps félin. - Why am I even asking you ? You’re still nothing but their puppet aren’t you. Craché avec dégoût, il la regarde de haut, l’endeuillé, et ne trouve refuge que dans l’offensive.

Alors peut-être qu’on se battra
Peut-être même qu’on s’oubliera,
Qu’avec le temps va tout s’en va,
Que de cette guérilla il ne restera que le trépas,
Et après les pugilats, tous les assassinats,
Il n’y aura plus que les renégats,
Et toi, Mevlana, jusqu’à ce que sonne le glas.

- If anything, you should be disgusted by yourself. You and your moral high grounds, sleeping with the enemy. Flashbacks de l'hérésie charnelle, de leurs lèvres carnassières, se faire l’amour plutôt que se faire la guerre, encore un peu, encore une nuit, un blasphème face à toutes ses croyances mais le besoin, viscéral, qu’elle lui appartienne, une dernière fois. - So what if I fucked you? That was goodbye,  Mevlana, and one big bloody mistake if you ask me. Parce qu’il avait voulu y croire, le temps de quelques heures, parenthèse sacrée dans le jardin des chimères partagées, dans ces instants volés aux étoiles, prétendre de s’aimer comme avant, comme si le temps ne les avait pas dévorés, usés, bringuebalés, tout ça pour les jeter sur le grand échiquier des belligérances, l’une reine meurtrière, l’autre pion, chair à canon. Or what ? Distance saccagée par l’impatience, débarrassé du comptoir encombrant, à peine à quelques pas, la baguette au poing. Il suffirait d’un rien, de tendre la magie vers l’amante, qu’importe si son pouvoir le surpasse, qu’elle maîtrise les ténèbres et les interdits, il a la rage au ventre, Rosen et le poids des déceptions qui lui courbe le dos. - I will not say it again. Leave.

Images floues, les silhouettes dansantes dans la pénombre, la rage au fond des prunelles, la flamme qui vacille, tangue dangereusement, malmenée par les années de séparation, les chemins qui ont bifurqué. Les carcasses ploient, la misère et la mort comme fardeau, comme la source qui s’assèche et meurt. Les coeurs se débattent, les mots, pétris de rancoeur et de mépris, seul refuge d’un désespoir trop profond, qui referme sa main décharnée et putride sur les pions qu’ils sont, pantins désarticulés sur une scène qu’ils ne voient pas, les ficelles dans le dos, tirées respectivement par deux forces antagonistes. - You killed innocent people. People that have nothing to do with fight. La grandeur d’âme empruntée, parce qu’elle apaise la conscience. - In case you didn’t know, wars make collateral damage. These people happened to be at the wrong place at the wrong time. Détachement presque inhumain, parce que c’est la seule défense face au regard inique, accusateur de celui qui s’était faufilé sous le masque, qui avait vu sous la glace. - Fine, you think i’m the monster here, then so be it. Lueur dangereuse dans le regard, prunelles flamboyantes, désertées de toute trace d’humanité sous l’attaque jetée avec amertume et dégoût - You're still nothing but their puppet. En plein coeur. Il sait les failles, et surtout comment les exploiter, la maison des vipère où il a bien plus sa place qu’il n’y paraît. L’oeil brille, le coup est presque fatal, l’équilibre est précaire, les deux pieds bien ancrés dans le sol, mais pourtant à deux pas du précipice - Screw you.

Frémissante de rage, en plein orage, foudre qui danse dans les yeux et qui résonne jusqu’aux tréfonds de l’âme. Il plonge la lame encore plus loin, le coeur agonisant. - So what if I fucked you? That was goodbye Mevlana, and one big bloody mistake if you ask me. La terreur est là, qui rôde, celle qui avance masquée, sous le costume de la haine, parce que l’amour ne fait pas partie de son vocabulaire. Rejet. La plus redoutable des armes, celle que seules ses mains peuvent manier avec tant d’efficacité. La baguette tendue, menaçante, quelques pas qui gomment la distance. - Mistakes can be corrected… intonation sifflante, les mots à double tranchant, le regard glacial, le masque qui se reforme. - Although, you seemed to have enjoyed it a lot, that mistake. Rire sardonique qui accompagne les propos. L’optique de faire du mal, si ce n’est à la chair, au moins à l’égo, la seule issue qui reste. - It was never that good anyway. Postée là. Défiance, - A tiny little distraction, at best. Hostilités qui n’ont pour champ de bataille que les idylles chimériques, les battements qui deviennent beaucoup trop dissonants.

