Longue journée? Non. Longue nuit. Travail? Pas vraiment. Régulièrement, depuis la fuite de Ravenna, je m'emploie à créer de fausses pistes. Des cul-de-sacs où ses potentiels poursuivants pourraient se perdre. Bien sûr, je ne fais pas ça tous les soirs, mais de temps en temps, de façon à garder la piste chaude. Cette nuit, par exemple, je me suis rendu dans un vieil hôtel d'un quartier moldus. Armé de quelques cheveux, je me suis invité par la porte des employés et ai laissé les cheveux là où même une femme de ménage assidue ne les verrait pas. J'ai fais ça. Et j'ai aussi utilisé un peu de son sang pour créer une marque magique. Comme si elle avait lancé un sortilège. Rien d'assez clair pour être évident, mais suffisamment pour qu'on reconnaisse son empreinte. Suffisamment pour qu'on pense avec certitude qu'elle était-là.

Alors naturellement, lorsque 18h sonne, je ne m'en rends pas compte. C'est bien plus tard que je réalise m'être oublié dans le travail, encore, et monte verrouiller la porte. Je n'ai pas terminé, mais je préfère ne pas être dérangé par un retardataire inconscient. Je n'ai pas le temps de rejoindre l'escalier que des coups sont portés. Un soupire m'échappe. Agacement sincère. Qu'il frappe, j'ai autre chose à faire. - Tobias. Ouvre à ta soeur, veux-tu ? - L'entendre à haute voix me fait l'effet d'un choc électrique. L'espace d'un instant, j'hésites. C'est peut-être un piège, mais elle n'aurait jamais divulgué cette information. J'espère. Et si c'est le cas, je préfère autant m'y confronter et savoir. Dans tous les cas, je fais volte-face et rejoins la porte que j'entrouvre. De toute ma hauteur, mon regard se pose sur la petite brune aux escarpins fins. - Mais qu'est-ce que tu fais-là. - Lâché-je en l'attirant à l'intérieur.

Ma hâte ne semble pas l'inquiéter puisque son sourire demeure. A-t-elle décidé de se rendre et mourir pour la cause? - Je voulais te voir avant d’aller.. disons sortir Phineas de son trou perdu. - Sourcils froncés. Je verrouille la porte derrière elle. Maintenant, je ne veux certainement pas être dérangé. - Merci d’avoir dissimulé mes traces. - Ma main s'agite dans l'air. - Oui, non, peu importe. - Je ne nierais pas que, malgré l'urgence et la gravité de la situation, ce genre de jeu stratégique m'a amusé. Oui, amusé. - Comment ça tu vas sortir Phineas de son trou? - Mon regard fait le point sur la magnifique robe aux dorures élégantes. Je l'ai déjà vu porter des tenues magnifiques pour pas grand chose, mais cette robe-ci n'est pas une robe de Briseuses de sorts. Pas du tout. - Jolie robe. - Dis-je d'un air admiratif avant de prendre cette attitude protectrice et intrusive. - Où est-ce que tu vas exactement?

Je viens de te le dire : sortir Phineas de là. Quelque soit le là où il se terre. - Ma langue claque. Mes pas me portent jusqu'au comptoir. J'avais compris la première fois. La répétition sans complément n'atténue pas l'inquiétude. - Il n’est pas avec elle sinon les journalistes s’en seraient rendu compte. - Darcy. Non. Et je le saurais probablement aussi. Pour lui, Darcy est un trou noir. Elle l'attire indéniablement. Mais elle lui fait peur aussi, d'une certaine façon. Le besoin de l'avoir et pourtant la prudence de l'éviter. Une balance déséquilibrée. Quel poids sera le plus lourd? - Le monde moldu n’est pas fait pour moi.. les premiers jours je me suis sentie presque libre et je l’ai croisé. - Je ne lui ai pas dis où te trouver. - Me justifié-je, sourcils froncés, conscient malgré tout de ne pas être accusé. Le hasard? Je ne crois pas au hasard. Aurait-il pu passer outre mes diversions? Aurait-il eu la cervelle pour?

Malgré tout, je peux comprendre son ennui. J'ai vécu l'essentiel de ma vie parmi les Moldus. À agir comme l'un d'eux. Cacher mes pouvoirs. Ne pas en parler. Faire attention. Que le secret survive. Je ne me suis pas habitué à la magie du quotidien. Les petites choses. Et surtout la liberté d'en faire usage. Pour un sorcier bercé dans les nimbes magiques, le monde Moldus peut être vide. Sec. Comme lent. Et puis, si Phineas a pu la trouver, qui d'autre le pourrait? C'était peut-être une simple échappée. Une pause dans la course. L’œil du cyclone dans une traversée rectiligne, inéluctable.

