Automate flamboyant dans le théâtre des sociétés, Theseus observe les invités, tous dressés de noir et d’or, il grimace devant le spectacle des ignorants, de ceux qui préfèrent oublier qu’au dehors les combats font rage et que la guerre gangrène jusqu’aux discours des mondanités dans lesquelles ils se complaisent. Une grimace qui se tord en sourire à l’intention de tous ces autres qui ne voient que les apparences et le charme, Theseus qui se métamorphose, diable déguisé, seconde peau qu’il épouse au détour d’une oeillade, éternelle comédie adoptée depuis l’enfance. D’une conversation à l’autre, les pensées trainent et les mots marquent l’esprit, il séduit d’une remarque, tisse son réseau sous le couvert de compliments papelards. Il sonne sincère, Theseus, dans son costume de mensonges, il n’a pas la gueule de ceux qui trompent, il déborde de cette présence et de cette aura qui font tomber les murs et se délier les langues. Une énième poignée de mains, un autre sourire, paroles falsifiées par les ténèbres, il s’amuse et s’ennuie à la fois, terrain de jeu connu mais conquis, l’impression de tenir dans le creux de sa main tous les secrets, de n’avoir qu’à jouer du bout de ses doigts pour agiter les pantins. Une flûte à la main, il s’arrête un instant, la voix de son interlocuteur se perd, disparaît, insignifiante, alors que son attention est agrippée, là, au loin et si près. Sur ses lippes carnassières se dessine un instant l’ombre si bien cachée en dedans.

Ballet des hypocrisies. Et dans la foule la lumière, l’élégante. Froideur céleste dans ce parterre de corps insignifiants, la belle-soeur splendide, celle que le frère ne mérite pas, beauté glaciale qui brûle, qui brûle, qui nargue sa jalousie et son désir. L’intouchable, fruit défendu bien gardé dans son jardin d’eden et par nulle autre mieux que par elle-même et sa farouche détermination, caractère propre au sang des nobles, fierté chevillée à la silhouette sublime. Il la regarde à travers le monde qui les sépare, élimine du regard les importuns qui vont et viennent, il ne voit qu’elle dans le flot d’humanité ridicule qui se confond à ses pieds. Il s’excuse d’un signe de tête et fend la masse informe des convives, jusqu’à elle, jusqu’à l’amitié parsemée de tentations, tous les deux jetés en présence par la force des choses. Elle qui le rejette encore et encore, armée de sa noblesse, marmoréenne, toujours trop forte, toujours trop fidèle, la femme de l’autre, celle qu’il veut faire basculer dans l’indécence, faire sienne. Il se glisse à ses côtés, le faciès masqué d’un sourire. - Bonsoir, Narcissa. Prénom qui roule sur sa langue comme une promesse, le ton chargé d’envie et d’une certaine malice. Il balaie l’endroit d’un regard, à la recherche du cadet, de la tête blonde honnie. La satisfaction brille dans le coin des prunelles. - Je vois que Lucius n’a pas eu la décence de t’accompagner. Lance-t-il en sirotant son champagne.

Déesse jetée au milieu des mortels, incandescente splendeur dans le parterre des miséreux. Il ne voit qu’elle, le regard capturé par l’intouchable, sérac prisonnier du glacier marital, entre l’anneau détesté et cette détermination farouche de lui résister, encore et encore, malgré les années et l’insistance, malgré toutes les allusives promesses de lui donner ce que lui ne peut pas, Lucius, aveugle à sa propre fortune. Narcissa. Convoitée au-delà de la décence, de toute mesure, craquelure dans la poitrine enragée qui l’obsède, jour après jour, à chaque oeillade, chaque rencontre. L’envie macabre de la faire sienne, de la posséder, rien qu’un instant, briser l’union du frère et se nourrir quelques heures de ce marbre sublime, la faire flancher sous la morsure de ses lèvres, du bout de la langue sur sa peau diaphane lui arracher des soupirs composés des lettres de son prénom. Il l’écoute, la sublime, un pincement amusé au coin de sa bouche, dépité et ravi à la fois de l'absentéisme de son cadet. Il sait qu’il ne viendra pas, Narcissa aussi, alors il ne fait que gratifier la remarque d’un coup d’oeil qui en dit long, décide de jouer le jeu, pour la beauté du geste, pour une autre chance de lui plaire.