Dommages collatéraux. Le terme lui fout un coup au coeur, l’horreur persiflée sur les lèvres rosées n’est que décuplée par la porteuse du message, elle qui balaie les actes affreux d’un ton hautain, presque royal. Vies basculées, sacrifiées, pour l’idéologie ces quelques uns qui se battent pour une pureté déjà corrompue par l’inhumanité. Bestialité de ceux qui se pensent mieux que les autres, monstres d’arrogance et de couardise. Nauséeux, Rosen détourne le regard, le temps d’encaisser le choc, de se recomposer pour ne plus penser aux cauchemars. La belle tant aimée est déshumanisée, il ne voit que la forme, les ombres, il reconnaît la voix, les intonations, mais l’âme est saccagée, manipulée jusqu’à sa destruction. On n’en revient pas, de ce genre d’horreur, même s’il voudrait y croire, comme est-ce que l’on se lave de tant de pourpre ?

Il la sait esclave de l’aura fraternelle, pantin désarticulé qui se courbe sous les exigences du clan Karkaroff, son insanité comme arme entre les mains des hommes de la famille. Sujet sensible pour l’héritière, Rosen jette du sel sur la blessure à jamais béante, il égratigne la fierté mal placée du bout des ongles voraces. Si elle se fout de ses menaces alors il passe à l’offensive, d’abord du bout de la langue, qui claque, vicieuse, insidieuse, qui connaît les mots qui fâchent. Duel au sommet dans l’antre tamisée du serpent, deux ombres entraînées dans la tempête des rancoeurs et des reproches, relation éclatée, retrouvée, morceaux d’un amour oublié, cassé, les coeurs ne battent plus à l'unisson, ils se sont épuisés l’un l’autre à force de ne pas se comprendre, de ne pouvoir s’accorder.  - It was never that good anyway (...) A tiny little distraction, at best. Rire qui roule dans la gorge, puissant, qui résonne dans l’espace autour d’eux, moquerie éhontée, le sang-mêlé ne se laisse pas prendre si facilement par la verve de la bulgare.

La voix est mordante et malgré la conviction, malgré l’envie de faire mal, il sait qu’elle est loin, ô si loin, de la vérité. Il fait quelques pas en sa direction, suffisance scintillante dans le regard cobalt. Il glisse sa baguette dans la poche arrière de son pantalon. - Not that good huh ? Proximité malsaine entre les anciens amants, électricité qui brasille des forces en présence, le feu et la glace qui s’affrontent, s’entremêlent, réaction des éléments qui s’entrechoquent, violence sans nom dans les opales qui se soutiennent et la main qui se pose sur le cou ivoire, menaçante. - So what the fuck are you even doing here if not to ask for more ? Lèvre retroussée tel l’animal sur le point de mordre, les doigts se resserrent, marquent la porcelaine. L’instinct du criminel, de l’enfant élevé dans les rues moldues de Small Heath où règnent la brutalité et les affrontements physiques, reprend le dessus sur celui du magicien, l’attaque comme meilleure défense. - What do you want ? Chaque mot comme un coup de marteau, cloué dans la tension ambiante.

La magie suinte, sous l’effet de cette colère dévastatrice, l’attaque la plus cruelle dans la bouche de celui qui avait fait battre le coeur. Les éclairs dans le regard, l’éclat du verre derrière eux, sur les étagères, la destruction qui se manifeste au dehors, écho du brasier intérieur, qui dévore les entrailles. Les débris retombent au sol dans un tintement tout sauf gracieux, plusieurs centaines de gallions probablement, envolés, coup porté à ce qu’il y avait de plus précieux, la fierté de l’empreinte laissée dans un monde qui ne lui avait pas fait de cadeaux, lui né d’une famille dénuée de toute once de pouvoirs. Il sait cette faiblesse, les ficelles dans le dos de la poupée de chiffon, tirées par la figure du frère, et il n’hésite pas à jeter de l’huile sur ce feu, incendie inextinguible aux tréfonds d’une âme chancelante. Face à face teinté de destruction, de cette envie de réduire l’autre au néant, niant jusqu’à ces moments volés à deux destins qui n’étaient pas faits pour s’entremêler. Une brutalité qui a toujours été dormante entre eux, endormie, enfouie, mais qui refait surface, plus virulente que jamais, si bien qu’il devient difficile de retrouver comment les coeurs ont pu résonner en harmonie, sous le voile nocturne, dans le secret. Etait-ce seulement réel?