Elle attrape un petit écrin, me le présente et l'ouvre. À l'intérieur, une magnifique chevalière en argent expose un corbeau fait main, travaillé dans un détail impressionnant. Et sur le coup, je ne sais pas trop quoi faire, alors je laisse mon regard aller et venir entre l'anneau et son visage. - J’imagine que ça n’est pas ton style mais considère la comme un objet de collection, tu veux ? J’ai eu pas mal de temps à tuer pour griffonner quelques idées. - Mes lèvres se pincent. Britannique jusqu'à la moelle, je me comporte face aux cadeaux comme face aux compliments: comme si des ongles griffaient un tableau noir. - Tu n'aurais pas dû. - Malgré tout, je me saisi de l'offrande et l'observe encore un instant. Un véritable travail d’orfèvre, littéralement. - Je dois rentrer auprès de père, Tobias. - Le regard bondit. - Non. - L’Ordre ne me gardera probablement pas après .. comment t’expliquer. Une Lestrange démasquée, ça ne plaît pas. On n’est peut-être jamais mieux que dans le milieu où on est nés.

Je referme l'écrin dans un claquement sourd, sec. - L'Ordre ne te mérite pas s'ils te réduisent à ton nom de naissance. - Précautionneux, je dépose le cadeau sur le comptoir, et sort deux verres et une bouteille de Whisky-pur-feu. Oui, j'en garde une là. On ne sait jamais. La preuve, c'est utile. - Mais même s'ils sont à ce point fermés d'esprit, tu n'as pas à retourner là-bas. - Les verres sont vite servis. Un doigt seulement. - Tu peux exister sans lui. Tu en as les moyens. Qu'est-ce que tu gagnerais à retourner à lui sinon plus d'abus?

Tu as toi-même douté de moi, Tobias. - Pas à cause de ton nom. - Rétorqué-je. Oui, j'ai hésité. J'ai douté d'elle. Mais ça n'avait rien à voir avec son sang ou son nom. La situation l'exigeait. Le changement d'apparence. Le sortilège tragique. Le discours, tendancieux. Oui, avec ses explications, j'ai compris qu'elle couvrait simplement ses traces, mais l'autre option aurait pu être possible. Ce n'est pas comme si je connaissais chaque aspect de son existence. Moody, par exemple, était un mystère avant que Phineas ne me dise qu'elle en aimait un autre. Pas que je sache vraiment où ça en est.

Je ne peux pas laisser Phineas seul aux mains de son père. - Oh my lord... - Un écho. Ce monde entier propage un écho. Une stupidité sans nom qui s'acharne à me filer la migraine. C'est quoi leur problème? Est-ce un gêne de sang pur que de vouloir se sacrifier pour les autres? Moi qui pensait que c'était quelque chose dont, justement, ils manquaient. Je ne sais d'Edward que ce que j'en ai entendu, et je connais Wayne part Phin et ma propre, courte mais intense, expérience. Les deux sont des monstres. Je suppose qu'à la différence de Wayne, Edward est un monstre qu'elle connait. - J’ai les moyens de partir, de vivre et de mourir seule dans une tranquillité certaine. - Fait-le. - Lâché-je avant d'avaler mon whisky d'un trait. Pas que je lui souhaite une vie de solitude, mais je préfère encore la savoir seule et en vie qu'ici et morte. Ou pire.

Elle ne veut pas abandonner sa position au Ministère. Le travail qu'elle fait est important. Je crée, oui, mais elle sauve plus que moi. Certes, chacun de ses cas n'implique pas forcément des victimes, mais la preuve lors de notre dernière affaire commune: c'est une possibilité. Une vie de couple, de famille, n'a jamais été une fin en soit, ou en tout cas, je ne l'ai jamais pensé. C'est un ajout agréable, pour ceux qui le souhaitent. Qui comble, d'une certaine manière. D'une manière que le travail ou l'occupation comblent différemment. - Aucun homme ne m’aimera pour qui je suis toutefois.. je pense que je peux les protéger d’eux-mêmes. - Ma langue claque. - A moins que tu ne me juges pas assez bien pour ton ami. - Pas un mot ne pipe. Seulement un regard blasé. Parviendrais-je à lui faire comprendre un jour qu'elle vaut plus que ce qu'elle pense?

