Un froid incrusté jusqu'aux os, des morsures invisibles dont ils essayaient d'ignorer la douleur depuis de longues minutes maintenant. Marées humaines dispersées à chaque seconde qui passait : ils pataugeaient presque vainement dans ces eaux brunes et épaisses, le souffle vacillant. Ruben était un partenaire de rares heures, le terrain n'étant la plupart du temps réservé qu'à d'autres : ces gueules officielles d'un Ordre paralysé au fil du temps. C'en était presque comme s'ils avaient oublié l'existence de Dumbledore, le nom sacré qui avait béni la naissance de l'Ordre du Phénix. Il n'y avait plus qu'eux aujourd'hui – maigres rangs éparses aux sentiments chargés d'acrimonie, l'incompréhension aux tripes et une justice qui se faisait désirer. Inlassablement, ses songes allaient vers Harry. Vers Lily. La dévotion irréfragable qu'il leur destinait envers et contre tout : depuis tant d'années, la conviction qu'combattre dans cette guerre en valait la peine, si l'issue en offrait un meilleur avenir. Des espoirs idiots, la course d'un béjaune qui avait offert son âme. Ils aidaient des gens, au moins, ce soir – et ça faisait sens ; même pour la chevelure blonde propre aux Malfoy, le visage vaguement familier d'une Narcissa désespérément accrochée son fils. Sans faire de manière, il avait agrippé le bras de la jeune femme pour l'entraîner avec eux à l’abri de la douche froide ; leurs voix, de vaines tentatives pour communiquer dans les torrents de bruit.
Gringott's n'fut un refuge que de courte durée, James ne remarquant qu'enfin la douleur lancinante gangrenant sa jambe. Le premier éclair qui explosa dans le noir fut dévié par un mouvement de baguette du Potter, une silhouette dans la pénombre, la sale gueule de Lestrange se détachant entre les sortilèges virevoltant – de sa bouche, l'habituelle catilinaire des ennemis. Une énième attaque flashant toucha son corps en capilotade, les douleurs électriques ramassées au fil des pas dans le chemin de Traverse. Et l'ennemi qui en rajoutait une couche. Lui, il s'écrasa tête la première contre un comptoir de bois, celui-ci éclatant en morceaux sous l'impact. Ruben ne dura pas plus longtemps, arrachant un juron d'entre les lippes d'un James qui avait levé sa baguette. Ne gaspille pas ton énergie inutilement ; p't'être un conseil sage, qui n'était pas balancé dans sa direction, mais valait pour eux tous. Les poumons glacés, ses cheveux collés jusqu'à devant ses yeux, des gouttes de sang se diluant dans l'eau miroitant sur les dalles – il n'pouvait pas se permettre n'importe quoi. Son allié réapparut, au moins, une voix familière pour noyer le brouhaha de présences dangereuses. « Merde, j'vais finir comme Moody. » qu'il se retrouva à tenter de plaisanter, le ricanement une faible étincelle sur les labres, un œil fixant le vide, une jambe tendue de douleur. Au prix d'un effort certain, une main se posa sur l'épaule sauve de Ruben pour capter son attention – ils n'avaient pas d'temps à perdre avec Lestrange et ses ridicules priorités. « Faut qu'on trouve un moyen de s'sortir de là. » par instinct, le regard trouva la tête blonde du gamin que la jeune femme avait dans les bras. Il était aussi jeune qu'Harry, dans ces eaux-là : force était d'admettre que si elle, elle n'serait jamais prête à en faire autant si les rôles étaient inversés, eux deux, ils étaient censés valoir mieux qu'ça.

La réalité forcée à l'esprit était portée par les frissons qui secouaient le corps tout entier. Le rappel grisant du froid qui s'engouffrait par chaque interstice de fenêtre brisée, son sifflement assourdissant en maître du chaos. Il fallait qu'ils restent conscients tous les deux, s'ils n'voulaient pas se faire bouffer – ou abandonner – par Lestrange et sa belle-sœur. Une conviction pilonnant avec insistance sur la tempe, malgré le pâteux dans la gorge et l'arôme du sang frais flottant dans l'air, ils n'avaient pas l'droit de vaciller. Il n'avait pas l'droit tout particulièrement, qu'il se disait : pour Lily, pour Harry. Pour Sirius, isolé dans le camp adverse. Les regards étaient verves brûlantes à eux tous seuls, le rappel de la nette frontière qui les séparait tous : son seul soutien ici, était Ruben. Et vice-versa. Peut-être était-ce plus déjà que ce que l'épouse Malfoy pouvait prétendre, elle : difficile de prédire, avec des hommes comme celui qui se tenait là, stature d'ombre sur un canvas de désastre. « Qui sait, peut-être que Lestrange peut nous porter. » un ricanement jaune, sans humour aucun – c'était si facile de balancer des piques dans la direction de l'ennemi juré. De se donner le privilège de le sous-estimer ici et maintenant, quand ils étaient tous dans une si mauvaise position.
Manque de mieux, il retint sa douleur entre des mâchoires étroitement serrées, réussissant par miracle à attraper la main de son camarade pour se relever. Tous les muscles tirèrent dans son corps, une électricité douloureuse vrillant chaque grain de peau. Dans l'eau dans laquelle ils pataugeaient, l'ichor pourpre se mêla à la boue. Et dans son champ de vision si embué déjà, James manqua de perdre l'équilibre une bonne dizaine de fois en quelques secondes : d'infinis instants d'une impuissance qui courait si vite dans ses veines. L'agacement, l'orgueil à eux seuls auraient pu lui faire relever la baguette pour reprendre son duel avec Lestrange – l'emmener dans les abysses de l'oubli avec lui, s'il le fallait. N'était-ce pas l'intérêt d'cette guerre qu'ils se livraient comme des insatiables ?! Mais lui, il avait toutes les raisons d'vouloir rentrer chez lui ; de quitter cet endroit maudit pour retrouver la grâce qui illuminait sa vie toute entière. Lui, il avait une raison de vivre. Autre chose qu'une hystérique sociopathe en tant qu'épouse. Et déjà, il imaginait le réconfort chaud et doux de Lily – l'étreinte de ses bras, la mélodie de sa voix. Les fleurs dans le parfum qui collait à son sillage. Merlin's beard ; il aurait pu croire qu'il divaguait encore, l'éther en bordure de son esprit qui bourdonnait. Mais la voix de la blonde capta son attention : encore une fois, le regard dévia vers le gamin dans ses bras. « Je n'parierais pas sur les rues. C'est comme ça qu'on est arrivés ici. On a aidé qui on pouvait, maintenant il faut qu'on trouve un moyen de rester saufs, ici. » tout naturellement, l'attention qui se reporta sur son frère d'armes : comme si c'n'était que lui qu'il avait besoin – à cœur – de convaincre. Si Lestrange et sa belle-sœur voulaient se lancer dans une entreprise plus risquée, c'était leur problème.