Il ricane, Theseus, et se vexerait surement si les mots ne coulaient pas des lippes rosées de sa belle-soeur. Remplaçant. Oh, il pourrait presque prendre ça pour affront, l’aîné bouffé de gloriole, qui regarde son contraire d’un oeil mauvais, le fils de sa mère, l’autre empoisonné qu’il abhorre et maudit, à chaque pensée égarée, lui l’enfant roi qui récolte les mérites du parricide soupçonné. Il chasse la vision de devant son regard voilé de rage et choisit l’amusement, l’opportunité qui se présente à lui. L’impeccable masquerade déguise le faciès monstrueux, tord la bête en dedans, l’étouffe, la calme pour mieux apprivoiser la muse infernale. Il termine son verre d’une traite et abandonne le cristal sur la table nappée d’or et d’ivoire, offrant sa main à l’épouse délaissée. “Après tout ce temps, Narcissa, tu devrais savoir que je m'abaisserais jamais à n’être qu’un remplaçant pour mon frère.” Ni même un égal. Toujours au dessus, toujours au sommet, roi funèbre sur son trône de colère et de brutalité, démon grivois qui ne connaît que la violence et le délice des tromperies. “Et je ne me contente jamais simplement de ce que l’on veut bien me donner.” Un sourire aguicheur lui fend le visage alors qu’il tend un peu plus ses doigts dans sa direction, engagé avant même de le proposer dans un ballet dangereux au creux du théâtre des tragédies antiques, entre le vice de l’adultère et le venin fraternel, “en l’attendant, m’accorderais-tu cette danse ?”

Autour d’eux le vacarme s’écroule, tout ce monde qui se mêle et s’oublie, tous minables dans leurs costumes de grandeur alors qu’ils se gavent de mensonges et d’hypocrisie. Leurs voix s’étouffent, Theseus ne les écoute plus, n’observe plus, se défait de ses habitudes, il n’accorde plus d’importance qu’à la sublime, l’inatteignable. Narcissa au coeur de tous ses désirs, vibrante vision de ce que les cieux ont créé de plus sacré, bout de femme infâme sous le marbre de sa peau, qui n’a aucune pitié pour lui et se refuse à céder, qui éveille la mesquinerie sous le sourire de l’aîné Malfoy. Avances rejetées, jour après jour, année après année, lui qui n’abandonne pas, détermination farouche et dangereuse de ceux à qui l’on ne refuse jamais rien. - Pour l’instant. Dans son ton, l’assurance résonne comme un défi, petits mots bercés d’insinuation constante, comme chacun de ses discours, double sens délicieux dont il ne peut jamais se défaire. - Exigeant, oui. Y a-t-il une autre manière de vivre ? Il hausse les épaules en sirotant son champagne. Il ne craint pas d’admettre que sa soif et ses désirs ne peuvent jamais être étanchés. Il veut toujours plus, Theseus, il exige toujours plus, des corps comme des âmes, toujours prêt à dérober la vertu ou la raison, gangrène et vertige d’une existence à double tranchant où le goût du risque s’accorde avec cette furieuse envie de vivre et de posséder.