Proximité dangereuse, bien loin des folles agapes, des ébats insouciants d’un temps evanescent, un rêve tout au plus, dont on n’a qu’une trace incertaine au petit matin. Les iris incandescents, la haine qui a succédé à l’amour, prisonnier de leurs mémoires. La baguette a regagné l’étui de fortune, poche arrière du jean, usé, tissu qui s’élime. L’emprise est plus physique, la morsure du chien enragé, si près, retenue avec peine. - So what the fuck are you even doing here if not ask for more? La gorge enserrée par les mains expertes, celles qui avaient dessiné les reliefs du corps, qui connaissaient chaque parcelle de cette peau nacrée, soyeuse tentatrice. Rire sardonique. Dément, presque. Celui qui est totalement dépourvu d’amusement, qui ne sert qu’à user les nerfs, la moquerie comme une arme. - more? I think the only one asking for more, is you.. Sous les mots persifleurs, malgré tout, subsiste le miel dans le fond du coeur, caché sous la glace de ce regard assassin. - What do you want? Les mots qui claquent, la tension qui est à son comble. Trouver un prétexte. Le regard qui vient accrocher celui opalin, brillant de ce tourment indicible. - I don’t want anything from you. Because i already have it.. La moitié d’une réponse. Énigmatique. Les mots qui jouent, se fraient un chemin jusqu’au coeur, venin qui ne dit pas son nom. - only a warning... Et puis le soubresaut, irrépressible, comme chaque matin depuis des semaines. L’amertume au fond de la gorge, nausée qui vient faire diversion.

Tempête de verres brisés, tonnerre assourdissant dans le bar victime de la rage aveugle de la beauté bulgare. Rictus qui se dessine au bord des lippes cruelles, Rosen a visé juste, dans le creux de l’âme, dans la plaie à vif qui compose ses entrailles, sa prise sur sa gorge n’est rien comparée à la poigne qui enserre les stigmates en dedans. La violence est verbale, incisive, elle pénètre avec force dans les souvenirs et extirpe de la mémoire les secrets qu’elle noie sous les nerfs et l’insanité. Qu’elle détruise, qu’elle déforme le travail d’une vie si ça lui chante, lui est trop satisfait des coups qu’il inflige car ils sont permanents alors il se fout des dommages matériels, il veut qu’elle explose, qu’elle se brise, il n’y a que la perte de ce qui lui reste de plus précieux pour étancher sa rancœur, les certitudes bancales d’une éducation calculée, dénuée d’amour et de ce sentiment tout particulier qui créé cette impression d’avoir un chez-soi, des êtres vers lesquelles se retourner. Alors peut-être que la famille de Rosen est en lambeaux, qu’ils s’aiment à demi-mots, qu’il n’est qu’une abomination aux yeux du père mais il sait qu’il est dans l’cœur de ses frères, qu’il est adoré par sa mère, que son sang est là pour amortir la chute. Il a sa foi, en son Dieu et en son combat. Qu’a-t-elle, Mevlana ? Rien de tout ça, et il resserre ses doigts voraces autour des émotions capricieuses.