Ce dilemme-là est plus dangereux et imprudent que les autres. - Finis-je par dire. - Un sortilège à briser est logique. Il se comporte selon un ordre et un objectif. Comme un animal qui agit à l'instinct. Ces types sont... - Mon regard dérive un instant. - Humains. Ils incarnent ce que l'être humain fait de pire. L'instinct peut être excusé. Mais ils sont vicieux et sadiques. Ils font le choix de vivre par ces traits. Peu importe qu'Edward refuse qu'on te touche. Il le fait lui-même, comme si tu étais sa propriété. Et Wayne, tu l'as dit, il s'en fiche. Il n'en fera qu'à sa tête. Il l'a déjà fait. - La scène du Chemin de Traverse me revient en mémoire. Je n'ai jamais oublié ce moment. Son regard sanguin, divertis, alors que Phineas me rouait de coups. - Ils ne sont même pas foutus de se sauver entre-eux. Ils s'enfoncent les uns les autres, pour contenter les monstres. Et tu veux te jeter dans cette fosse?

Mon regard se pose sur le second verre. Elle ne boit pas. Réflexe d'hôte. Peu importe, je l'avale aussi. J'ai l'impression de brûler de l'intérieur. Ce n'est même pas de la colère. Plutôt de la frustration et une intense incompréhension. Je ferais bien des choses pour elle, Phin, ou même Nate. Dans cette situation, les limites seraient floues. Alors pourquoi est-ce que les voir repousser ces lignes imaginaires me torture autant? Phineas veut protéger ses frères. Ravenna veut protéger Phineas. Je veux les protéger tous les deux, quitte à sacrifier les autres. Alors, qui a raison? Qui détient la bonne solution et qui s'enfonce le plus profondément dans les abysses?

Qu’aurais-tu fais si on ne t’avait pas retenu après un baiser … ? - Je fronce les sourcils, incertains de la portée de sa question. Tout dépend de la situation, je suppose. De la personne. Je ne réponds rien, sinon du regard qui intime de poursuivre. Développer. Phineas. Pourquoi l'aurait-il rejeté? Pire encore, pourquoi l'aurait-il accepté mais sans la garder? Qu'a-t-il dit? Pensé? Était-elle si convaincante? J'ai bien douté d'elle, dans la mauvaise situation. Pourquoi n'aurait-il pas pu douter aussi? D'un autre côté, qu'elle soit si désemparée et dépouillée qu'elle en soit réduite à ça serait... invraisemblable. - Je crois que j’ai.. disons que j’ai commencé à l’aimer pour sa sincérité, parce qu’il semblait incapable de me faire du mal.

Sentiment. Émotion relatée. L'entendre prononcer ce genre de paroles a quelque chose de décadent. Comme si je venais de glisser dans un monde parallèle. Une sensation accrue à la vision du verre qu'elle descend d'un trait. Elle qui ne boit jamais. D'un autre côté, s'est-elle déjà retrouvée en pareille situation auparavant? Deux hommes qui jouent mais ne sont pas pleinement impliqués, un père qui fait la sourde oreille pendant qu'un autre prend ses aises? Une existence précaire, qui file entre les doigts comme les cours glissant d'une rivière. L'incertitude du futur. Pour une riche Sang-pur au travail assuré, ce genre de sensation doit être particulièrement déroutante. - Promets-moi que si j’échoue, s’il rompt le contrat, tu m’effaceras la mémoire. T’effaceras tout ça et tu me convaincras de partir en France.

À mon tour de soupirer. À mon tour de douter. Effacer sa mémoire? L'aider à déménager dans le secret ne serait pas un problème, si c'est ce qu'elle désire. Mais jouer avec ses souvenirs... - Pas sur un coup de tête. - Dis-je après quelques secondes de réflexion. J'aurais de toute façon besoin de temps pour sérieusement maîtriser le sortilège approprié, et je refuse de jouer avec son esprit sans qu'elle soit pleinement certaine. - Je ne t'apprendrais rien en te disant que les sortilèges mémoriels ne sont pas des choses légères avec lesquelles jouer. Si on en vient à ça, je le ferais. - Rien que pour être sûr que ce soit bien fait. - Mais pas plus tôt. - Une douce chaleur remonte de mon estomac. Alcool qui s'empreigne un peu plus dans mon sang. - Mais avant ça, explique moi un truc: tu dis toi-même t'être entichée d'hommes qui ne te regarderont peut-être jamais comme ça. Pourquoi risquer ta sécurité pour eux, si tu es presque sûre de ne rien obtenir en retour? - Automatisme, je verse un peu de whisky dans mon verre à nouveau, évite de resservir Ravenna. Elle ne boit pas, elle ne le supporterait que plus mal, surtout si elle est en route pour un dîner tendu. - Moi, j'ai plus de vingt ans d'amitié avec Phineas. Je n'ai plus à justifier quoi que ce soit, si je décidais de m'y mêler. Mais toi, tu le connais depuis tout juste quelques mois, dans une situation forcée. Tu ne lui dois rien. - Ses paroles font écho. Mes conversations avec Phin aussi. Je secoue la tête. - Je peux concevoir pourquoi tu reviendrais chez Edward, même si c'est impensable à mon sens. Mais Phin... ça ne t'es pas venu à l'esprit qu'il te repousse peut-être pour éviter que tu t'impliques plus encore?

