Elle regarde dehors, l'esprit ailleurs.
C'est un de ces jours où elle se surprend à se demander et si..? Et si elle avait vu le jour dans une autre famille, et si sa mère n'avait pas été brutalement écartée, cantonnée dans ce sanatorium sur les rives de la mer noire. Et s'il n'y avait pas eu Igor? Soupir, suivi d'un rire jaune. stupid fool. Elle se morigène. A quoi bon cette rêverie cruelle, où le monde ne serait pas si noir, ou il n'y aurait que cet amour qui avait su toucher son coeur trop longtemps emprisonné dans la glace. and then what? they eloped and lived happily ever after? Elle ne devrait pas, mais le goulot de la bouteille lui tend les bras, comme un remède diabolique à ce vague à l'âme persistant. Pourquoi continuer, n'être que le pantin, le kamikaze, qu'on envoie à la boucherie. Elle aimerait avoir la force de ses convictions, comme lui, comme ceux qui, d'un côté ou de l'autre, croient réellement en quelque chose, ont un idéal auquel se raccrocher.

Finalement, elle ne porte pas la bouteille à ses lèvres, et se contente d'en caresser le cou, distraitement. Tout d'un coup, comme un éclair, le petit être qui grandit tranquillement en elle l'empêche de faire cette bêtise. Un sourire apparaît brièvement sur ses lèvres. Ironique de penser qu'elle, qui n'a été élevée que pour être une paire de bras armé supplémentaire pour La Cause, juste un assassin de plus, va être mère à son tour. Elle se met à rire. Un rire nerveux, presque un peu hystérique. Plus aucun contrôle, elle n'arrive plus à s'arrêter, tandis que dans le même temps, ses yeux s'embuent de ces larmes rageuses. Colère contre le patriarche, contre Igor, même sa mère n'est pas épargnée. Sa génitrice plutôt. Colère contre le monde entier, un feu dévorant qui fait rage dans ses veines.

Un bruit sec, le tintement sourd du verre posé sur le bois un peu vieilli de cet endroit qui suinte la moiteur et dont l'air est à peine respirable. C'est ce bruit qui la sort de ses pensées, Mevlana. Elle ne sursaute pas pour autant, parce qu'on a l'habitude de se contrôler chez les Karkaroff, on dissimule ses faiblesses, on cultive l'apparence, coûte que coûte, parce que tout n'est que lutte, combat pour conserver l'ascendant. La silhouette se dessine dans les fragments du miroir à moitié brisé, accroché un peu plus loin. Imposant, implacable stature, froideur qui ne quitte jamais les traits, masque permanent, parce que c'est le prix de l'autorité; ne jamais perdre la face, perdre son sang froid, c'est chuter, et ça, c'est la pire des éventualités dans des familles comme les leurs.

Karkaroff. Le nom est brutalement lâché, d'un ton cassant, accusateur. Elle n'est pas idiote, elle sait exactement à quoi il fait référence. - J'espère ne pas te faire fuir.. Le regard glacial, qui sonde, qui s'insinue dans chaque recoin de l'âme fêlée. Elle sait qu'elle devrait être méfiante, marcher sur des oeufs, mais ce soir, aucune menace ne la fera ployer. Trop de rancoeur, trop de fiel, qui empoisonne le jugement; ou peut-être que les vapeurs de l'alcool anesthésient la crainte que son interlocuteur semble provoquer dans la salle. Plus aucun bruit, les conversations se sont soit tues, soit sont devenues des murmures. Personne n'ose ouvrir la bouche, ni même bouger un cil. - je vois qu'on a besoin de passer ses nerfs... Lestrange.

Elle le regarde, elle détaille ses traits, tendus par la colère, la rancoeur, qui bouent dans les prunelles d'azur, électriques. Les signes sont à peine perceptibles, mais elle a appris à déchiffrer, elle sait que le silence permet de voir ce que les mots ne disent pas, tout ce qui est pourtant si criant, mais qui ne s'entend pas. - est-ce que tu vas rester là à me toiser... ? le sang froid, la maîtrise de soi qui revient à la surface, question qui n'attend pas réellement de réponse, peut-être un brin de provocation.

Elle joue avec son verre, Mevlana, mais jamais ne le porte à ses lèvres, flirt qui n'aboutit pas, et pourtant, elle n'est pas du genre à bouder son plaisir lorsqu'il s'agit de l'ambre liquide. Mais ses réflexes ont un peu changé, la gamine des rives de la mer noire. Gamine qui n'en est plus une depuis bien longtemps, même si l'enfance a volé en éclat trop rapidement, trop brutalement.  Ses doigts caressent le col de la bouteille, distraitement, et son regard va du contenu de son verre, à son compagnon impromptu, le plus inattendu -- descendu de son piédestal pour regagner un instant, le commun des mortels, la plèbe qui remplit le tripot quasi insalubre.