Intimité nouvelle, si loin des ébats et des souffles rendus courts de s’être fait l’amour, encore et encore, jusqu’à l’épuisement, de crainte qu’on les enlève l’un à l’autre, assoiffés de se découvrir, de s’abreuver d’un bonheur éphémère, à s’en abrutir, les sens épuisés de se savourer, de se goûter, de se dévorer, les cœurs usés trop vite, trop tôt, gamins inconscients du monde autour, précipitation des amours avant la fin, avant la vie hors des murs du château.  - only a warning… Brasier dans les billes azurées qui danse entre l’incompréhension et l’impatience. – What’s left that’s worth warning me about ? Mots qu’il crache entre ses dents, The massacre ? Chaque intonation, chaque parole comme une arme,  Your psycho of a brother ? Flammes qui lèchent les démons persifleurs, ravagent son discours, Or that you’ve become everything I feared you might become ? Essence jetée sur l’incendie, brûlure de la langue acérée et du bout des lèvres la sentence, the worst two little words in the english language – Too late. Peut-être que certaines choses ne valent pas qu’on se batte pour elles, parce qu’il n’en reste rien, rien que l’on puisse sauver, que l’espoir s’est barré avec son grand ami l’avenir et ils n’ont laissé derrière eux que la désolation de deux êtres fatigués de s’être trop aimé, trop vite, avant de se briser contre les digues d’une réalité inébranlable. L’emprise qui se défait au sursaut, il fronce les sourcils alors que du coin de l'oeil il aperçoit des ombres au dehors. – You need to leave before I have you sent to Azkaban. I may not be able to kill you but I’ll do that Mev, I’ll keep you from murdering any more people. If only to save whatever’s left of your wretched soul.

Ils ont foncé, la tête baissée. Droit dans le mur. Parce qu'il n'y avait rien pour eux au bout du chemin, rien qui ne donne au coeur de quoi se réjouir, réchauffer un temps les carcasses qu'ils sont devenus. Dévorés, déchiquetés par un amour qui se terminait en cul-de-sac, que rien n'aurait pu sauver, juste les mener à une vie entière menée comme des fugitifs, parce que l'ombre menaçante de l'aîné n'aurait cessé de planer sur eux. Alors ils s'auto-détruisent, parce qu'il ne reste plus que ça, parce que c'est la seule façon qu'ils connaissent de retrouver un semblant d'intimité.
Le vide. C'est la plus grosse terreur, l'absence totale d'humanité, le gouffre qui la guette, qui l'enserre comme un filet du diable et dont elle ne sait plus comment se libérer. Peut-être y'avait-il un infime espoir, cette vie qui grandit, innocente, dans ses entrailles, qui reste encore immaculée, vierge de toute noirceur. Mais pour combien de temps? Et peut-elle seulement exister, cette promesse d'une rédemption pas vraiment méritée? Elle doute, Mevlana. Le sol est en train de s'effondrer sous ses pieds, des sables mouvants qui se dérobent.

Le concerto des bris de verres vient de s'arrêter, l'énergie du désespoir s'essouffle. - what's left warning me about? cynique. Le langage de ceux qui n'ont plus rien à perdre, ou bien qui se retrouvent embourbés dans des objectifs trop grands, qu'ils portent à bout de bras, sans savoir où ils vont. - the massacre? Arme à la place de la langue, les mots à la seule fin de détruire le peu qu'il reste, timide fragment d'humanité enterré sous les gravas. - your psycho of a brother? Assurance mal placée, erreur qui pourrait s'avérer fatale. Elle se fiche bien, pour le moment, qu'il redirige toute sa hargne contre elle, après tout, c'était ce qui devait arriver, tôt ou tard, et ils en étaient pleinement conscients l'un comme l'autre. - or that you've become everything i feared you might become? Rire jaune, coincé au fond de la gorge. remontée acide, la bile qui brûle, hoquet retenu à grand peine. La main devant la bouche, elle réplique d'un ton qui transpire cette lassitude qui s'abat sur tous, irrespectueuse et persifleuse. - You'b be wrong to underestimate him. my psycho of a brother, as you put it. Elle ne contredit pas l'allégation. Elle sait de quoi il est capable. - Many have made that mistake and it cost them their life. L'espace d'un instant, il y a l'ancienne Mevlana qui ressurgit, fugace.

Hoquet, plus intense que le précédent. Cette fois, le rempart cède, et la vague nauséeuse l'emporte. Silhouette repliée sur elle-même, entre deux secondes de répit. - you go ahead. direct all your hatred on me, have me locked away in Azkaban if you think you have that pow.. phrase interrompue, l'amertume dans la bouche. - It's not going to make life less ugly, the world less cruel. If you think otherwise, you're lying to yourself. Elle s'est redressée, le regard a retrouvé un peu de cette chaleur d'autrefois, un peu de cette vulnérabilité latente aussi.