Elle revoit la silhouette mais pas vraiment le visage; cette carrure si menue, si frêle, presque sur le point de s'évaporer tant elle rase les murs, passe inaperçu. Sybille et sa folie en filigrane, les prédictions qui l'entourent d'un voile trouble et mystique. Elle avait sûrement été une de leurs cibles, vilain petit canard trop chétif pour riposter, trop apeuré pour se dresser contre un état de fait, le règne des loups au sein même de l'antre des aigles. Jamais elle n'avait pris le temps de s'attarder sur celle qui avait pris sa place, pâle successeure dans le coeur trop grand du serpent aux yeux si bleus, pirate d'un monde auquel il n'appartenait pas vraiment, par accident. Et pourtant, il n'avait fallu qu'un seul regard, qu'une seule petite phrase lancée avec la friponnerie qui le caractérisait pour qu'elle ne succombe, princesse de glace, tombée de son piédestal.

C'était depuis la Bulgarie qu'elle avait appris la nouvelle, via Narcissa, la confidente et complice. Depuis cette terre natale qu'elle ne reconnaissait presque plus, vendue, donnée en mariage, simple monnaie d'échange pour un peu plus d'influence, drogue dont les mâles Karkaroff ne savaient plus se passer, sevrage illusoire, qu'il était vain d'espérer. L'impasse cruelle, route qui ne pouvait mener nulle par que dans un mur. C'était de cette pensée qu'elle s'était consolée, mariée qui s'engageait dans sa vie de femme comme celle qu'on envoie à l'échafaud. Par chance, la mascarade n'avait pas duré aussi longtemps qu'elle aurait pu, et la première pensée qu'elle avait eue à son retour, avait été pour lui. Ironie d'un sort moqueur. Espoir cruel, si faible dans la brume de son esprit atrophié, que peut-être, il l'ait attendue. Rire jaune. Pauvre idiote. Naïve à en crever, à en vomir.

Après des semaines à rôder, à traquer la biche chasseresse impitoyable, elle avait fini par trouver le refuge. Venue voir pour se faire une idée plus précise, pour lever l'ombre d'un doute; celui qui entourait, voile opaque, les allégeance prétendues de cette pythie de carnaval. Nichée dans le coeur de cette ruelle malfamée, lieu surprenant pour une créature si éthérée, elle attend sa proie. Elle aurait pu s'infiltrer dans son réduit, l'y attendre dans l'ombre, mais s'était finalement ravisée. Suivant de loin, tapie dans l'obscurité, elle s'assure que l'ancienne disciple de rowena ne va pas repartir.
Sans cérémonie, elle s'introduit dans la roulotte, jetant un regard dégoûté à ce gourbi misérable. Accueil plein d'acidité, remarque au vitriol qui se veut corrosive. Elle ricane en guise de réponse. - Oh, on s'essaie aux menaces? Il va falloir essayer plus fort, petite sybille. Glaciale, masque d'indifférence et de mépris qui ne lui demande pas un effort trop important. - Alors c'est toi... je comprends qu'il se soit vite lassé.. Elle comprendra, c'est sûr. A ce petit jeu, elle n'est pas prête de se laisser vaincre.

Choc des titans, les forces contraires qui entrent en collision avec une violence froide, naufrage en eaux glaciales. Elles se jaugent, les deux nymphes, et l'orage gronde dans le microcosme de cette roulotte poussiéreuse à moitié rongée par les termites. C'est le feu contre la glace, juste là, sous les épidermes d'albâtre le choc thermique aux ondes de choc qui se propagent et rendent l'atmosphère électrique, presque irrespirable. C'est une rixe impitoyable qui est sur le point de se jouer, qui s'est déclenchée; venin mortel au fond des coeurs, qui s'est répandu à la minute où elles se sont succédées entre les bras du même homme aux prunelles couleur d'azur. Le pauvre hère, emprisonné malgré lui au coeur d'une violente tourmente, diable dans sa boîte déchaînant leurs passions sans même prendre toute la mesure de son pouvoir sur elles.