Privilège, dit-elle. Victoire, entend-il, alors qu’il resserre sa main autour de la sienne. Sa carne se crispe sous le contact de ses doigts, de cette étreinte - encore - innocente au milieu de la foule. Ils jouent, tous les deux, au dépend de l’absent, l’un et l’autre les pensées souillées par la jalousie et la rancœur. La haine est ancrée dans son myocarde courroucé, elle s’emmêle et s’accroche de ses griffes dégueulasses à toutes ses volontés. Il l’attire un peu plus contre lui, ses doigts suivent la courbe de sa nuque jusqu’au bas de son dos où sa paume se pose avec une délicatesse presque inconcevable. - Oh Narcissa, tu me connais mieux que ça. Il ricane, flirtant avec l’indécence alors qu’il se penche vers elle, que ses lèvres effleurent sa joue. - Tu sais aussi bien que moi qu’il n’y a qu’une seule façon de mettre un terme à tout ça, murmure-t-il doucereux et sournois à son oreille. Son regard se voile un instant, ombre jetée par le démon en dedans qui se régale de l’impasse. Il se fout des diables qui dansent autour de leurs têtes, de la brûlure qui guette et de la rage du frère s’il faisait enfin son entrée, qu’importe ce qu’ils en disent, tous ceux qui les regardent, qu’ils parlent si ça les amuse alors qu’eux deux sont engagés dans un valse rongée de poison, créatures célestes menacées par la chute, abritées du monde des mortels. - Ça ne tient qu’à toi. Il la fait virevolter, au rythme des violons. - J'attendrai.

Fascination malsaine pour l’intouchable. Flamme incandescente contre laquelle il désire se brûler, jusqu’à l’os, jusqu’au fond de l’âme. Envie nocive, presque fiévreuse, dans le recoin de son œil voilé de nuisances. Le démon veille sous la carcasse de son humanité fissurée, l’enveloppe charnelle s’accroche aux immoralités qui rythment ses heures. Theseus a l’coeur gangréné par la jalousie, le deuil et le diable qui sommeille en dedans, esprit tourmenté depuis l’enfance, qui s’abreuve des interdits, se délecte de la misère des autres, sans raison, juste parce que ça l’amuse, parce que ça fait passer le temps dans les limites du bagne terrestre. Il a l’esprit dérangé, l’aîné Malfoy, il aime se prétendre au-dessus des autres alors qu’il se traîne dans la fange néfaste de sa propre inhumanité, en dessous de tout, monstre qui n’a dans son camp que la valeur de son nom et la chance presque pernicieuse d’être né avec l’ichor sacré d’une magie capricieuse. Il danse auprès d’elle comme on valse avec la camarde, parce qu’il n’a plus l’goût de rien, juste celui de dérober aux autres les plaisirs et l’honneur que lui ne possède qu’en apparence. C’est là qu’il se sent vivant, vibrant, lorsque sa main frôle la carne superbe de la plus jeune des héritières Black.

Le vice, notion aux multiples facettes au creux desquelles il se complait, noyé sous la couche de ses propres laideurs et de son arrogance, inconscient et ignorant des abysses où il finira sûrement par se perdre, les pieds dans le styx, entre la mort et l’oubli -- tartarus has a spot with his name on it. - La morale ne mène qu’à l’ennui, Narcissa. Il hausse les épaules, comme un gamin qu’on tente de réprimender mais qui se fiche des limites imposées. Elle sait, qu’il s’est défait des barrières de la bienséance, elle le voit au-delà de ses comédies et de ses sourires, elle le voit quand d’autres se contenter de le regarder, ce spectacle absurde de charme et d’agrément. Magnétisme amputé, la distance soudainement imposée lui arrache une grimace, énième échec qui pique sa fierté.

Muet et mutin face à la requête inattendue, Theseus l’observe un instant sans comprendre avant qu’un sourire ne se creuse au coin de ses lippes féroces. L’invitation semble innocente, elle résonne en lui comme une victoire. Il regarde la foule autour de lui qui s’éparpille puis se mêle, candide à cet autre ballet qui se déroule en son sein. Il acquiesce. - Je connais juste l’endroit. Dit-il en l’invitant à prendre sa main afin de les mener tous deux aux abords de la piste de danse et de les transplaner dans l’un des salons de son manoir. Audace toute caractéristique du sorcier qui ne craint plus de contrarier sa belle-soeur. D’un geste de la main, un gramophone s’anime depuis l’un des recoins de la pièce et le feu dans l’âtre crépite pour renaître de ses cendres alors que le maître des lieux s’affaire à verser deux verres de whisky pur-feu. Il se retourne pour tendre l’ambre à Narcissa, cette foutue lueur espiègle toujours dans le fond de son regard. - Au mariage parfait qui ne l’est pas tant. Se moque-t-il en levant son verre.