« Je ne veux pas de leur argent. » Ne cessait-elle de répéter, sourde aux arguments de ses parents, sourde à toute parole visant à la réconforter ou à lui faire entendre raison. Bornée, elle restait campée sur ses positions. « Constance, sois raisonnable ma chérie. » Ils avaient les traits tirés par le deuil, eux aussi, pourtant, ils tentaient de garder la tête froide, de prendre soin de la seule fille qui leur restait. « Non ! Je ne veux pas ! Ils essayent de remplacer ma soeur par des galions, ils n'ont pas le droit, je n'en veux pas. » Le disque était rayé, la vision manichéenne de la jeune femme déteignait sur ses émotions, elle ne supportait pas l’idée qu’on mette un prix sur la vie de sa soeur. « Ce n’est pas du tout ce qu’ils font… » Mais ils manquent soudainement d’arguments devant la colère de leur fille. Un silence se pose sur la maisonnée, quelques instants où Constance fait les cent pas dans la pièce, vociférant contre ce ministère qui n’avait pas été capable de protéger sa Thalia. « Pense à Katie. » Et elle s’anime un peu plus, regard rageur, paroles encore plus acerbes : « Arrêtez avec ça ! Je ne fais que ça ! Je ne fais que penser à Katie, tout le temps, depuis neuf ans et ce n’est pas une bourse pleine de pièces qui va ramener sa tante à la vie ! » Toutes ses actions, toutes ses pensées étaient tournées vers sa fille, elle ne faisait que ça, littéralement et le souvenir du visage trempé de larmes de son trésor la hantait même en plein jour. « Ça pourrait aider à payer ses études, Thalia n’aurait pas voulu que tu continues à te serrer la ceinture comme ça. »

Et finalement, elle avait cédé, ramenée à la raison par les paroles plein de sens de ses parents et la certitude que Thalia aurait voulu ce qu’il y avait de mieux pour Katie et pour elle, elle avait répondu positivement à la proposition du ministère. Cependant, elle devait toujours aller signer les papiers validant la mise en place de cette pension, et elle repoussait l’échéance depuis des jours. Ce jour-là, elle avait pris son courage à deux mains. Katie déposée à l’école presque en retard, un au revoir encore plus difficile que celui des autres jours, Constance ne tarde pas à repasser du côté sorcier de Londres, talon de ses escarpins qui battent le pavé du chemin de traverse avant de se trouver face à l’imposante bâtisse du ministère de la magie. Elle hésite, repense à la conversation avec ses parents et finit par entrer d'un pas peu assuré. « Bonjour, quel est la raison de votre visite ? » L’agent à l’accueil lui semble trop fade, trop pâle, comme un automate qui répétait sans cesse les mêmes paroles, encore et encore, sans y penser, sans y croire, et face à elle, Constance n’a même pas la force de sourire, de faire semblant de ne pas abhorrer cet endroit et tout ce qu’il représentait. « Bonjour, j’ai un rendez vous pour une signature de contrat de pension. » Les mots sont amers, elle hésite encore à faire demi tour mais l’image de sa fille s’invite à nouveau dans son esprit, la poussant à rester, à aller jusqu’au bout : pour elles. « Pension au nom de quel agent ? » Elle retient un grognement, l’empathie ne semblait pas être de rigueur, mais elle tient bon, encore quelques minutes, dix secondes à la fois, elle pouvait tenir un peu plus. « Bell, Thalia Bell. » Son nom est prononcé avec une tendresse certaine, mais elle serre les mains sur la anse de son sac à main à s’enfoncer les ongles dans les paumes.

Bientôt, quittant le guichet une feuille de renseignements au bout des doigts, elle parcourt les couloirs sans vraiment prêter attention aux personnes qui se trouvent autour d’elle. Elle ne veut qu’une chose, signer ce foutu contrat et quitter cet endroit de malheur, retourner à l’appartement et ne plus ressentir le poids accablant de la culpabilité sur ses épaules. Se glissant dans un ascenseur quelques instants avant son départ, elle ne remarque pas que quelqu'un s'y trouve déjà. Fatiguée, elle passe une main sur son visage pour tenter d’en faire disparaitre les larmes qui menaçaient de s’écouler sur ses joues : l’absence était encore difficile à supporter, elle oubliait parfois qu’elle n’était plus là et la chute n’en était que plus douloureuse lorsqu’elle réalisait qu’elle ne la verrait plus jamais.