Le ballet infernal se poursuit dans les yeux de l'une comme de l'autre, bataille mortelle entre l'ombre et la lumière, l'une qui enserre le coeur tandis que l'autre vacille. - je réserve les menaces aux personnes que je crains, et tu n'en fais pas partie. bravoure insolente de ceux qui n'ont plus rien à perdre, le masque encore parfaitement en place. Elle reste calme, la poupée des balkans, elle observe. La réaction se fait attendre, le rictus pourtant, sur les lèvres carmines, annonce la riposte. - Si tu le dis... le regard balaie cette modeste demeure, les objets en désordre, quelques bijoux posés sur cette table improvisés. Elle joue avec ces amulettes, pacotille de fête foraine, à l'image de leur propriétaire, fausse mystique aux airs éthérés, dont les grands yeux sombres trahissent l'incertitude et le doute. - mais même toi, tu ne crois pas ce que tu dis, petite Sybille... les griffes qui déchirent ce que l'oeil ne voit pas, encore un peu plus à chaque minute qui passe. - Tu sais bien que les hommes seraient prêts à dire n'importe quoi pour échapper à leur conscience. Tu n'es pas naïve à ce point. Elle ricane.

Est-elle venue pour se pavaner, celle qui se pense assurée de sa main-mise, victorieuse, drapée dans cette fierté venimeuse, à des années lumière de se douter qu'elle flirte avec la faucheuse. - Non, tu as raison sur ce point. Je ne suis pas venue te parler de Rosen. Le prénom roule encore sur sa langue, laissant une saveur douce-amère. - Je me demande juste... elle marque une pause, toisant l'héritera de Cassandre, prenant ses aises dans l'antre miteux sans même y avoir été invitée. - ..à quel jeu tu joues.. Les prunelles plantées dans celles de la rivale, à la recherche du moindre indice, le plus minime, qui pourrait la mettre sur la voie, faire tomber ce masque ridicule dont elle est persuadée qu'elle se pare.

Le vent se lève, brise glaciale dans les murs poreux du taudis. tempêtes qui grondent dans les prunelles antagonistes, où sont renfermées les passions communes. La chaleur du sable contre la froideur de la glace; deux femmes, deux personnalités qui n'auraient pas pu être plus différentes l'une de l'autre et qui pourtant, ont succombé au même homme, à ces mêmes promesses de tendresse; le refuge d'humanité qui pour l'une la raccrochait à ce qu'elle était et pour l'autre, lui faisait voir une facette inexplorée. Ennemies de toujours, pour les yeux d'un seul homme, coeurs adversaires, alors qu'au fond, rien n'empêchait qu'elle puissent devenir amies, ou s'entendre, faute de mieux. Deux mondes qui s'entrechoquent, agités par des vents contraires, que rien ne pourrait désormais réconcilier.

Elle ne se laisse pas faire Sybille, elle a cette détermination froide dans le regard, ou bien est-ce la braise, celle qui accompagne le feu destructeur qui ravage tout en dedans, celui qui consume ceux qui n'ont plus rien à perdre. Peut-être étaient elles finalement plus semblables qu'il n'y paraissait? Pourtant, elle sait qu'elle a l'avantage, Mevlana; même si c'est un secret, taboo qui lui brûle les lèvres, qu'elle voudrait bien pouvoir jeter à la figure de l'autre dont le seul crime était d'avoir cru aux mots trop doux d'une coeur éploré. Elle ne s'est jamais demandé, la princesse déchue, ce qu'elle aurait ressenti si les rôles avaient été inversés; ça ne lui a jamais effleuré l'esprit, petit soldat façonné dans le marbre, pour être sacrifié au moment opportun.

Qu'importe les accusations, les griffes qui se veulent acérées, contre la carcasse de la rivale, elle est taillée dans la glace, Mevlana, et il en faut bien plus que les petites piques de l'enfant de Cassandre pour la déstabiliser. Elle la laisse dire, un ricanement au bord des lèvres, la laissant cracher ce venin retenu depuis trop longtemps sans doute. - Ta place ? Et où crois-tu donc qu'elle, ta place, hein petite Sybille? Elle s'amuse de la soudaine véhémence, comme un chat regardant la souris qu'il s'apprête à achever d'un coup de patte capricieux. - Oh, je te remercie, mais la mienne est claire depuis longtemps...

je ne vois que du malheur dans ta vie, ça fait peine à voir encore les élucubrations d'un don qui trébuche sur ses propres racines. Le malheur -- ça aurait pu être vrai, peut-être, ça l'a été mais ça n'est plus le cas maintenant que cette nouvelle vie, si pure et si innocente grandit dans le refuge le plus sacré. Son plus beau, l'unique chef d'oeuvre de cette vie boiteuse. - Oh Sybille.. Sybille...tu fais fausse route, comme d'habitude. A quoi bon encore persévérer? Prédiction, ou menace, peut-être une promesse d'un genre bien plus terrible. - Tu te ferais presque une faveur en rendant les armes. Ça commence à l'ennuyer, Mevlana, cette comédie n'a plus grand chose de divertissant, l'attrait s'est fané, comme celui de Rosen autrefois.