Les regards furtifs, s'invitent sur leur tablée plutôt détonnante; entre le froid glacial dans les prunelles de l'aîné des Lestrange, cette aura qui transperce de toute sa mystique, et le feu dans les veines de la représentante des Karkaroff. Deux noms, géants incontournables dans les rangs de l'ombre, qui inspirent toutes sortes d'émotions, depuis la crainte jusqu'à une certaine jalousie, ou bien une dévotion malsaine. - Aujourd'hui nous ne somme que deux vieux amis qui partagent un verre. Prise de court, elle ne cache pas son étonnement; il se lit dans ses prunelles, tandis que, la tête légèrement inclinée sur le côté, elle jette un regard un tantinet amusé à celui qui s'est invité à sa table. - Ça doit être grave alors... pour que l'illustre Rodolphus Lestrange se mêle à la fange... même si ça n'est que pour un soir, quelques heures. Regard qui va des traits nobles, sculptés de porcelaine, à la foule crasseuse. - .. et se dise mon ami pour couronner le tout. L'oubli, douce échappée tant recherchée, par tous sous ce toit misérable.

Le ton est doucereux, empli de ces menaces pas formulées à voix haute, qui se sentent dans le timbre. Il n'est pas connu pour élever la voix, elle se souvient de ça, observation faite à de nombreuses reprises, c'est ce qui le rend plus redoutable encore. La glace triomphe souvent du feu. Elle sourit, parce que c'est la seule échappée possible, la seule option pour ne pas trop attirer l'attention sur les autres sujets sensibles. Le verre encore entre les doigts, l'ambre intacte. - Si tu le dis. vieux amis... elle se retient de tout commentaire, pas suicidaire... mais le terrain risque de devenir vite glissant, alors elle cherche une porte de sortie, une diversion quelconque, pour ne pas le laisser la pousser dans un retranchement d'où elle aurait du mal, potentiellement, à se sortir. Auto-préservation avant tout. - Si tu me disais plutôt ce qui t'amène dans des lieux pareils... Sa question trouve partiellement une réponse dans le constat de l'aîné des Lestrange, qui semble pour une fois trop plongé dans ses propres pensées pour se livrer à des jeux de l'esprit, et autres manipulations dont elle sait qu'il est coutumier. - En effet...

Elle marque une pause, enroulant une mèche de cheveux, distraitement, autour de son doigt, calée contre le dossier de la chaise - Cela dit, j'échange mon frère contre le tien sans hésitation. L'inflexion donnée à la voix, humour qui cache malgré tout un peu de vérité. Le regard croise celui de son bras droit. Pour la première fois, elle s'attarde sur les traits de ce visage de l'ombre, qui tire les ficelles. Elle constate pour la première fois la finesse des traits, sculpturale, et se surprend à n'y trouver aucune froideur, malgré les apparences -- décidément toujours trompeuses. Il y a la braise au fond des prunelles métalliques, et le sourire qui étire ses lèvre change; l'appréciation remplace la méfiance, même si elle n'est pas bien loin.

Les apparences sont parfois trompeuses... si la situation n'était pas potentiellement dramatique, elle aurait esquissé un sourire amusé. A la place, c'est une moue presque un peu fataliste qui se dessine sur ses lèvres. - Je te l'accorde... Oh oui, elle en sait quelque chose. Prétendre, le masque qu'on leur a appris à porter, tous autant qu'ils sont. Le masque, toujours, qui devient parfois plus vrai que nature. Elle en sait quelque chose; des mois que sa petite farce dure, mascarade maintenue à grand renfort de sortilèges de camouflage, pour que personne ne découvre son état, secret bien jalousement gardé.

Le temps passe, les verres qu'il vide aussi, à une vitesse alarmante. Elle aurait sûrement fait de même s'il n'y avait pas la petite chose qui grandit en elle et à laquelle, sans s'en rendre compte, elle s'est déjà attachée. Vestige d'un passé trop lointain, presque une autre vie. Elle le regarde prendre ses aises, l'alcool qui court dans ses veines commence à manifester ses effets. - Tu as une bonne descente.. commente-t-elle avec une touche de surprise dans la voix. Devrait-elle être étonnée, ou joue-t-elle avec ce Lestrange descendu de son trône? Peut-être un peu des deux. Elle sait qu'elle joue un jeu dangereux pourtant, mais étrangement, elle ne s'en préoccupe pas. Louer une chambre.. L'espace d'un instant, elle se demande si elle a bien entendu. La soirée est décidément bien riche en surprises. Envolée l'élocution fluide et distinguée, les mots se sont alourdis dans la bouche du numéro deux. - si tu arrives jusque là... Lance-t-elle mutine, les yeux brillants d'une drôle de lueur, malicieuse, chargée de défi.