Doit-on toujours obtenir quelque chose en retour, Tobias ? - On ne doit pas perdre, surtout. - Aider est une chose. S'y abandonner en est une autre. Aider sans rien demander en retour, oui. S'y brûler les ailes, non. Je ne suis pas quelqu'un de matérialiste ou de superficiel, et certainement pas du genre à faire quoi que ce soit pour la récompense. Pour autant, je considère que l'aide ne devrait pas rencontrer la souffrance. Il ne devrait pas y avoir un prix à payer.

Il me repousse parce que je ne suis pas elle. - Darcy, encore. Rivalité? Non. Survie, plutôt. Je comprends son attitude à son sujet. Darcy et elle occupent momentanément la même case d'un large échiquier. Et bientôt, l'une d'elle devra quitter cette case. Et en la quittant, prouver, ou en tout cas assumer, ne pas avoir l'utilité nécessaire pour rester. À cette révélation, je ne réagis que tout juste. Une évidence laissée en suspend. Parfois, j'oublie que Darcy fait parti du tableau aussi. - ... Il est hors de question que je vive tranquillement un quotidien morne en le sachant dans cette situation. Je ne peux pas laisser faire ça. - Je vais pour avaler mon whisky. - Et je ne compte pas lui laisser l’opportunité de se noyer là-dedans. - Et puis ça me frappe.

Le verre retrouve le comptoir sans avoir été vidé. Le claquement sur le bois est net, pas fort. Quelque chose vient de changer. Une... perspective? Pourquoi ne l'ai-je pas vu auparavant? Ou peut-être l'ai-je simplement ignoré? - Tu m’en veux.. ? - Mon regard croise le sien. Pupilles roses. Mes sourcils se froncent. - Non.. ? - Hésitation. Doute. Malaise. Mon regard dérive. Le souvenir des cheveux pourpres. Des yeux sanguins. Pas leur vision, mais la sensation qui a produit ces changements.  Un miroir imaginaire, mais qui était dans son reflet? Ravenna refuse d'abandonner Phin à son sort. Pourquoi? Parce que son sort à lui n'est rien d'autre que le sort qui lui a été réservé depuis sa naissance. Voilà ce qui vient de me frapper. Elle cherche à l'aider, quitte à en souffrir, parce qu'elle ne connait que trop bien la précarité de cette situation. Cette dynamique du poing et de la manipulation. Les abus qui détruisent  l'âme, fragment par fragment. Elle sait, et c'est pour ça qu'elle s'acharne. Pour ça que j'étais aveugle.

Je ne t'en veux pas. - J'étais en colère contre lui pour avoir cédé à cette Marque. En colère contre eux deux pour continuer à sombrer plus bas encore, et en redemander. La frustration de ne pas simplement pouvoir les gifler jusqu'à ce qu'ils comprennent. Hurler. Rager. J'entends encore ce craquement, lorsque mon poing s'est écrasé sur la figure de Phineas la dernière fois. - Je... m'en veux, moi. - Etranger aux émotions que je compartimente, cette nouvelle profondeur de culpabilité est inédite. Étrangement familière, pourtant. Comme si elle avait toujours été-là, simplement cachée derrière d'autres choses. La distraction. La légèreté. La distance. - Je t'impose mes dizaines d'années d'amitié comme si je savais mieux que toi, mais au final tu en as fais plus pour lui en quelques mois, sans le connaitre, que moi, son meilleur ami supposé. - Quel piètre frère fais-je. - Je lui ai offert une échappatoire, mais jamais un bras droit pour combattre. - Décontenancé, je me laisse tomber sur le tabouret. Mes traits se sont fait plus doux, mes pupilles légèrement plus larges et plus claires. Un enfant qui prend conscience de la réalité. - J'étais en colère contre vous deux pour vos sacrifices illogiques... - Mon regard la retrouve, et je peine à le soutenir. - ... Je ne faisais qu'étouffer ma propre passivité.